On se souvient que Kobili Traoré avait tué Sarah Halimi le 3 avril 2017 en la défenestrant du balcon de son appartement, après lui avoir fait subir diverses tortures. Le contexte antisémite de l'agression avait suscité une forte émotion, et la déception des parties civiles avait été grande lorsque le juge d'instruction, puis la chambre d'accusation, avaient estimé réunies les conditions de mise en oeuvre de l'article 122-1 du code pénal, aux termes duquel "N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes". Un collège d'experts s'était prononcé en ce sens, à l'issue d'une procédure complexe, un premier expert s'étant prononcé en faveur de la responsabilité pénale de Traoré.
Les Assises et l'abolition du discernement
Observons que l'abolition du discernement aurait pu être constatée par la Cour d'assises elle-même. Depuis la loi du 25 février 2008, l'irresponsabilité peut en effet être constatée à deux stades bien distincts de la procédure. A l'issue de l'instruction, et une déclaration d'irresponsabilité pénale peut être prononcée, soit par le juge d'instruction, soit, à sa demande ou à celle du procureur ou des parties civiles, par la chambre de l'instruction de la Cour d'appel. Mais l'irresponsabilité peut aussi être déclarée par la Cour d'assises elle-même, lors d'une audience publique, procédure qui, en 2008, avait été vivement souhaitée par les associations de victimes.
Les juridictions pénales ne semblent guère intéressées par cette seconde procédure. Sans doute pensent-elles qu'attendre d'être devant la Cour d'assises pour invoquer l'irresponsabilité risque de frustrer encore davantage des parties civiles qui verront s'ouvrir un procès sans qu'il s'achève avec le prononcé d'une peine, le débat se réduisant à la question de la santé mentale de l'accusé. En même temps, on peut aussi considérer qu'une décision d'irresponsabilité prise à l'issue d'un procès public témoigne d'une certaine reconnaissance des droits des victimes à juste procès.
C'est sans doute sur ce droit à un juste procès que s'appuiera le recours qui sera probablement déposé devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Une définition qui manque de clarté
Sur le fond, le débat porte sur un droit positif qui n'est clair qu'en apparence. Le législateur affirme que l'irresponsabilité est acquise lorsque, au moment de l'acte criminel, son auteur est atteint d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement. Le problème est que cette définition est largement tautologique. Les expertises montrent en effet une hésitation constante : l'abolition du discernement est-elle la conséquence du trouble psychique, ou celui-ci se déduit-il de l'abolition du discernement ?
Vitrail réalisé pour la synagogue de l'hôpital Hadassah à Jérusalem
Marc Chagall. 1962
La cause de la "bouffée délirante aiguë"
En l'espèce, les experts s'entendent pour considérer que Traoré était atteint d'une "bouffée délirante aiguë" au moment des faits. Il était un consommateur régulier de cannabis depuis très longtemps, tant et si bien que cette consommation l'avait placé dans une situation délirante durant laquelle il a tué Sarah Halimi. On se trouve alors dans l'hypothèse d'un trouble d'origine toxicologique lié à la consommation de drogue, et la cause du trouble se trouve dans dans la volonté du consommateur de cannabis, qui a lui-même altéré son discernement.
L'actuelle rédaction de l'article 122-1 du code pénal n'envisage pas cette hypothèse. Elle repose sur une question simple : le discernement est-il aboli au moment des faits ? La cause de cette abolition n'est même pas envisagée et seule cette question est posée aux experts.
Certes, la doctrine a suggéré une interprétation subtile, qui serait de nature à dépasser cette difficulté. Elle propose en effet de faire une distinction entre infraction intentionnelle et non intentionnelle. La consommation de substances ne serait une cause d'irresponsabilité que dans l'hypothèse d'une infraction intentionnelle puisque, dans le cas des infractions non intentionnelles, l'auteur de l'infraction ne voulait pas causer un dommage mais s'est seulement montré imprudent.
L'idée est séduisante, mais le problème est qu'une telle interprétation modifie la substance de l'article 122-1 du code pénal en introduisant une distinction qu'il ne contient pas. Elle n'est d'ailleurs pas totalement satisfaisante car elle devrait conduire à exonérer la responsabilité des auteurs
des crimes les plus graves pour condamner ceux qui n'ont commis qu'une
imprudence fautive. La Cour de cassation ne peut donc, de toute évidence, adopter une interprétation à la fois lourde de conséquences et non prévue par la loi. En l'espèce, on en viendrait en effet à conclure que Kobili Traoré pourrait
être condamné s'il avait écrasé Sarah Halimi en conduisant sous
l'emprise de cannabis (avec circonstance aggravante), alors qu'il ne
pourrait être condamné pour l'avoir torturée et défenestrée.
Évolution jurisprudentielle
Bonjour Madame,
RépondreSupprimerA propos de l'arrêt de la Chambre criminelle du 22 juin 2016, il me semble que le passage cité dans votre note constitue une reprise de l'une des branches du pourvoi et non la solution adoptée par la Cour de cassation.
Le passage pertinent dans cet arrêt est plutôt, à mon sens, la référence finale au motif des juges du fond, qualifié "erroné mais surabondant", "selon lequel M. A... " n'était pas en état de vouloir causer la mort de Charlotte Y...au regard de l'inconscience comateuse dans laquelle il se trouvait du fait de son alcoolémie".
Bien cordialement,
Etant donné l'utilité de cette cérémonie pblique que constitue un procès pour permettre aux familles de faire leur deuil et de donner la justice en spectacle édifiant, on pourrait continuer des auditions de témoins et des plaidoiries d'avocats, même en l'absence d'un accusé aussi irresponsable qu'incapable de suivre l'évènement. Mais peut-être l'Etat se sentirait-il violemment sollicité de "faire quelque chose" pour une partie civile en demande ...
RépondreSupprimerLa condamnation de la France au titre de l'article 6 de la Convention serait-elle capable de modifier la loi ?
RépondreSupprimer