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jeudi 3 décembre 2020

Visioconférence aux assises : le Garde des Sceaux a oublié les droits de la défense


L'ordonnance du 18 novembre 2020, intervenue sur le fondement de l'état d'urgence sanitaire, a pour objet d'assurer la continuité de la justice pendant l'épidémie de Covid-19. Le juge des référés du Conseil d'Etat vient pourtant, à la demande d'associations d'avocats et de différents barreaux ainsi que du syndicat de la magistrature, de suspendre son article 2, l'une de ses dispositions essentielles. Elle autorisait "le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales”, y compris les cours d’assises. Dans ce cas, l'usage de la visioconférence n'était pourtant autorisé qu'à partir des plaidoiries et des réquisitions, les débats qui précèdent devant se dérouler en présence de l'accusé. 

Le juge des référés a toutefois considéré que cette disposition portait une "atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense". Il l'a donc suspendue, dans sa partie applicable aux cours d'assises. 

 

Une atteinte excessive aux droits de la défense

 

Cette décision n'est pas surprenante. S'il est vrai que la crise sanitaire avait déjà justifié le recours à la visioconférence en matière pénale, celle-ci n'avait été mise en oeuvre que dans le contentieux de la détention provisoire. Et le Conseil constitutionnel a sanctionné cette procédure à deux reprises. Dans une décision QPC du 20 septembre 2019. M Abdelnour B,  puis dans une décision Maxime O. du 30 avril 2020, il écarte une disposition offrant à la Chambre de l'instruction la possibilité d'imposer une audience par visioconférence à une personne placée en détention provisoire en matière criminelle, et qui demande sa mise en liberté. Dès lors que, en application de l'article 145-2 du code de procédure pénale, la première prolongation de la détention provisoire peut n'intervenir qu'à l'issue d'une durée d'une année, le fait d'imposer la visioconférence conduirait en effet à priver une personne de la possibilité, pendant une année entière, de comparaître devant le juge appelé à statuer sur sa détention provisoire. L'atteinte aux droits de la défense est donc jugée excessive, et ces dispositions déclarées inconstitutionnelles.

Dès lors que l'atteinte aux droits de la défense était excessive en matière de mise en liberté, il pouvait sembler probable que l'appréciation serait identique dans le cadre si spécifique d'une cour d'assises. Les réquisitions comme les plaidoiries auraient en effet pu être prononcées hors la présence de l'accusé, celui-ci n'étant présent que dans la phase du procès pénal qui, en quelque sorte, refait l'instruction. Nul n'ignore pourtant que l'accusé  parle en dernier, pour tenter de convaincre le jury populaire, expliquer son geste ou affirmer son innocence.

Or, devant une cour d'assises, ces propos prennent une importance particulière, si l'on considère la durée des peines. L'accusé aurait-il la moindre chance de convaincre derrière un écran, seul dans une pièce de la prison, après que son avocat a plaidé dans la salle d'audience, en son absence ? De son côté, le juré pourrait-il réellement forger son "intime conviction" en regardant ce même écran, avant de condamner l'intéressé à la prison à perpétuité ? D'une manière générale, cette mesure aurait eu pour conséquence de briser la dynamique spécifique d'une audience d'assises, en empêchant l'accusé d'assister à l'intégralité de son procès et le jury de remplir sa mission. Or, le jury juge "au nom du peuple français", et cette fonction mérite le respect.


Hommage au juré d'assises

J'aime les gens qui doutent. Anne Sylvestre, 1977


 

La visioconférence devant les autres juridictions

 

En dehors du cas particulier de la cour d'assises, le juge des référés admet le recours à la visioconférence, dans la mesure où il ne s'agit que d'une faculté offerte au magistrat. Celui-ci doit en décider au cas par cas, en fonction de l'état de santé du détenu et de l'enjeu de l'audience, notamment la peine encourue. Il doit également s'assurer de la qualité de la transmission, précaution utile si l'on considère que les audiences en visioconférence sont souvent relativement catastrophiques, en raison des faibles moyens mis à la disposition de la Justice dans ce domaine. 

Se fondant sur les deux décisions du Conseil constitutionnel intervenues en matière d'audience de mise en liberté, le juge des référés rappelle également l'obligation du président de la chambre de l'instruction en matière criminelle de s'assurer que la personne détenue a la possibilité de comparaître physiquement selon une périodicité raisonnable. Autrement dit, une personne détenue ne peut être entendue, à chaque audience, par visioconférence. Elle doit, de temps en temps, rencontrer le juge.

On observe que l'ordonnance de référé du Conseil d'Etat a été prise, pour une fois, en formation collégiale de trois juges et avec une véritable audience. Sans doute a-t-il été sensible au ridicule d'une situation qui aurait conduit un juge unique statuant sans audience à sanctionner une atteinte aux droits de la défense devant une juridiction de l'ordre judiciaire ? Peut-être après avoir statué sur le juge judiciaire, le Conseil d'Etat se penchera-t-il sur son propre cas ?

Si l'on comprend le sens de la décision du juge administratif, on a plus de difficultés à comprendre l'ordonnance du 18 novembre 2020. On a peine à croire qu'un Garde des Sceaux, ancien avocat d'assises ait pu signer un tel texte. Personne n'a oublié qu'il dénonçait à cor et à cri tout ce qu'il pouvait interpréter comme une atteinte aux droits de ses clients, allant même jusqu'à contester la décision de la présidente d'une cour d'assises de diffuser à l'audience l'enregistrement vidéo des aveux de son client. Aujourd'hui, il semble prêt à refuser au prévenu le droit de s'exprimer en fin d'audience, autrement que par vidéo. Son attachement aux droits de la défense serait-il à géométrie variable ?

 

Sur les droits de la défense dans le procès pénal : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4 section 1 § 2.

 

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