La Chaine Public-Sénat doit être remerciée car elle vient de suppléer efficacement à la négligence de l'Exécutif en matière de transparence administrative. Elle publie en effet sur son site la circulaire " relative à l’attribution des nuances politiques aux
candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars
2020 », circulaire qui, mystérieusement, n'avait pas été rendue publique. Une fois connue, la circulaire n'a pas manqué de susciter les cris scandalisés des élus locaux d'opposition, qui se préparent à la contester devant le Conseil d'Etat.
22 nuances de listes
Ce texte établit une "grille des nuances" que les préfets devront attribuer aux listes candidates aux municipales. Pour les scrutins se déroulant dans les communes de 9000 habitants et plus, sont ainsi répertoriées 24 nuances politiques individuelles concernant les candidats, et 22 nuances de listes. L'ensemble de ces nuances est ensuite regroupé en six grands groupes : extrême gauche, gauche, courants politiques divers (parmi les quels les listes régionalistes et gilets jaunes), centre (dont LaRem), droite, extrême droite. Certes, on peut évoquer le côté artificiel de d'une classification qui place Europe Ecologie Les Verts à gauche, et les autres listes écologistes parmi les "divers". On pourrait aussi se demander si Debout la France peut justement est classé à l'extrême-droite, alors que certains élus Les Républicains développent des programmes proches, et sont, eux classés à droite.
Les commentateurs ont déjà envisagé l'aspect strictement politique de ce
texte. Il est évident que sa finalité est de brouiller l'analyse
politique des résultats du scrutin. Le texte précise ainsi que la nuance attribuée aux listes par le préfet "doit être distinguée de l'étiquette politique (...). La nuance est attribuée de manière discrétionnaire par vos services (...) Il est tout à fait possible qu'elle soit différente de l'étiquette librement déclarée par le candidat".
Comment parvenir à un tel prodige ? En utilisant comme critère l'investiture ou les investitures, voire le simple soutien dont bénéficient les listes. Le ministre précise ainsi que la nuance "Divers centre" sera attribuée aux listes qui auront obtenu l'investiture de plusieurs partis, dont LaRem ou le Modem. Une liste qui se déclare "Les Républicains" sera donc récupérée par LaRem si elle a lui a donné son investiture, ou son soutien. Bref, tout le monde se retrouve au "centre", en compagnie de LaRem. On peut ainsi envisager un vrai succès électoral, au moins sur le papier.
Complainte du candidat aux municipales d'une commune de moins de 9000 habitants
Qui suis-je ? Guy Béard. Archives INA, 9 février 1967
Qui suis-je ? Guy Béard. Archives INA, 9 février 1967
Les communes de moins de 9000 habitants
Mais le problème le plus grave est ailleurs, dans le fait que les listes présentes dans les communes de moins de 9000 habitants sont exclues de toute classification. S'il est vrai que la pratique des nuances par le ministère de l'intérieur n'est pas récente, on observe tout de même qu'en 2014, l'élargissement du scrutin de liste avait conduit à n'exclure de la classification que les communes de moins de 1000 habitants. A l'époque, cette pratique avait paru normale car les candidats aux élections municipales dans ces petites communes se revendiquent généralement de l'intérêt local. Mais la situation est évidemment bien différente lorsque la commune se rapproche du seuil des 9000 habitants.
En 2020, cette exclusion concerne 96 % des communes, et plus de la moitié de la population. Pour ne prendre qu'un exemple, le département de l'Ain ne compte que dix communes de plus de 9000 habitants sur 393 villes et villages. Sur l'ensemble de la France, les résultats des élections municipales seront donc présentés à partir de ceux de 4 % des communes. On comprend évidemment que LaRem n'a pas très envie de diffuser des résultats qui mettraient en lumière sa faible implantation dans les zones rurales.
En 2020, cette exclusion concerne 96 % des communes, et plus de la moitié de la population. Pour ne prendre qu'un exemple, le département de l'Ain ne compte que dix communes de plus de 9000 habitants sur 393 villes et villages. Sur l'ensemble de la France, les résultats des élections municipales seront donc présentés à partir de ceux de 4 % des communes. On comprend évidemment que LaRem n'a pas très envie de diffuser des résultats qui mettraient en lumière sa faible implantation dans les zones rurales.
Les mobiles politiques sont transparents et pourraient suffire à expliquer les réticences du ministre à publier la circulaire. La justification juridique, de son côté, semble très peu élaborée.
Pour les nuances attribuées dans les communes de 9000 habitants, la circulaire se borne à mentionner que "la grille des nuances est dépourvue de tout effet juridique". A l'appui de cette affirmation, elle cite l'arrêt Parti des travailleurs rendu par le Conseil d'Etat le 2 avril 2003. La lecture de cette décision montre pourtant qu'elle dit précisément le contraire : "Considérant que la grille contestée a été utilisée pour présenter les
résultats des élections législatives de 2002 ; qu'elle a ainsi produit
des effets et continue de constituer la référence lorsque les résultats
de ces élections sont rappelés (...)". Elle ajoute ensuite que la qualification du Parti des travailleurs à l'extrême-gauche de l'échiquier politique n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation. Non seulement le nuancier a des effets juridiques, mais il est susceptible de recours.
La sincérité du scrutin
Dans le cas de la circulaire de 2020, la question est donc celle de l'éventuelle erreur manifeste d'appréciation, puisque c'est effectivement le contrôle exercé par le Conseil d'Etat. La jurisprudence antérieure se réduit au contentieux électoral, celui qui a lieu non pas avant, mais après les élections. Certains candidats battus ont en effet considéré que l'attribution d'une nuance politique avait eu pour effet de vicier la sincérité du scrutin. Jusqu'à aujourd'hui, le Conseil d'Etat n'a annulé aucune élection sur ce fondement, mais il a toutefois défini des critères de nature à justifier une éventuelle annulation.
Le premier d'entre eux, comme toujours en matière électorale, est le faible écart de voix. Il ne saurait évidemment concerner un recours contre la circulaire de 2020, qui peut être antérieur au scrutin, et ne concerne pas une élection particulière. Le second critère est beaucoup plus intéressant, et se trouve tout entier dans un phrase que le Conseil d'Etat reprend dans tous les arrêts concernés, par exemple dans la décision du 17 novembre 2010 : " Il ne résulte pas de l'instruction que cette nuance ait reçu un écho dans le débat électoral". En effet, la sincérité ne peut être atteinte si les électeurs n'ont pas eu connaissance de cette nuance ou ne s'y sont pas intéressés. Or précisément, malgré les tentatives du ministre de l'intérieur pour que la circulaire passe inaperçue, elle est aujourd'hui connue, diffusée et débattue. Elle a donc reçu "un écho dans le débat électoral".
Au-delà de la sincérité du scrutin, c'est aussi le principe constitutionnel de pluralisme des courants d'opinion qui est en cause, et cette fois le problème concerne l'ensemble des communes françaises, quelle que soit leur population. L'article 4 de la Constitution énonce en effet que "la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation". Là encore, les décisions concernent l'annulation de consultations électorales, mais on a vu le Conseil d'Etat confirmer celle de Vitrolles en 1996, en se fondant précisément sur le non respect du principe de pluralisme des opinions. Les principales chaines de télévision avaient en effet réalisé plusieurs reportages sur cette consultation, en oubliant systématiquement de mentionner la candidature du requérant.
Pour apprécier l'éventuelle atteinte au principe de pluralisme, le Conseil d'Etat devra inverser l'analyse. L'attribution d'une nuance politique est-elle un pouvoir discrétionnaire du ministre ou constitue-t-elle un droit des candidats ? Une tête de liste Les Républicains qui se voit rangée parmi les centristes parce qu'il a reçu le soutien de LaRem ne peut-il invoquer une atteinte à son droit d'affirmer une position politique, quand bien même certains de ses colistiers ne seraient pas membres du même parti ? En tout état de cause, s'il est élu, il sera ensuite un maire Les Républicains. N'aurait-il pas été possible de situer cette liste à droite, le soutien LaRem n'étant pas nécessairement incompatible avec une telle qualification ? De son côté, le maire d'une commune d'une centaine d'habitants n'a-t-il pas le droit de voir respecter son étiquette politique, s'il a choisi d'en afficher une ?
Le Conseil d'Etat pourrait consacrer un droit au respect de l'affichage politique d'une liste aux élections municipales, élément du principe de pluralisme. Aura-t-il le courage de le faire ? Nous allons le savoir rapidement, car deux candidats Les Républicains, précisément dans l'Ain, ont déposé une demande de référé. A suivre.
Le premier d'entre eux, comme toujours en matière électorale, est le faible écart de voix. Il ne saurait évidemment concerner un recours contre la circulaire de 2020, qui peut être antérieur au scrutin, et ne concerne pas une élection particulière. Le second critère est beaucoup plus intéressant, et se trouve tout entier dans un phrase que le Conseil d'Etat reprend dans tous les arrêts concernés, par exemple dans la décision du 17 novembre 2010 : " Il ne résulte pas de l'instruction que cette nuance ait reçu un écho dans le débat électoral". En effet, la sincérité ne peut être atteinte si les électeurs n'ont pas eu connaissance de cette nuance ou ne s'y sont pas intéressés. Or précisément, malgré les tentatives du ministre de l'intérieur pour que la circulaire passe inaperçue, elle est aujourd'hui connue, diffusée et débattue. Elle a donc reçu "un écho dans le débat électoral".
Le principe de pluralisme
Au-delà de la sincérité du scrutin, c'est aussi le principe constitutionnel de pluralisme des courants d'opinion qui est en cause, et cette fois le problème concerne l'ensemble des communes françaises, quelle que soit leur population. L'article 4 de la Constitution énonce en effet que "la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation". Là encore, les décisions concernent l'annulation de consultations électorales, mais on a vu le Conseil d'Etat confirmer celle de Vitrolles en 1996, en se fondant précisément sur le non respect du principe de pluralisme des opinions. Les principales chaines de télévision avaient en effet réalisé plusieurs reportages sur cette consultation, en oubliant systématiquement de mentionner la candidature du requérant.
Pour apprécier l'éventuelle atteinte au principe de pluralisme, le Conseil d'Etat devra inverser l'analyse. L'attribution d'une nuance politique est-elle un pouvoir discrétionnaire du ministre ou constitue-t-elle un droit des candidats ? Une tête de liste Les Républicains qui se voit rangée parmi les centristes parce qu'il a reçu le soutien de LaRem ne peut-il invoquer une atteinte à son droit d'affirmer une position politique, quand bien même certains de ses colistiers ne seraient pas membres du même parti ? En tout état de cause, s'il est élu, il sera ensuite un maire Les Républicains. N'aurait-il pas été possible de situer cette liste à droite, le soutien LaRem n'étant pas nécessairement incompatible avec une telle qualification ? De son côté, le maire d'une commune d'une centaine d'habitants n'a-t-il pas le droit de voir respecter son étiquette politique, s'il a choisi d'en afficher une ?
Le Conseil d'Etat pourrait consacrer un droit au respect de l'affichage politique d'une liste aux élections municipales, élément du principe de pluralisme. Aura-t-il le courage de le faire ? Nous allons le savoir rapidement, car deux candidats Les Républicains, précisément dans l'Ain, ont déposé une demande de référé. A suivre.
Quand vous écrivez "S'il est vrai que la pratique des nuances par le ministère de l'intérieur n'est pas récente, on observe tout de même qu'en 2014, l'élargissement du scrutin de liste avait conduit à n'exclure de la classification que les communes de moins de 1000 habitants., vous évoquez ce qui a été effectivement appliqué pour les municipales de 2014 ou ce que prescrit le décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 qui a remplacé celui du 30 août 2001 (2001-777) encore applicable au printemps, au moment des élections ?
RépondreSupprimerPar ailleurs, estimez vous que le décret de 2014 contient une obligation de nuancer les candidats dans les communes de plus de 1000 habitants ? Auquel cas c'est une erreur de droit et non une erreur manifeste d'appréciation qui pourrait entraîner l'annulation de la circulaire.