Déclarée conforme à la Constitution par une décision rendue le même jour par le Conseil constitutionnel, la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'urgence sanitaire a été publiée au Journal officiel du 10 juillet. Elle est entrée en vigueur le 11, à point nommé puisque l'état d'urgence sanitaire a précisément pris fin ce même 11 juillet.
Le calendrier était si bien organisé que peu de commentateurs ont songé à étudier le contenu de ce texte. La tendance actuelle est plutôt à l'oubli du Covid-19, de la menace sanitaire qu'il représente et des contraintes qu'il impose. On renonce joyeusement aux gestes barrières et l'on se précipite dans les Rave Parties, les restaurants, les lieux de rencontres en tous genres. Bref, on se déconfine avec jubilation.
La loi du 9 juillet 2020, quant à elle, n'oublie pas les gestes barrières, car l'état d'urgence sanitaire revient masqué. Il est maintenu à Mayotte et en Guyane, collectivités dans lesquelles le virus demeure très actif. Sur le reste du territoire, il est remplacé par une période transitoire qui ne s'achèvera que le 30 octobre, sauf évidemment si le législateur décide une prorogation. Les pouvoirs dévolus au Premier ministre par l'état d'urgence sanitaire sont à la fois confirmés et banalisés, énumérés dans l'article 1er de la loi. En tout état de cause, plusieurs libertés publiques peuvent être mises en quarantaine durant cette période transitoire.
La liberté de circulation
Le chef du gouvernement est d'abord autorisé à réglementer la circulation des personnes et des véhicules, ainsi que l'accès aux transports collectifs. De même, le déplacement par avion peut être subordonné à la présentation d'un certificat attestant d'un dépistage virologique préalable. Il est tout de même précisé que ces mesures peuvent être prises "dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus", On doit donc en déduire que le confinement général de l'ensemble de la population n'est plus juridiquement autorisé. Cette restriction est aisément consentie, car les scientifiques affirment aujourd'hui qu'une telle mesure serait inutile en cas de "seconde vague" du virus.
Les sénateurs auteurs du recours devant le Conseil constitutionnel ont contesté cette disposition qui serait susceptible de conduire à une interdiction générale et absolue de la liberté de circulation, alors même que les conditions de recours à
l'état d'urgence sanitaire ne seraient plus réunies.
Le moyen n'est cependant guère recevable. Certes, l'état d'urgence sanitaire ne peut être décidé qu'en "cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population", et une éventuelle "seconde vague", sans doute plus localisée et moins dévastatrice, ne pourrait sans doute pas être considérée comme une "catastrophe sanitaire". Le problème est que cette condition de mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire est définie par l'article L3131-12 du code de la santé publique, et que ces dispositions n'ont qu'une valeur législative. Le Conseil constitutionnel se réfère donc à l'objectif constitutionnel de protection de la santé, figurant dans le Préambule de la Constitution de 1946. Il précise qu'il appartient au législateur de définir les moyens de gérer un risque sanitaire, et qu'il n'appartient pas au Conseil de remettre en cause son appréciation, sauf si elle se révélait "manifestement inadéquate au regard de la
situation présente". En l'absence d'erreur manifeste, la restriction à la liberté d'aller et venir est donc déclarée conforme à la Constitution.
Medley du confinement. Les Goguette, en trio mais à quatre, 1er juillet 2020
La liberté du commerce et de l'industrie et la liberté de réunion
La sortie de l'état d'urgence s'accommode aussi d'une interdiction d'exercer une activité commerciale (art. 1er, al. 2). Le Premier ministre peut en effet "réglementer l'ouverture au public, y compris les conditions d'accès et
de présence, d'une ou de plusieurs catégories d'établissements recevant
du public ainsi que des lieux de réunion". Les seules exceptions prévues sont les locaux à usage d'habitation ainsi que ceux qui permettent l'accès aux biens et aux services de première nécessité, exceptions identiques à celles qui existaient dans l'état d'urgence sanitaire.
Dans le cas des lieux de réunion, le législateur a adopté une formulation extrêmement compréhensive qui permet au Premier ministre ou au préfet d'ordonner la fermeture "lorsqu'ils accueillent des activités qui, par leur nature
même, ne permettent pas de garantir la mise en œuvre des mesures de
nature à prévenir les risques de propagation du virus ou lorsqu'ils se
situent dans certaines parties du territoire dans lesquelles est
constatée une circulation active du virus".
Devant le Conseil constitutionnel, les sénateurs invoquent cette fois le caractère redondant de ces dispositions. En effet, l'alinéa 3 de l'article 1er de la loi autorise le Premier ministre à interdire les rassemblements ou les réunions de personnes à partir
d'un certain seuil, disposition qui pourrait s'appliquer aux activités commerciales et aux lieux de réunion. Mais ce caractère redondant n'est pas un cas d'inconstitutionnalité, et le Conseil ne s'y arrête pas, préférant se référer une nouvelle fois à l'objectif constitutionnel de protection de la santé. Il observe que ces fermetures peuvent être ordonnées lorsque les établissements
en cause sont situés dans certaines parties du territoire dans
lesquelles est constatée une circulation active du virus, ce qui constitue une donnée facilement vérifiable. L'objet de ces mesures est donc de remédier au risque de contamination que présente la
fréquentation publique de ces lieux. Ces mesures répondent donc à
l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
La liberté de manifestation
Reste évidemment cet alinéa 3 qui autorise l'Exécutif à "réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les
activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public". Le mot "manifestation" n'est pas mentionné, mais il est clair que la liberté de manifester est perçue comme une modalité particulière de la liberté de réunion, qui s'exerce à des fins revendicatives sur la voie publique, c'est-à-dire dans des lieux "ouverts au public". Cette restriction au droit de manifester a été vivement dénoncée pendant les débats parlementaires, certains parlementaires, notamment Insoumis, soupçonnant le gouvernement d'utiliser cette loi pour empêcher les manifestations. Il s'agit sans doute d'un procès d'intention. Il n'en demeure pas moins que le régime de déclaration préalable qui caractérise la liberté de manifestation depuis 1935 est clairement mis en cause, puisque la "réglementation" prévue par la loi peut se traduire par la mise en place d'un régime d'autorisation.
Cette fois, le Conseil constitutionnel invoque l'objectif constitutionnel de protection de la santé, mais il se fonde également sur l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui garantit « La libre
communication des pensées et des opinions". Conformément à sa jurisprudence traditionnelle, le Conseil exerce un contrôle de proportionnalité pour s'assurer que les atteintes portées à l'exercice de cette
liberté et de ce droit doivent être nécessaires, adaptées et
proportionnées à l'objectif poursuivi. Il s'appuie cette fois sur les travaux préparatoires de la loi pour affirmer que le législateur n'a pas entendu autoriser le Premier à substituer un régime d'autorisation préalable au régime déclaratoire existant. Comme toujours dans ce type d'analyse, l'argumentaire n'est pas convaincant. Car le juge administratif, juge de la légalité de l'éventuelle interdiction d'une manifestation, n'est pas tenu de se référer à l'intention du législateur et il peut affirmer la légalité d'une interdiction, en se fondant sur le texte de la loi qui ne l'interdit pas.
Précisément, l'une des faiblesses de la loi réside dans le paragraphe IV de l'article 1 qui énonce que actes pris par le Premier ministre ou l'autorité préfectorale "peuvent faire l'objet d'un
référé-suspension ou d'un référé-liberté devant le juge administratif ". Hélas, car ce que le Conseil constitutionnel considère comme une garantie de protection des libertés s'analyse plutôt comme une menace pour les libertés. Les décisions du juge des référés du Conseil d'Etat durant l'état d'urgence sanitaire ont été globalement marquées par un soutien indéfectible à l'Exécutif. Les seules exceptions, fort modestes, sont intervenues pour autoriser l'usage du vélo pendant le confinement, réglementer celui des drones dans la surveillance du déconfinement et permettre en même temps la réouverture des églises. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, n'a rien à dire sur le sujet. Puisque le Conseil d'Etat est le juge des libertés, il est évident qu'il protégera les libertés pendant cette période transitoire. Comme il l'a fait durant l'état d'urgence sanitaire. Doit-on parler de dialogue des juges ou de connivence entre membres du Conseil d'Etat ?
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