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dimanche 11 août 2019

Guerre des polices et pesticides

La presse du 6 août 2019 mentionne que le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine) est "convoqué" devant le tribunal administratif, pour avoir pris un arrêté interdisant l'utilisation des pesticides à moins de 150 mètres de toute habitation. Il ne s'agit évidemment pas d'une convocation pénale, mais d'un déféré administratif, c'est-à-dire d'une saisine du tribunal administratif de Rennes par la préfète du département. Celle-ci a demandé à l'élu de retirer l'arrêté qu'elle juge illégal. Devant son refus, elle demande l'annulation contentieuse de sa décision. La procédure est donc celle du contrôle de légalité, procédure essentielle de la décentralisation française.


Une finalité de police générale 



L'élu écologiste de Langouët entend exercer le pouvoir de police générale qui lui est conféré par l'article L 2212-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ». En interdisant l'usage de pesticides sur l'ensemble de la commune "à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d'habitation ou professionnel", le maire se propose donc de protéger la santé des habitants de sa commune.

Attaché au pouvoir de police générale, l'arrêté a donc un objet préventif. Son auteur invoque évidemment la salubrité et la santé publiques, composantes de l'ordre public, finalités traditionnelles de la police municipale. L'élu se voit ainsi confier, selon les termes mêmes de l'article L 2212-2 CGCT "le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature". Dans une décision du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat, a ainsi engagé la responsabilité d'un élu qui n'avait pas usé de son pouvoir de police pour faire cesser une pollution provoquée par une installation d'assainissement défectueuse.

Sur le fond, le maire de Langouët peut s'appuyer sur le principe de précaution, figurant dans l'article 5 de la Charte pour l'environnement, elle-même intégrée dans le bloc de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a ainsi reconnu cette valeur constitutionnelle du principe de précaution dans sa décision du 19 juin 2008. Il a ensuite admis qu'il puisse être invoqué dans une QPC le 11 octobre 2013, mais ne s'est jamais appuyé sur lui pour déclarer l'inconstitutionnalité d'une norme législative. Le Conseil d'Etat ne fait pas davantage preuve d'audace et a déclaré illégaux, dans trois arrêts du 26 octobre 2011, des arrêtés municipaux interdisant le déploiement d'antennes téléphoniques sur le territoire de la commune, décisions fondées sur le principe de précaution. On peut en déduire que le principe de précaution est dans la Constitution comme figure rhétorique, une posture idéologique.  Pour le moment, il n'a jamais été invoqué avec succès devant la juridiction administrative, à l'exception de quelques jugements de combat prononcés par des tribunaux administratifs, rapidement annulés par le Conseil d'Etat.

Il est probable que le tribunal administratif de Rennes, sauf si précisément il veut se lancer dans une jurisprudence de combat, n'aura même pas à s'interroger sur la conformité de l'interdiction prononcée par le maire de Langouët au principe de précaution. 

Il lui suffit en effet de mentionner l'existence d'une police spéciale dans ce domaine. La police phytosanitaire repose en effet sur les article L 251-3 et suivants du code rural et de la pêche maritime (CRPM). C'est ainsi que, dans une décision du 7 août 2008, le Conseil d'Etat a engagé la responsabilité de l'Etat, qui n'avait pas usé de ce pouvoir de police spéciale pour empêcher une épidémie qui affectait des vergers et dont l'origine se situait dans une souche de virus, échappée d'un établissement de recherche de l'INRA. La préfète d'Ille-et-Vilaine estime donc que le maire de Langouët n'est pas compétent pour agir contre les pesticides, cette compétence relevant de la police phytosanitaire spéciale confiée au ministre de l'agriculture.

Habitant de Langouët menacé par l'épandage de pesticides
La mort aux trousses, Alfred Hitchcock, 1959, Cary Grant


Les concours de police

 

Si ce n'est que le droit n'interdit pas les concours de police. L'arrêt du 27 juillet 2015 se montre très clair sur ce point : "L’octroi au maire (...) de pouvoirs de police spéciale en matière de contrôle des installations d’assainissement non collectif n’a pas privé celui-ci des pouvoirs de police générale qu’il tient de l’article L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, notamment en vue de faire cesser les pollutions de toute nature". Certes, mais il s'agit là de deux pouvoirs de police exercés par une même autorité, le maire.

La question est plus complexe lorsque le pouvoir de police générale du maire se heurte à un pouvoir de police spéciale détenue par le pouvoir central, et dont précisément il n'entend pas user. C'est bien le cas dans l'affaire de Langouët et l'élu invoque d'ailleurs une "carence" de l'Etat dans le domaine de l'épandage des pesticides. 

Or l'arrêt Commune de Valence du 24 septembre 2012, rendu par le Conseil d'Etat dans une affaire similaire, fait prévaloir la police spéciale sur la police générale. En l'espèce, l'élu, se fondant, notamment, sur le principe de précaution, a interdit en plusieurs parties du territoire de la commune la culture en plein champ de plantes génétiquement modifiées, pour une durée de trois ans. Le juge administratif, confronté ainsi à une concurrence entre les deux polices, estime alors que, bien que responsable de l'ordre public sur son territoire, l'élu "ne saurait en aucun cas s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale".

Doit-on en déduire une contradiction entre la jurisprudence de septembre 2012 et celle de juillet 2015 ? Non, car il existe une différence de fond entre les deux affaires. Dans celle de 2015, le maire s'était abstenu de prendre des mesures pour faire cesser des inondations d'eau polluée qui entraînaient une surmortalité des ovins des exploitations proches. Dans l'arrêt de 2012, le maire, en prenant un arrêté d'interdiction des OGM, ne répondait au contraire à aucune situation d'urgence particulière à sa commune. L'application, ou non, du principe de précaution relevait donc de la compétence exclusive du ministre.

Il est donc probable que l'élu de Langoüet verra, tôt ou tard, son arrêté municipal annulé par le juge administratif. Une telle décision suscitera certainement des protestations diverses des protecteurs de l'environnement. Mais si l'élu local a le mérite de soulever un problème de société, son pouvoir de police ne saurait toutefois le résoudre, tant il est vrai que la pollution par pesticides dépasse largement la commune de Langouët. Il s'agit, à l'évidence, d'une question de société et de santé publique qui ne peut être traitée, et tranchée, qu'au niveau national, ne serait-ce que pour garantir le respect de l'égalité des citoyens devant la loi. Maintenant que tous les partis politiques se proclament résolument écologiques, attachés depuis toujours à l'environnement, et préoccupés par la santé des électeurs, la question de l'usage abusif des pesticides va peut-être pouvoir être débattue au Parlement. A moins précisément que le lobby des marchands de pesticides n'ait déjà fait quelques ravages dans les assemblées parlementaires.



 

1 commentaire:

  1. Sauf que le juge ne fait pas son boulot d'officier public. En effet, ayant connaissance d'un risque de crime d'empoisonnement (même Macron a reconnu que maire avait raison sur le fond), il se devait, en parallèle de l'annulation de l'arrêté municipal, de dénoncer la carence coupable de l'état (suspicion d'empoisonnement) au procureur de la république, sous peine de se faire complice.

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