L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 12 février 2020 annule une décision du directeur du Centre hospitalier de Saint-Denis résiliant la convention de stage d'un médecin égyptien au motif qu'il refusait de tailler une barbe "imposante", risquant "d'être perçue par les agents et les usagers du service public comme la
manifestation ostentatoire d'une appartenance religieuse incompatible
avec les principes de laïcité et de neutralité du service public".
La décision semble aller à rebrousse-poil de la jurisprudence des juges du fond, puisque tant le tribunal administratif de Versailles en 2015 que la Cour administrative d'appel (CAA) de Versailles en 2017 avaient considéré que "le port d'une barbe, même
longue, ne saurait à lui seul constituer un signe d'appartenance
religieuse", mais qu'il pouvait le devenir s'il représentait "dans les circonstances propres à l'espèce",
la
manifestation d'une revendication ou d'une appartenance religieuse.
L'obligation de neutralité
Les stagiaires sont soumis à la même obligation de neutralité que les fonctionnaires titulaires, principe consacré dès l'arrêt Demoiselle Weiss rendu par le Conseil d'Etat en 1938. Cette règle est applicable aux médecins étrangers accueillis dans le service public hospitalier comme stagiaires, pour une période de six mois renouvelable une fois. Le Conseil d'Etat précise que "s'ils bénéficient de la liberté de conscience
qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de
laïcité fait obstacle à ce qu'ils manifestent leurs croyances
religieuses dans le cadre du service public". Cette formule se trouvait déjà dans une décision du 28 juillet 2017, qui affirme que les élèves des instituts de formation paramédicaux, s'ils demeurent des usagers lorsqu'ils suivent les cours, doivent respecter le principe de neutralité quand ils sont en stage au sein d'un service public hospitalier.
Le barbu sans barbe. Salvatore Adamo. 1965
"Une manifestation claire des convictions"
La question posée au Conseil d'Etat est donc de savoir si le port d'une barbe "imposante" constitue, en soi, un manquement à l'obligation de neutralité. A cette question la CAA de Versailles avait répondu négativement, mais en ajoutant que "les circonstances propres à l'espèce" pouvaient conduire à observer un tel manquement. Il lui semblait que c'était le cas dans l'affaire qui lui était soumise, le médecin égyptien ayant refusé de tailler l'objet du litige n'ayant pas nié qu'il s'agissait pour lui de "manifester ostensiblement un engagement religieux".
Aux yeux du Conseil d'Etat ces éléments factuels sont insuffisants pour caractériser la manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public. Sans doute est-il sensible au phénomène de mode qui veut que la barbe constitue aujourd'hui l'ornement d'une proportion croissante des mentons masculins. Au simple port de la barbe doit donc s'ajouter une manifestation claire de convictions religieuses dans l'exercice des fonctions. Or, en l'espèce, le médecin ne s'était livré à aucun acte de prosélytisme ni à aucune manifestation religieuse au nez et à la barbe des patients.
L'argument laisse un peu songeur, car l'intéressé n'avait pas nié que son système pileux avait précisément pour objet de manifester sa religion. Il semble que le Conseil d'Etat refuse de considérer cet élément comme déterminant, s'interdisant ainsi de pénétrer dans la subjectivité de l'intéressé. Peut-être aussi considère que cette absence de dénégation n'est pas suffisante, le médecin égyptien n'ayant pas affirmé positivement sa volonté de prosélytisme.
Cette jurisprudence aura sans doute pour conséquence d'inciter les services concernés à user d'autres voies de droit. Le directeur de l'hôpital aurait en effet pu invoquer des considérations d'hygiène et de sécurité pour justifier sa décision, d'autant que le médecin exerçait ses fonctions au sein d'un service de chirurgie.
Il est très probable que ce motif aurait été admis. La CAA de Versailles, le 19 décembre 2008, en avait déjà décidé ainsi à propos d'un agent dont la commune de Villemomble avait refusé la titularisation. Lui aussi, employé à la piscine municipale, avait refusé de raser sa barbe, et la commune avait fait valoir que cette situation l'empêchait de porter le masque indispensable à sa protection lorsqu'il utilisait les produits d'entretien du bassin. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme incite aussi à une telle pratique et l'arrêt Eweida du 15 janvier 2013 considère que le chef du service de gériatrie peut interdire le port d'une croix aux infirmières, un patient risquant de s'accrocher à ce bijou et de provoquer des blessures.
La décision du Conseil d'Etat a ainsi pour effet principal d'inciter les autorités responsables à mieux motiver leurs décisions en matière de laïcité. La neutralité peut être imposée dans les services publics à condition de s'appuyer sur les bons motifs. Encore faut-il les connaître, former les personnels à ces questions, et prendre des décisions qui seront bien difficiles à attaquer. C'est seulement à ces conditions que les services publics ne seront plus un territoire ouvert aux prosélytismes religieux.
L'argument laisse un peu songeur, car l'intéressé n'avait pas nié que son système pileux avait précisément pour objet de manifester sa religion. Il semble que le Conseil d'Etat refuse de considérer cet élément comme déterminant, s'interdisant ainsi de pénétrer dans la subjectivité de l'intéressé. Peut-être aussi considère que cette absence de dénégation n'est pas suffisante, le médecin égyptien n'ayant pas affirmé positivement sa volonté de prosélytisme.
Les considérations d'hygiène et de sécurité
Cette jurisprudence aura sans doute pour conséquence d'inciter les services concernés à user d'autres voies de droit. Le directeur de l'hôpital aurait en effet pu invoquer des considérations d'hygiène et de sécurité pour justifier sa décision, d'autant que le médecin exerçait ses fonctions au sein d'un service de chirurgie.
Il est très probable que ce motif aurait été admis. La CAA de Versailles, le 19 décembre 2008, en avait déjà décidé ainsi à propos d'un agent dont la commune de Villemomble avait refusé la titularisation. Lui aussi, employé à la piscine municipale, avait refusé de raser sa barbe, et la commune avait fait valoir que cette situation l'empêchait de porter le masque indispensable à sa protection lorsqu'il utilisait les produits d'entretien du bassin. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme incite aussi à une telle pratique et l'arrêt Eweida du 15 janvier 2013 considère que le chef du service de gériatrie peut interdire le port d'une croix aux infirmières, un patient risquant de s'accrocher à ce bijou et de provoquer des blessures.
La décision du Conseil d'Etat a ainsi pour effet principal d'inciter les autorités responsables à mieux motiver leurs décisions en matière de laïcité. La neutralité peut être imposée dans les services publics à condition de s'appuyer sur les bons motifs. Encore faut-il les connaître, former les personnels à ces questions, et prendre des décisions qui seront bien difficiles à attaquer. C'est seulement à ces conditions que les services publics ne seront plus un territoire ouvert aux prosélytismes religieux.
Sur le principe de laïcité : Chapitre 10 du manuel de libertés publiques sur internet version e-book, version papier
Avec le Conseil d'Etat, c'est courage fuyons ! Un nouvel exemple de la médiocrité de l'excellence. Mais, nous sommes rassurés avec les propositions du rapport Thiriez sur les grands corps...
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