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jeudi 17 septembre 2020

La loi sur les séparatismes et la liberté d'association


Le contenu du futur projet de loi sur les séparatismes n'est pas encore réellement connu. De ce mot "séparatisme", le président de la République a fait un slogan. En février 2020, dans un discours prononcé à Mulhouse, il a ainsi affirmé : "Notre ennemi est le séparatisme". Puis dans celui du Panthéon, célébrant le 150è anniversaire de la IIIè République, il a évoqué le "patriotisme républicain", ajoutant aussitôt : "La République indivisible n'admet aucune aventure séparatiste". Belles paroles certainement, mais qui ne donnent aucune information, ni sur la définition du séparatisme, ni sur le contenu de la future loi. 

Marlène Schiappa, nouvelle ministre "chargée de la citoyenneté" s'est efforcée d'apporter quelques précisions dans une interview donnée au Parisien du 6 septembre 2020. A ce stade, elle a surtout évoqué la liberté d'association qui, au nom de la lutte contre les séparatisme, pourrait être l'objet de restrictions. Les associations "ennemies de la République" se verraient ainsi privées de toute aide financière publique et celles qui ne respectent pas "les valeurs de la République" pourraient être fermées.

Les juges vont certainement être plongés dans un abime de perplexité quand il vont devoir distinguer les associations "ennemies de la République" et celles qui n'en respectent pas "les valeurs". Une association "ennemie de la République" est-celle celle qui refuse le régime républicain ? Il existe ainsi une multitude de petits mouvements politiques non républicains. Tel est le cas des différentes obédiences des partisans de la restauration monarchique, plus folkloriques que dangereux pour la République. Et on ne voit pas en quoi il serait illicite de se déclarer monarchiste, de la même manière qu'il n'est pas illicite de se déclarer anarchiste révolutionnaire et dernier défenseur de la pensée marxiste léniniste. Quant aux "valeurs" de la République, personne n'en a jamais dressé une liste exhaustive. Et celles auxquelles on songe comme la dignité ou le principe de non-discrimination sont d'abord des normes juridiques dont le non-respect est déjà sanctionné par les juges. Il en est de même du principe de laïcité, qui n'est pas tant une "valeur" qu'une norme constitutionnelle consacrée dans l'article 1er de la Constitution. La considérer comme une "valeur" revient ainsi à l'affaiblir alors que le but de la loi devrait être de la faire respecter.

Si jamais ils parviennent à surmonter cette douloureuse épreuve terminologique, les juges vont aussi devoir se poser la question du caractère redondant de ces réformes.

 

La Charte de la laïcité

 

L'idée est loin d'être nouvelle. Dès 2007, le Premier ministre François Fillon avait signé une circulaire invitant l'ensemble des membres du gouvernement à diffuser une "Charte de laïcité" dans l'ensemble des services, Ce texte, élaboré à l'époque par le Haut conseil à l'intégration, devait même être affiché "de manière visible et accessible dans les lieux qui accueillent du public ». La démarche était claire : il s'agissait d'une simple opération d'affichage.

Par la suite, l'idée d'une Charte plus contraignante a fait son chemin. La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a ainsi mis en oeuvre une Charte de la laïcité dans toute la branche famille par une circulaire du 23 septembre 2016. Les associations ne peuvent alors obtenir une aide que si elles ont signé ce document par lequel elles s'engagent notamment à respecter l'égalité entre les hommes et les femmes, le principe de dignité etc. En soi, l'idée n'a rien de choquant, si ce n'est qu'il serait peut-être plus simple et plus dissuasif de poursuivre systématiquement les responsables d'associations coupables des infractions graves que constituent des faits de discrimination ou d'atteinte à la dignité de la personne. 

Les collectivités locales, y compris les conseils régionaux, ont adopté des chartes identiques applicables aux mouvements associatifs actifs dans la collectivité et sollicitant aides et subventions. C'est à ce niveau qu'a été posée pour la première fois la question de la légalité d'une telle mesure. Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a été saisi de la délibération du conseil municipal d'Aix-en-Provence conditionnant l'octroi de subventions à la signature d'une charte de la laïcité. Les associations devaient afficher dans leurs locaux la Déclaration des droits de l'homme et intégrer dans leurs statuts "les principes et valeurs de la République ainsi que le principe de laïcité qui en découle". Le juge des référés a suspendu cette délibération, non pas parce que la collectivité exigeait le respect de la laïcité, mais parce qu'elle imposait aux associations une modification de leurs statuts. Or la liberté d'association implique la liberté de s'organiser et de définir ses statuts, dès lors qu'ils ne contreviennent pas aux lois en vigueur, principe affirmé notamment par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Lovric c. Croatie du 4 avril 2017.

Quoi qu'il en soit, l'efficacité d'une telle procédure semble bien difficile à évaluer. On ne trouve pas d'exemple dans la jurisprudence de recours effectués par des associations qui se seraient vu refuser une subvention au motif qu'elles n'auraient pas signé la charte. S'agirait-il d'une mesure cosmétique visant davantage les électeurs de la commune que les associations ? En tout cas, cette réforme ne permet en rien de sanctionner une association qui écarte le principe de laïcité, dès lors qu'elle ne demande pas de subvention. Le problème des groupements affichant une finalité sociale pour mieux pratiquer le prosélytisme religieux ne risque donc pas d'être résolu.


Étude "La Séparation". Glinka

Alexandre Sokolov, piano


La fermeture des associations

 

La seconde réforme mentionnée par Marlène Schiappa dans Le Parisien est bien plus surprenante. Elle consiste à fermer une association qui diffuserait une parole contraire aux "valeurs de la République". La ministre ignorerait-elle l'existence même de la grande décision rendue par le Conseil constitutionnel le 16 juillet 1971, celle-là même par laquelle il s'est approprié le contrôle de constitutionnalité ? En faisant de la liberté d'association un principe fondamental reconnu par les lois de la République et en l'érigeant ainsi au niveau constitutionnel, le Conseil la protégeait contre d'éventuelles atteintes de l'Exécutif. C'est ainsi qu'un préfet ne saurait refuser le récépissé de déclaration d'une association. Dans l'hypothèse où son objet est illicite, il doit alors saisir le juge pour demander la dissolution judiciaire du groupement. 

En proposant, non sans naïveté, une fermeture des associations par l'Exécutif, la future loi sur les séparatisme prendrait évidemment le risque énorme d'une déclaration d'inconstitutionnalité. Il est vrai que les travaux parlementaires récents nous ont habitué à ce type d'errement, qu'il s'agisse de la loi Avia sur les discours de haine, ou des mesures de sûreté prises à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes par la loi du 10 août 2020. Ces deux textes grossièrement inconstitutionnels ont été annulés, presque dans leur totalité, par le Conseil. Si le gouvernement ne se livre pas, pour une fois, à une véritable analyse juridique, la loi sur les séparatismes pourrait connaître un sort identique.

Serait-ce volontaire ? Certains pensent que la loi sur les séparatismes n'a pas d'autre but que d'affirmer le principe de laïcité à des fins électorale.  Il est vrai que la politique menée depuis plusieurs années s'oriente vers un sécularisme à l'américaine visant à protéger la liberté religieuse contre les ingérences de l'Etat, alors même que le principe de laïcité a précisément l'objet contraire de protéger l'Etat contre les ingérences des religions. Dans ce cas, peu importe une éventuelle déclaration d'inconstitutionnalité. Le gouvernement pourra dire qu'il a fait ce qu'il a pu, et que si les choses restent en l'état, c'est bien la faute du Conseil constitutionnel. D'autres pensent plus simplement que les projets de loi sont aujourd'hui rédigés par des spécialistes de la communication, parfois par des cabinets privés, quelquefois par des ONG, mais jamais par des juristes. Au moins, ces derniers ont la consolation de rire un peu, moment de gaîté qui n'a rien de négligeable.


Sur la liberté d'association  : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12, section 2, § 1 B


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