Le 10 juin 2020, Eliane Houlette, ancienne Procureur de la République Financier. était entendue à l'Assemblée nationale par la Commission d'enquête parlementaire sur les obstacles à l'indépendance de l'autorité judiciaire. A ce moment, ses propos n'ont guère suscité qu'un intérêt poli, jusqu'à ce que Marc Leplongeon, dans Le Point, fasse état de cette audition, en mentionnant que le Procureur assurait avoir "subi des pressions".
Depuis la publication de cet article, les responsables des Républicains, du moins ceux qui font partie du dernier carré de fidèles de François Fillon, se déchaînent dans les médias. Bruno Retailleau affirme sur Twitter : "Il fallait détruire le candidat Fillon et tout a été mis en oeuvre pour cela". Quant à Eric Ciotti, il "demande à E. Macron la saisine du CSM et à N. Belloubet de saisir le parquet pour qu'il ouvre une enquête judiciaire pour forfaiture". On pourrait citer une multitude d'interventions tout aussi nuancées. Leurs auteurs ont pour trait commun de ne pas avoir écouté les propos d'Eliane Houlette, ou de ne pas les avoir compris, ou encore de les avoir volontairement déformés.
Les réseaux sociaux jouent ensuite leur rôle de diffusion de l'"information", et chacun sera bientôt convaincu du bien-fondé de ces critiques, sans ressentir le besoin d'aller regarder l'audition de l'ancienne responsable du PNF. D'une certaine manière, l'affaire est exemplaire car elle fait de nous les témoins privilégiés du processus de création des "Fake News".
L'absence de pressions de l'Exécutif
Revenons donc à la réalité des choses, c'est-à-dire aux propos effectivement tenus par Eliane Houlette. Elle affirme d'abord : "D'emblée je dois vous dire qu'aucun des quatre Garde des sceaux qui se
sont succédé de 2014 à 2019 (j'ai quitté mes fonctions le 30 juin 2019),
ou leurs collaborateurs immédiats, ne m'a interrogée ou ne m'a incitée à
agir ou à ne pas agir dans des dossiers particuliers". Aucune pression de l'Exécutif et les poursuites contre François Fillon ne sont pas le fait d'un "Cabinet noir" présidé par le Président de la République de l'époque ou son Premier ministre.
Politique pénale et action publique
Les pressions évoquées par Madame Houlette sont moins visibles car elles viennent de l'intérieur de l'institution judiciaire : "La pression que j'ai pu ressentir (...) s'est manifestée de manière plus indirecte ou plus subtile à travers le rôle du parquet général, dans le contrôle de l'action publique du PNF". Rappelons que le procureur de la République, en l'espèce le Procureur financier, est seul compétent pour exercer l'action publique. Mais il est placé en position de subordination hiérarchique vis-à-vis du Procureur général qui diffuse des instructions générales destinées à assurer la mise en oeuvre de la politique pénale et qui peut aussi faire des demandes de "rapports particuliers" pour s'informer sur les affaire en cours. Ce sont précisément ces demandes d'informations qui, selon Madame Houlette, " peuvent constituer une entrave à l'indépendance". Elle évoque ensuite, les affaires mettant en cause des personnalités politiques, et l'on songe évidemment à François Fillon, qui l'ont contrainte à répondre souvent à plusieurs demandes de précisions par jour et à rédiger une multitude de rapports extrêmement précis sur la procédure en cours.
On peut s'interroger sur la nécessité d'une information aussi large et précise. Le procureur général a-t-il besoin de ces informations détaillées et communiquées en temps réel, alors qu'il n'a pas vraiment "intérêt à en connaître", sa fonction consistant à mettre en oeuvre la politique pénale ? La question mérite d'autant plus d'être posée que le parquet financier a une compétence nationale alors qu'il est placé sous l'autorité du procureur général compétent dans le ressort de la Cour d'appel de Paris. Autrement dit, le procureur général demande des informations sur des faits qui ne concernent pas son ressort. Certes, l'affaire Fillon, est du ressort de la Cour d'appel de Paris, mais il n'en demeure pas moins que le procureur financier est fondé à s'interroger sur les raisons profondes de ces perpétuelles demandes d'informations extrêmement précises : "Le problème est moins dans ces interventions que dans le doute qu'il laisse planer".
La Justice châtiant l'injustice. Nattier. 1737
Un choix de procédure
On comprend alors que les relations entre le Parquet financier et le procureur général sont institutionnellement délicates. Et précisément, l'affaire Fillon a mis en lumière ces difficultés. Les "pressions" évoquées par Eliane Houlette n'ont absolument rien à voir avec les faits qui étaient reprochés à François Fillon, ni avec la qualification de ces faits en abus de biens sociaux (salaires versés par la Revue des deux mondes) ou en détournements de fonds publics (emploi fictif d'assistante parlementaire). Sur ce point, personne n'a contesté l'enquête menée par le PNF.
La seule divergence résidait dans le choix procédural qu'il convenait de faire à l'issue de l'enquête préliminaire. Dans ce cas, le procureur de la République a le choix entre deux options.
Il peut choisir la voie de la citation directe devant le tribunal correctionnel. C'est la procédure utilisée dans plus de 90 % des affaires correctionnelles lorsque les faits sont avérés, et la personne comparaît alors directement devant le juge. Estimant que les faits étaient effectivement avérés, Eliane Houlette, sensible au principe d'égalité des citoyens devant la loi, envisageait une citation directe.
Le parquet général préférait, quant à lui, l'ouverture d'une information judiciaire, c'est-à-dire la saisine d'un juge d'instruction. Et il n'a pas manqué de le faire savoir à Eliane Houlette lors d'une réunion dont elle fait état lors de son audition. Il n'est pas surprenant qu'elle ait vécu cette intervention comme une pression, car le procureur général opérait une confusion troublante entre la politique pénale qu'elle est chargée de mettre en oeuvre, et l'action publique qui relève du seul procureur financier. Or le choix entre la citation directe de François Fillon devant le tribunal correctionnel et la saisine d'un juge d'instruction relève, à l'évidence, de la compétence exclusive du procureur de la République, en l'occurrence le procureur financier.
Voilà donc les "pressions" dont fait état Eliane Houlette. Et c'est à ce niveau que l'on voit se développer les Fake News.
Une "pression" favorable à François Fillon
Car la pression du procureur général en faveur de la saisine d'un juge d'instruction ne jouait pas contre François Fillon mais en sa faveur. Dès lors que le dossier était transmis, non pas à un, mais à trois juges d'instruction, l'homme politique gagnait du temps, élément très précieux pour la personne mise en examen dans une affaire pénale. Ses avocats voyaient s'ouvrir devant eux une longue période durant laquelle ils pourraient développer les arguments de la défense, user de toutes les voies de recours possibles contre les actes d'instruction, utiliser la presse autant que possible. Contrairement à ce qui est affirmé par les représentants des Républicains, les "pressions" subies par Eliane Houlette étaient donc en faveur de François Fillon. Gageons que le procureur général de l'époque entendait "ne pas insulter l'avenir". François Fillon n'était-il pas présenté comme le candidat susceptible de faire gagner la droite aux présidentielles de 2017, alors que le président Hollande décidait de ne pas solliciter un second mandat ?
Le parquet financier a finalement décidé, plus tard, de transmettre le dossier à trois juges d'instruction. Eliane Houlette explique que ce choix était devenu nécessaire en raison de la loi sur la prescription qui allait entrer en vigueur, des faits délictueux réalisés sur une longue durée risquant alors de demeurer impunis. Là encore, le choix était d'ordre procédural.
Il est tout de même pour le moins curieux de voir le ban et l'arrière-ban des Républicains faire dire à Eliane Houlette rigoureusement le contraire de ce qu'elle dit. Il suffit pour s'en convaincre d'aller effectivement l'écouter, mais qui a effectivement fait cette démarche ? Nul doute que cette paresse soit le moteur immobile des Fake News.
Les effets de l'interim
Ceux qui iront entendre Eliane Houlette s'apercevront aussi qu'elle ne dit nulle part avoir souhaité choisir son successeur chargé d'assurer l'interim des fonctions de procureur financier. Elle a simplement souhaité qu'il n'y ait pas d'interim, et que son successeur soit directement nommé. Elle connaissait en effet les risques de l'interim, risques notamment de classement sans suite de certaines affaires, avant que soit nommé le nouveau procureur financier. Ses craintes étaient-elles fondées ? On l'ignore en l'absence de véritable enquête menée notamment par la presse d'investigation.
Mais il est tout à son honneur de souhaiter que l'institution dont elle a été la première responsable continue d'exercer ses fonctions avec la même puissance, et avec le même succès. Car Eliane Houlette a su faire du Parquet financier une institution essentielle de la République, une institution qui, pour la première fois dans l'histoire, a pu lutter efficacement contre la corruption et la fraude fiscale. Et si c'était finalement ce succès que certains lui reprochent ?
Au-delà du buzz médiatique qu'il engendre, le "Houlettegate" - la probité d'Eliane Houlette ne peut être mise en doute un seul instant - met en lumière deux maux de notre société :
RépondreSupprimerLe premier est que les mots ne veulent plus rien dire dans un monde où quelques fins esprits prédisent l'extinction du langage dans les cinq ans. Entre temps, chaque mot peut être déformé, malmené pour lui faire dire ce qu'il ne dit pas surtout à travers les réseaux asociaux. "Les mots mentent comme ils respirent" disait Romain Gary.
- Le second est que la France, patrie autoproclamée des droits de l'homme, n'a toujours pas réglé la question des rapports incestueux entre le pouvoir et le parquet en dépit des arrêts Medvedyev et Moulin de 2010 de la Cour européenne des droits de l'homme. Tant que la demande d'indépendance et d'impartialité du magistrat requise par Strasbourg ne sera pas transcrite dans la Constitution, pèsera un légitime soupçon compréhensible de dépendance du parquet par rapport à l’exécutif.
En définitive, le "Houlettegate" constitue l'accélérateur d'une prise de conscience du grand public que la justice française va mal, y compris sous le règne de Jupiter 1er.
Bonjour, vous écrivez que "la pression du procureur général en faveur de la saisine d'un juge d'instruction ne jouait pas contre François Fillon mais en sa faveur", en expliquant ensuite que cela donnerait du temps au candidat pour se défendre. Mais, sans préjuger de la gravité des accusations sur le fond et de leur incompatibilité avec une candidature présidentielle, je ne partage pas cette analyse quant à la procédure suivie. La saisine de juges d'instruction a permis une mise en examen rapide et spectaculaire de François Fillon, dans un cadrage temporel- pour ne pas dire timing - qui a objectivement nui à sa campagne électorale. Alors que la citation directe a moins d'impact médiatique que la mise en examen - même si c'est tout aussi grave voire plus en procédure pénale - elle n'aurait pas eu le même impact "émotionnel" sur les électeurs. Or la mise en examen précipitée de François Fillon l'a politiquement achevé et donc les prsions du parquet général, qui dépend hiérarchiquement du Garde des sceaux, sont bien à mon avis en défaveur de François et pas en sa faveur. Et si pressions il n'y a pas eu de la part du pouvoir politique, la théorie des apparences est, au moins, malmenée du fait de cette subordination hiérarchique.
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