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lundi 29 juin 2020

Le droit d'accès aux archives de François Mitterrand

La décision d'assemblée rendue par le Conseil d'Etat le 12 juin 2020 va certainement satisfaire les historiens. Elle autorise en effet M. G., un auteur préparant un livre sur l'intervention française au Rwanda entre 1990 et 1995, à consulter certaines des archives du président François Mitterrand.
Ces pièces ont été déclassifiées en 2015, mais le fait qu'elles ne soient plus couvertes par le secret de la défense nationale ne signifie pas qu'il soit possible d'y accéder librement. Il convient donc de préciser le régime juridique, ou plutôt les régimes juridiques s'appliquant aux archives des plus hautes autorités de l'Etat.


L'accès dérogatoire aux archives des hautes autorités de l'Etat



La loi du 15 juillet 2008  organise le régime actuel. Le versement des archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des membres du gouvernement peut s'accompagner de la signature d'un protocole entre l'autorité versante et l'administration des archives. Y sont précisées les conditions de traitement, de conservation, de valorisation et de communication des fonds versés pendant la durée de vingt-cinq ans durant laquelle ces pièces sont couvertes par le secret des délibérations du gouvernement. Ce protocole n'est plus applicable en cas de décès du signataire.

Mais les archives de François Mitterrand avaient été versées avant la loi de 2008 et relèvent du régime juridique antérieur, un peu différent. A l'époque, le versement était déjà régi par un protocole, mais ce dernier permettait à l'autorité versante à la fois de définir la durée de confidentialité et de désigner un mandataire habilité à autoriser, ou non, la consultation dérogatoire de ces fonds. Dans le cas présent, le président Mitterrand avait signé le protocole en février 1995, et décidé que ces pièces ne seraient accessibles au public qu'en 2055, à l'issue d'un délai de soixante ans. S'appuyant sur ce protocole, son mandataire a donc refusé l'accès dérogatoire sollicité par le requérant. Le ministre de la culture, quant à lui, n'a pu que prendre acte de ces refus.

Voulant contester cette décision, M. G. s'est successivement heurté à un avis négatif de la Commission d'accès aux documents administratifs, puis à une décision de rejet du Tribunal administratif de Paris. La présente décision est donc le résultat d'un recours en cassation devant le Conseil d'Etat.


Le droit d'accès aux archives publiques



Avant que le Conseil d'Etat ne se prononce, le requérant avait obtenu le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, portant sur la conformité à la Constitution de l'article L213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi du 15 juillet 2008. Sa décision du 15 septembre 2017 n'a certainement pas immédiatement donné satisfaction au requérant.

Certes, le Conseil affirme l'existence d'un "droit d'accès aux archives publiques" qu'il fonde sur l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel ""la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration". Mais, l'audace s'arrête là, car le Conseil constitutionnel affirme que ce droit d'accès aux archives n'a rien d'absolu. Il peut au contraire faire l'objet de "limitations" définies par la loi. Le régime particulier des archives du Président de la République, du Premier ministre et des membres du gouvernement constitue l'une de ces limitations. Et le Conseil estime qu'il répond à un but d'intérêt général, car il est nécessaire d'accorder une protection particulière à des pièces qui sont, pour la plupart, couvertes par le secret des délibérations du gouvernement. Enfin, cette protection est limitée dans le temps, même si la durée de 25 années du droit commun et, a fortiori, les durées encore plus longues pratiquées avant 2008, peuvent sembler interminables au requérant.

Si la décision du Conseil constitutionnel n'a eu aucun effet immédiat, elle est au coeur de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 12 juin 2020, presque trois années plus tard. Dès lors qu'il s'agit désormais d'apprécier une décision portant atteinte à une liberté publique, l'Assemblée du contentieux décide d'exercer un contrôle normal sur le refus d'accès dérogatoire à ce type d'archive.

Plantu. 9 janvier 2016. Le Monde

Le contrôle normal



Renonçant à sa jurisprudence Rouzaud de 2011 qui prévoyait un contrôle minimum, le Conseil d'Etat apprécie la proportionnalité du refus d'accès dérogatoire au droit d'accès aux archives publiques désormais consacré et aux dispositions de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui garantissent un droit de recevoir et de communiquer des informations. Ce contrôle est réalisée à l'aune de l'écoulement du temps, et le juge apprécie la légalité du refus d'accès dérogatoire à la date à laquelle il statue, formule rompant avec le principe selon lequel un acte est apprécié à la date de son édiction.

Après avoir cassé le jugement du tribunal administratif de Paris qui n'avait exercé qu'un contrôle minimum, le Conseil d'Etat décide de régler l'affaire au fond. Il observe d'abord que M. G. a déjà eu communication, en 2015 et 2016, de certains éléments de ces archives et qu'il est l'auteur de deux ouvrages consacrés au conflit du Rwanda. On observe sur ce point que le Conseil d'Etat ne limite pas l'accès dérogatoire aux archives aux seuls chercheurs en histoire, le demandeur étant effectivement chercheur, mais en physique. Surtout, le Conseil d'Etat dresse un inventaire des fonds demandés, et il note qu'il ne s'agit pas de pièces très sensibles. Pour l'essentiel, elles décrivent la politique française et reflètent les prises de position de François Mitterrand, déjà largement connues. On doit donc en déduire que le Conseil d'Etat s'est fait communiquer les pièces demandées, ce qu'il a le droit de faire. Il s'autorise alors à déroger au principe du contradictoire qui permettrait au demandeur d'obtenir les pièces qu'il sollicite avant même que le juge ait statué, la forme épuisant le fond.

S'agissant de documents portant "sur des événements qui sont survenus il y a plus d’une génération", le Conseil estime donc "que l’intérêt légitime du demandeur est de nature à justifier, sans que soit portée une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, l’accès aux archives litigieuses".

De toute évidence, le Conseil d'Etat entend niveler le régime juridique de l'accès aux archives publiques des plus hautes autorités de l'Etat. Il se situe dans la droite ligne d'une évolution qui conduit à percevoir les archives, non plus comme la propriété de l'autorité de versement, mais comme des pièces appartenant à l'Etat dont elle n'est que le détenteur provisoire.

Alors que la durée de confidentialité des archives versées après 2008 est de vingt-cinq années, les protocoles signés avant 2008 pouvaient prévoir des durées dérogatoires laissées entièrement à l'appréciation de l'autorité de versement. François Mitterrand avait ainsi pu choisir une durée de soixante ans, soit plus de deux fois ce qui est désormais le droit commun. En s'attribuer le droit d'apprécier la légalité du refus d'accès à la date du jugement, le Conseil d'Etat place sous son contrôle le régime antérieur à la loi de 2008. Sans doute envisage-t-il de le placer de facto en voie d'extinction, mais, pour le moment, il conserve le privilège exorbitant de définir quelles sont les archives sensibles, et celles qui ne le sont pas.






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