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mercredi 9 juin 2021

Isolement et contention psychiatriques : Le Conseil constitutionnel persiste


La décision Pablo A. rendue le 4 juin 2021 illustre parfaitement les relations tendues, même si le conflit demeure très feutré, entre le Conseil constitutionnel et le parlement. Saisi par le Cour de cassation, le Conseil sanctionne en effet les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale du 14 décembre 2020. Elles autorisaient le médecin à prolonger, à titre exceptionnel, une mesure d'isolement ou de contention prononcée à l'égard d'un patient psychiatrique hospitalisé sans son consentement au-delà des durées totales de quarante-huit heures et de vingt-quatre heures. 

 

L'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique précise que "l'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement". Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d'un psychiatre. La mesure d'isolement, c'est-à-dire d'enfermement dans une chambre, peut être décidée pour une durée maximale de douze heures, et elle peut être renouvelée, si l'état du patient le rend indispensable, par périodes de douze heures pour une durée ne dépassant pas quarante-huit heures. Quant à la mesure de contention qui consiste une immobilisation totale du patient, soit par des moyens mécaniques, soit par voie médicamenteuse, elle intervient durant l'isolement, pour une durée maximale de six heures, renouvelable jusqu'à vingt-quatre heures. Ces délais de droit commun étant très brefs, les médecins ont obtenu la possibilité d'une prolongation de ces mesures, à la condition toutefois que soit organisée l'intervention du juge judiciaire, en l'espèce le juge des libertés et de la détention (JLD).


Petite histoire du contrôle du juge


Les mesures d'isolement et de contention peuvent s'analyser comme des mesures de contraintes à l'intérieur même d'une mesure de contrainte. Car elles ne peuvent être prises que lorsque la personne est hospitalisée sans son consentement, soit à la demande des tiers et notamment sa famille, soit sur décision de l'autorité de police. Dans ce cas, l'hospitalisation est décidée par le préfet, lorsque la personne est atteinte de troubles mentaux qui risquent « de compromettre la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public » (art. L 3213-1 du code de la santé publique). En cas de « danger imminent », le maire, ou le commissaire de police à Paris, peuvent prendre une mesure provisoire d’internement, l’arrêté préfectoral devant alors intervenir dans les 24 heures qui suivent. Là encore, cette procédure suppose l’accord d’un médecin, certificat médical circonstancié pour la procédure de droit commun, simple « avis médical » pour la procédure d’urgence.

La loi du 5 juillet 2011 a mis fin à cent cinquante ans d'application de la loi Esquirol du 30 juin 1838 qui régissait le statut des personnes « en état habituel de démence, fureur ou imbécillité », autorisant l’administration à prononcer l’internement d’office des « aliénés » dans l’hypothèse où ils se révélaient dangereux pour l’ordre public ou pour eux-mêmes. Le patient psychiatrique est désormais une personne hospitalisée comme une autre, sauf évidemment hypothèse où cette hospitalisation lui est imposée. 

Précisément, l'influence du Conseil constitutionnel sur ce texte a été considérable.  Dans deux décisions du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011 rendues sur QPC, il avait en effet déclaré également inconstitutionnelles les deux formes d’hospitalisation sans le consentement du patient, au motif que la privation de liberté pouvait être prolongée sans intervention du juge. Des amendements déposés en seconde lecture ont donc prévu l’intervention du JLD qui peut être saisi « à tout moment », pour ordonner la mise en liberté d’une personne. Il ne manque d'ailleurs pas de le faire et, durant l'audience de QPC, il a ainsi été mentionné qu'en 2018, 7000 hospitalisations sans consentement avaient été jugées abusives par le JDL.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 7 novembre 2019, précise toutefois, et nous sommes au coeur du problème actuel, que cette procédure ne concerne que l’internement dans un service hospitalier de psychiatrie, le JLD n’étant pas compétent pour apprécier une mesure d’isolement et de contention prise à l’égard d’un patient déjà interné. On ne peut blâmer la Cour de cassation qui ne faisait alors qu'appliquer la loi en vigueur, mais ces pratiques demeuraient donc soustraites au contrôle du juge.

 

 

René Goscinny et Albert Uderzo. Le combat des chefs. 1966

 

Une première QPC le 19 juin 2020

 

Une première décision du 19 juin 2020, initiée par toute une série d'associations de protection des personnes hospitalisées, avait déjà censuré les dispositions de la loi Touraine du 26 janvier 2016. S'appuyant sur l'article 66 de la Constitution qui énonce que "nul ne peut être arbitrairement détenu", le Conseil affirme que les mesures d'isolement et de contention s'analysent comme des privations de liberté. En conséquence, elles ne peuvent être prolongées qu'avec un contrôle du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle. Comme dans beaucoup de QPC, le Conseil n'avait pas abrogé immédiatement la disposition litigieuse, mais en avait repoussé l'abrogation au 31 décembre 2020.

Le gouvernement a voulu, en quelque sorte, jouer au plus fin avec le Conseil constitutionnel. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale du 14 décembre 2020 énonce en effet que ces mesures peuvent être exceptionnellement renouvelées, le médecin devant alors "informer sans délai le juge des libertés et de la détention qui peut se saisir d'office pour mettre fin à cette prolongation". La formule est étrange car cette saisine d'office suppose que le JLD soit informé d'un éventuel abus de pouvoir. Mais par qui ? Ce n'est tout de même pas le médecin qui va s'auto-incriminer. Quant à la personne en isolement et ficelée sur son lit, elle n'est guère en position d'informer le JLD. 

Le gouvernement a donc entretenu volontairement une confusion entre l'information du juge et son contrôle. La majorité parlementaire a ensuite accepté de voter une telle disposition, sans se poser de question superflue. La décision du 4 juin 2021 se montre très sévère à l'égard de cette tentative de soustraire ces mesures à l'obligation de saisine du juge judiciaire. Elle affirme ainsi qu'en l'état actuel du droit "aucune disposition législative ne soumet le maintien à l'isolement ou sous contention au-delà d'une certaine durée à l'intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l'article 66 de la Constitution". L'abrogation de la disposition déclarée inconstitutionnelle est, une nouvelle fois, reportée au 31 décembre. 

Le gouvernement se soumettra-t-il cette fois à la décision du Conseil ? On peut penser qu'il n'a guère le choix car une troisième annulation serait tout de même un peu fâcheuse, surtout si l'on considère que le contrôle du juge judiciaire sur les mesures privatives de libertés constitue le socle sur lequel s'est construit le principe de sûreté. Le mépriser avec une telle constance pourrait finir par se remarquer.

 

Sur l'hospitalisation des malades mentaux sans leur consentement : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4, section 2, 6 2, B.

 



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