Pages

mercredi 6 janvier 2021

La définition de l'inceste, quelques précisions


L'inceste est souvent perçu comme un crime commis par des personnes peu socialisées, isolées et éloignées du monde moderne. Cette approche est erronée et l'annonce de l'ouverture d'une enquête préliminaire mettant en cause Olivier Duhamel montre, au contraire, qu'il est répandu dans toutes les sphères de la société, des plus modestes aux plus bourgeoises. 

Certes l'intéressé bénéficie de la présomption d'innocence, et il appartiendra à la justice de se prononcer sur les faits dont sa belle-fille l'accuse, dans un livre à paraître très prochainement, livre dont le contenu a déjà été divulgué par la presse.

L'affaire soulève toutefois des problèmes juridiques qui dépassent largement la situation personnelle d'Olivier Duhamel.


La définition de l'inceste

 

Pendant de longues années, le droit pénal a ignoré la notion d'inceste, préférant sanctionner la qualité d'ascendant de la victime comme circonstance aggravante de l'infraction. Seul le droit civil envisageait l'inceste, pour interdire le mariage entre les membres d'une même famille (art. 161 à 164 du Code civil). 

La loi du 8 février 2010 est venue mettre en terme à cette situation en affirmant clairement une volonté de donner une définition pénale de l'inceste. L'article 222-31-1 du code pénal punissait alors le viol et l'agression sexuelle, lorsque ces deux infractions pouvaient être qualifiées d'incestueuses. Ce texte était ainsi rédigé : "Est qualifié d'incestueux lorsqu'il est commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une soeur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin ou d'un membre de la famille ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait". 

Le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue sur QPC le 16 septembre 2011, Claude N., avait abrogé ces dispositions pour violation du principe de légalité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. De ce principe résulte en effet "la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire". Or les dispositions contestées étaient bien imprécises. Que signifiait cette référence à un acte "commis au sein de la famille", lorsqu'il peut être commis par un proche, ascendant, un frère ou une soeur, ou encore et surtout "toute autre personne", dès lors qu'elle a autorité sur la victime ? En tout état de cause, la notion de famille n'était pas clairement définie, et l'on ignorait jusqu'à quel degré de parenté, ou de proximité, une personne pouvait être poursuivie pour viol ou agression sexuelle, dans un contexte incestueux. 

Cette jurisprudence est ensuite réaffirmée dans une seconde décision rendue sur QPC le 17 février 2012, le Conseil abrogeant cette fois d'autres dispositions pénales régées exactement dans les mêmes termes, mais relatives au délit d'atteinte sexuelle.

Il faut donc attendre la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant, modifiée par la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes pour que l'inceste soit défini avec davantage de précision. L'article 222-31-1 du code pénal qualifie désormais d'incestueux les viols et agressions sexuelles, lorsqu'ils sont commis par : " 1° un ascendant ; 2° un frère, une soeur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le conjoint, le concubin d'une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacs (...) s'il a sur la victime une autorité de droit ou de fait".

La liste est donc relativement large, et tient compte de la réalité des familles recomposées. Le beau-père peut donc être incestueux s'il comment un viol ou une agression sexuelle sur l'enfant de son épouse, dès lors qu'il a autorité une autorité, même de pur fait. 

 


 

Le Petit Poucet et l'ogre

Gravure de Gustave Doré et Perrichon, Hetzel, 1862

La rétroactivité de la définition de l'inceste

 

Il faut tout de même s'interroger sur le caractère rétroactif de cette nouvelle définition de l'inceste. Dans un arrêt du 20 juin 2018, la Cour de cassation a refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité portant précisément sur l'article 222-31-2 du code pénal et qui posait la question de la qualification rétroactive comme incestueux de viols et agressions sexuelles commis antérieurement à la loi du 14 mars 2016. Pour la Cour, la question ne présentait pas de "caractère sérieux", d'une part parce que l'inceste était désormais clairement défini, d'autre part parce que cette définition ne modifie pas les éléments constitutifs des infractions de viol et d'agression sexuelle ni les peines encourues. En d'autres termes, ces dispositions ne sont pas concernées par le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Cette analyse a ensuite été confirmée dans une seconde décision de la Chambre criminelle, le 27 novembre 2019


La prescription du crime de viol sur mineur


Dans le cas d'Olivier Duhamel, la question qui est posée n'est donc pas celle de la définition de l'inceste ni de la rétroactivité de cette définition, mais bien davantage celle de la prescription de l'action publique. Les années récentes ont vu se multiplier les réformes destinées à créer un régime dérogatoire au droit commun au profit des mineurs victimes de violences sexuelles. La loi du 3 août 2018 a ainsi introduit un alinéa 3 à l'article 7 du code de procédure pénale qui prévoit que le délai de prescription du crime de viol commis à l'encontre d'un mineur est de trente ans et ne commence à courir qu'à la majorité de la victime. Pour un viol commis à l'âge de treize ans, elle peut donc porter plainte jusqu'à ses 48 ans. 

Mais la situation n'est pas si simple, car la question demeure posée de savoir si ce texte est applicable en l'espèce, c'est-à-dire si cette règle de prescription est rétroactive ou non. L'article 112-2 du code pénal précise que "sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur (...), lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique (...)". Dans l'affaire qui concerne Olivier Duhamel, il appartiendra évidemment à la justice de déterminer quel était le droit applicable, compte tenu des faits et de l'éventuelle interruption des délais de prescription.

Au-delà de son retentissement médiatique, cette affaire illustre parfaitement la complexité des affaires d'inceste. Le problème en effet n'est pas tant de sanctionner un auteur que d'apprécier un contexte familial, souvent caractérisé par une certaine forme d'omerta. On loue aujourd'hui celle qui a eu le courage de dénoncer le crime, dans la droite ligne des mouvements #MeToo ou #Balancetonporc, mais les victimes des crimes incestueux souffrent aussi de l'indifférence, voire de l'abandon de leurs proches qui, bien souvent, connaissent la situation, et se taisent, violant leur obligation de protéger leur enfant. Comme bien souvent, la culpabilité n'est pas celle d'une seule personne mais celle d'un milieu.



 

2 commentaires:

  1. Il y a dans cet écart vertigineux entre les paroles et les actes le noeud du mal français, celui de l'entre-soi et de toutes ses dérives. Un grand bravo à tous ces droits de l'hommistes distingués et moralisateurs qui savaient et qui ont cru bon de ne rien dire...

    RépondreSupprimer
  2. "La parole est à moitié à celui qui écoute, et à moitié à celui qui parle", observe Montaigne. Il est dérangeant que le crime soit dénoncé par la soeur, comme si Victor, une fois de plus, laissait faire. Comment la justice pourrait-elle contribuer à la réparation d'un tissu familial et social déchiré depuis tant de temps ?

    RépondreSupprimer