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jeudi 22 août 2019

Extradition : Etendue du contrôle de la chambre de l'instruction

Par deux arrêts du 7 août 2019,  la Chambre criminelle de la Cour de cassation donne aux juges du fond des éléments très utiles pour exercer, et approfondir, leur contrôle sur la procédure d'extradition. 

Dans le premier arrêt, le requérant, M. X., de nationalité moldave, est réclamé par plusieurs Etats.  D'abord par la France qui, par un mandat d'arrêt européen, a obtenu des autorités roumaines, sa remise dans le cadre d'une information judiciaire ouverte dans notre pays. Ensuite par la Russie qui, ayant appris que l'intéressé était incarcéré France, a cette fois utilisé la procédure d'extradition de droit commun, dans le cadre d'une enquête criminelle pour violation de secret bancaire et tentative de vol en bande organisée. M. X. a donc été placé sous écrou extraditionnel en juin 2018. 

Dans le second arrêt, le requérant est un Chilien, qui a fait l'objet d'un mandat d'arrêt international, dans le cadre d'une enquête relative au meurtre d'un carabinier en 2006.  


L'extradition



Rappelons que l'extradition est un instrument d'entraide judiciaire internationale. La loi du 10 mars 1927 la définissait comme "la remise par le gouvernement français, sur leur demande, aux gouvernements étrangers de tout individu, non français, qui étant l'objet d'une poursuite intentée au nom de l'Etat requérant ou d'une condamnation par ses tribunaux est trouvé sur le territoire de la République". Cette loi a été intégrée au code de procédure pénale, et la définition de l'extradition n'a pas été modifiée. D'une manière générale, l'extradition est très largement gérée par des conventions internationales, notamment la convention européenne d'extradition qui fonde en l'espèce la demande russe. En revanche, la demande chilienne demeure gérée par le droit commun du code de procédure pénale.

Sur le plan procédural, l'extradition présente l'originalité de donner lieu à un double contrôle, d'abord celui du juge judiciaire, et la chambre de l'instruction de la Cour d'appel donne ainsi un avis sur la demande après avoir entendu l'intéressé, ensuite celui du juge administratif qui contrôle la légalité du décret d'extradition pris ensuite par le Premier ministre. L'avis de la chambre de l'instruction ne s'analyse pas comme une procédure consultative ordinaire.  Lorsqu'il est défavorable à l'extradition, il a autorité de chose jugée, et le ministre de la justice ne peut donc pas proposer le décret à la signature du Premier ministre. En revanche, lorsque l'avis est favorable, il redevient purement consultatif, et le Premier ministre conserve encore le chois de refuser l'extradition. 

En l'espèce, l'avis de la Chambre de l'instruction était favorable dans les deux cas.


La prescription



Le ressortissant chilien voit son pourvoi rejeté. Il invoquait essentiellement la prescription de l'action publique, tant au regard du droit français que du droit chilien.

L'article 10 de la Convention européenne d'extradition précise en effet qu'elle "ne sera pas accordée si la prescription de l'action ou de la peine est acquise d'après la législation soit de la partie requérante, soit de la partie requise". De son côté, l'article 696-4 du code de procédure pénale précise que "l'extradition n'est pas accordée "lorsque, d'après la loi de l'Etat requérant ou la loi française, la prescription de l'action s'est trouvée acquise antérieurement à la demande d'extradition, ou la prescription de la peine antérieurement à l'arrestation de la personne réclamée et d'une façon générale toutes les fois que l'action publique de l'Etat requérant est éteinte". Il appartient donc à la chambre de l'instruction de s'assurer, avant de rendre son avis, que les faits ne sont prescrits dans aucun des deux systèmes. Ce principe, rappelé, dans un arrêt du 23 septembre 2015, impose ainsi une motivation très substantielle de l'avis lorsque la prescription est invoquée.

Dans le cas présent, le juge observe que les délais de prescription, en matière criminelle, est de quinze ans à compter des faits au Chili, alors qu'il est de vingt ans en France, à la condition qu'il n'ait été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite. Les faits sont toutefois intervenus en mai 2006, à une époque antérieure à la loi française du 27 février 2017, alors que la prescription était de dix ans. Mais les juges français constatent que les juges chiliens ont formulé leur demande d'extradition seulement en 2011. La prescription n'est donc acquise ni en France, ni au Chili. La chambre criminelle précise toutefois que le contrôle de la chambre de l'instruction ne saurait la conduire jusqu'à la vérification de la qualification retenue par les juges chiliens. 

Le ressortissant moldave, quant à lui, obtient la cassation, précisément parce que la Chambre de l'instruction n'a pas procédé à ce contrôle de manière approfondie. En effet, elle s'était bien assurée de l'absence de prescription en droit russe, mais ne s'était pas livrée à la même analyse concernant le droit français. Or la question se posait car les faits avaient été commis en 2013, et la prescription délictuelle, selon la loi applicable était de trois ans. Elle était donc acquise en droit français, au moment de la demande russe intervenue en juin 2017.

 
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Le quantum de la peine encourue 



Mais la Chambre de l'instruction a également omis une autre vérification, celle du quantum de la peine encourue. Aux termes de l'article 2 de la convention européenne d'extradition et de l'article 696-15 du code de procédure pénale, l'extradition ne peut être accordée que si les faits sont punis par les deux systèmes juridiques d'une peine privative de liberté égale ou supérieure à un an. Or, en l'espèce, la chambre de l'instruction s'est bornée à mentionnée que M. X. était poursuivi pour des faits correspondant, en droit français, à une série d'infractions liées à la contrefaçon et à l'escroquerie en bande organisée. Le droit russe n'est pas mentionné, et cette lacune est sanctionnée par la Cour de cassation.

Cette jurisprudence conduit à exiger du juge français un exercice de "traduction" de la peine étrangère dans le droit français. Une fois cette opération effectuée, le juge devra ensuite s'assurer que cette traduction est conforme à l'article 696-3 du code de procédure pénale qui énonce les faits susceptibles de donner lieu à extradition. Ainsi, le juge français peut, le cas échéant, opérer une requalification, par exemple en considérant comme délit ce que le droit étranger qualifie de crime, dès lors que l'emprisonnement ne dépasse pas un an. Il s'agit donc de faire entrer les infractions définies par les systèmes juridiques dans le cadre tripartite défini par le droit français : crime, délit ou contravention.

En imposant un contrôle aussi important, la Cour de cassation n'entend certainement pas imposer une lecture franco-française du droit de l'extradition. Elle entend faire prévaloir l'esprit de la Convention européenne d'extradition. Celle repose en effet sur l'équilibre de la procédure, principe de double incrimination, symétrie du quantum des peines etc. La qualification donnée par les Etats doit ainsi pouvoir être écartée pour faire prévaloir ce principe de symétrie. Inutile de dire que cette même faculté peut être exercée, de la même manière, par les juges russes confrontées à une demande d'extradition formulée par les juges français.

Sur l'extradition : Chapitre 5, Section 2, § 2, D. du manuel de Libertés publiques sur internet.







 

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