Par une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 15 janvier 2021, Krzystof B., le Conseil constitutionnel abroge, avec effet immédiat, les dispositions autorisant l'usage de la visioconférence dans le procès pénal, dans toutes les audiences en dehors de celles de la cour d'assises.
Cette abrogation a effet immédiat, car ces dispositions dérogatoires avaient été mises en oeuvre par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. Aujourd'hui, ces dispositions ne sont plus applicables, remplacées par celles issues de l'ordonnance du 18 novembre 2020, dont l'article 2 énonce : "Nonobstant toute disposition contraire, il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l'ensemble des juridictions pénales et pour les présentations devant le procureur de la République ou devant le procureur général, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties".
Certes, ces dispositions ont été adoptées dans le contexte et sur le fondement de l'urgence sanitaire. Il s'agit en effet de déroger à la procédure prévue par l'article 706_71 du code de procédure pénale. Elle autorise le recours à la visioconférence pour un certain nombre d'auditions et d'interrogatoires ainsi que pour des audiences, notamment devant le tribunal correctionnel, à la condition toutefois de recueillir "l'accord de l'ensemble des parties".C'est précisément ce point qui est au coeur de la décision du Conseil constitutionnel.
Une jurisprudence déjà ancienne
La décision du 15 janvier 2021 marque l'aboutissement, au moins provisoire, d'une tension ancienne entre le parlement et le Conseil constitutionnel sur cette question. Bien avant l'état d'urgence, des textes étaient déjà intervenus pour multiplier les audiences par visioconférence, notamment l'ordonnance du 1er décembre 2016, puis la loi Belloubet de programmation pour la justice du 23 mars 2019. A l'époque, il n'était pas nécessaire d'invoquer le risque épidémique. On insistait sur l'impératif de sécurité, la personne ne sortant pas de l'univers carcéral, et surtout sur des motifs plus terre-à-terre, le coût des extractions et le manque de personnel chargé de conduire les personnes emprisonnées devant les juges.
Dans une décision QPC du 20 septembre 2019. M Abdelnour B, puis dans une seconde décision Maxime O. du 30 avril 2020, le Conseil avait ainsi écarté une disposition offrant à la Chambre de l'instruction la possibilité d'imposer une audience par visioconférence à une personne placée en détention provisoire en matière criminelle, et qui demande sa mise en liberté. Dès lors que, en application de l'article 145-2 du code de procédure pénale, la première prolongation de la détention provisoire peut n'intervenir qu'à l'issue d'une durée d'une année, le fait d'imposer la visioconférence conduisait à priver une personne de la possibilité, pendant une année entière, de comparaître devant le juge appelé à statuer sur sa détention provisoire. L'atteinte aux droits de la défense fut donc jugée excessive, et ces dispositions déclarées inconstitutionnelles. L'un des éléments pris en considération dans ce contrôle de proportionnalité était l'absence de consentement de l'intéressé, et il demeure au coeur de la jurisprudence constitutionnelle.
La décision du 15 janvier 2021 se borne à reprendre cette motivation. Elle sanctionne cette fois, non pas seulement l'usage de la visioconférence en matière de prolongation de la détention provisoire, mais aussi la possibilité de l'imposer à toute comparution devant le tribunal correctionnel ou la chambre des appels correctionnels, ou encore devant les juridictions spécialisées compétentes pour juger les mineurs en matière correctionnelle. Elle relève en outre une incompétence négative du législateur, qui n'a pas cru bon de définir des conditions légales à l'usage de la visioconférence, laissant s'exercer le pouvoir discrétionnaire du juge. De fait, la visioconférence pouvait être imposée à l'intéressé pour des motifs purement matériels tels que l'absence de personnel suffisant pour procéder à l'extraction.
L'Hermine. Christian Vincent. 2015
Le dialogue des juges
La décision rendue le 15 janvier 2021 s'inscrit dans un contexte de ce qu'il est convenu d'appeler le dialogue des juges. Dans une ordonnance du 27 novembre 2020, le juge des référés du Conseil d'Etat, a ordonné la suspension de certaines dispositions de l'ordonnance du 18 novembre 2020. Elles autorisaient "le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle
devant l’ensemble des juridictions pénales”, y compris les cours
d’assises. Dans ce cas, l'usage de la visioconférence n'était pourtant
autorisé qu'à partir des plaidoiries et des réquisitions, les débats qui
précèdent devant se dérouler en présence de l'accusé. A l'époque, certains avaient pensé que ces dispositions avaient été voulues par Eric Dupond-Moretti pour permettre le déroulement, par visioconférence, du procès des attentats de janvier 2015.
Quoi qu'il en soit, le juge des référés estime les garanties insuffisantes. La gravité des peines en matière criminelle et le rôle dévolu à l'intime conviction des magistrats et des jurés confèrent une place spécifique à l'oralité
des débats. Durant le réquisitoire et les plaidoiries, la présence
physique des parties civiles et de l'accusé est essentielle, et plus
particulièrement encore lorsque l'accusé prend la parole en dernier,
avant la clôture des débats. De fait, le juge des référés considère que l'intérêt de la visioconférence ne saurait justifier une atteinte aussi grave aux principes
fondateurs du procès criminel et aux droits des personnes physiques
parties au procès, qu'elles soient accusées ou victimes. Le recours à la visioconférence aux Assises avait donc été sanctionné, et très fermement, par le juge des référés du Conseil d'Etat.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 janvier 2021, achève le travail. Il sanctionne l'autorisation de recours à la visioconférence en matière correctionnelle, sans l'accord des parties, disposition législative destinée, de toute évidence, à faire de la visioconférence un instrument quotidien dans le fonctionnement des juridictions pénales. Certes, la décision porte sur l'état du droit antérieur, c'est à dire sur l'ordonnance de mars 2020. Mais il est évident que les jours de l'ordonnance du 18 novembre 2020 sont comptés, car elle persiste à maintenir la visioconférence en matière correctionnelle sans l'accord des parties.
Derrière ce dialogue entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat, se cache une autre réalité. On ne peut que s'étonner de la persévérance de l'Exécutif à imposer le vote de lois successives destinées à imposer la visioconférence dans le procès pénal. Comme si le fait de rendre la justice était apprécié à travers son rendement, son coût financier, quelle que soit la qualité des échanges. La surprise est encore plus grande si l'on considère que l'actuel Garde des Sceaux qui se revendique comme particulièrement attaché aux droits de la défense, empêche ainsi les avocats de faire correctement leur travail. Sa conception de la justice serait-elle à géométrie variable selon les fonctions qu'il occupe ?
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