Le 28 février 2019, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu deux arrêts portant sur les obligations pesant sur les Etats lors de l'accueil et du séjour de mineurs isolées non-accompagnés (MNA). La première décision sanctionne les autorités grecques qui avaient détenu des mineurs dans différents postes de police, pour des périodes allant de 21 à 33 jours, avant qu'ils soient transférés dans un centre d'accueil, puis pris en charge par des structures de protection spécifiquement compétentes en matière de protection de l'enfance. La seconde décision concerne la France, les autorités n'ayant pas exercé de manière satisfaisante leur obligation de prise en charge et de protection d'un mineur de onze ans d'origine afghane, qui a vécu plusieurs moins dans la "jungle" de Calais. Dans les deux cas, le comportement des Etats est considéré comme une violation de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui interdit les traitements inhumains ou dégradants.
Un enfant dans la jungle
Le jeune Jamil Khan indique avoir quitté l'Afghanistan à la fin du mois d'août 2015 après le décès de son père, dans le but de rejoindre le Royaume-Uni. Arrivé en France dans le courant du mois de septembre, il s'est rendu à Calais, dans l'espoir d'y trouver un moyen de passage. En attendant cette opportunité, il s'est installé dans une cabane. Il a alors été en contact avec différentes ONG qui ont obtenu du juge des enfants de Boulogne sur Mer, en février 2016, une ordonnance de protection le confiant à l'aide sociale à l'enfance. Mais cette ordonnance ne fut jamais exécutée. Après le démantèlement de la "jungle", Jamil Khan est finalement parvenu à passer en Angleterre en mars 2016, et il vit actuellement dans un foyer de protection de l'enfance de Birmingham. En avril 2016, le juge des enfants de Boulogne a prononcé la mainlevée de la mesure de placement constatant que l'enfant "était en fugue et n'avait plus donné de nouvelles".
L'affaire illustre la situation humanitaire dramatique dans laquelle se trouvent les mineurs isolés sur le territoire français. Exposés à de multiples dangers, ils doivent faire l'objet de mesures de protection. L'article 20 de la Convention relative aux droits de l'enfant impose aux Etats de garantir à
tout enfant « temporairement ou définitivement privé de son milieu
familial » relevant de leur juridiction « une protection de
remplacement conforme à sa législation nationale ». Cette obligation s'impose quelle que soit l'origine de l'enfant (article 2). La CEDH, quant à elle, estime que le non respect de cette obligation de protection constitue une atteinte à l'article 3 qui interdit les traitement inhumains ou dégradants.
A dire vrai, la condamnation de la France ne faisait guère de doute. Dans un arrêt Rahimi c. Grèce du 5 avril 2011, la CEDH avait déjà jugé que l'omission des autorités de prendre en charge un mineur isolé emportait une atteinte à l'article 3, quand bien même cette prise en charge aurait finalement été assurée par des ONG locales. De fait, les tiers intervenants, le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, le Gisti, et la Cabane Juridique plaident tous dans le même sens, contre le gouvernement français, en insistant sur le fait que l'ordonnance du juge des enfants n'a jamais été exécutée. Ils insistent aussi sur la jurisprudence qui considère que, pour être sanctionné sur le fondement de l'article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre une certaine gravité.
En l'espèce, ce caractère de gravité est nécessairement présent dès lors que le requérant est un enfant de onze ans au moment de son arrivée en France et de douze ans au moment de son départ pour le Royaume-Uni. D'une manière constante, et notamment dans une décision récente N.T.P. et autres c. France du 24 mai 2018, la CEDH considère que cette gravité s'apprécie notamment au regard de l'"extrême vulnérabilité" de l'enfant. Dans l'arrêt Rahimi c. Grèce, elle affirme ainsi qu'un mineur étranger non accompagné en situation irrégulière relève de la "catégorie des personnes les plus vulnérables de la société". De cette jurisprudence, on peut déduire qu'un mauvais traitement infligé à un enfant est presque toujours considéré comme inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention.
Il est évident que le jeune Jamil Kahn a souffert des conditions de vie particulièrement précaires de la "jungle" de Calais. L'arrêt s'analyse ainsi comme un long rappel des mauvais traitements subis par l'enfant, appréciation de fait témoignant de leur gravité, et permettant donc de les rattacher à l'article 3 de la Convention.
La Cour observe ainsi que les autorités ont commencé à se pencher sur le cas du requérant à partir du moment où une ordonnance ordonnant sa protection a été prise par le juge des enfants, soit six mois après son arrivée à Calais. Durant toute cette période, la seule aide qui lui a été apportée était celle des ONG. Et même après cette ordonnance, aucune recherche pour retrouver l'enfant et la faire exécuter n'a été sérieusement entreprise. De son côté, le gouvernement invoque la fugue de l'enfant qui, désireux de se rendre au Royaume-Uni, souhaitait se soustraire à des mesures de protection qui l'auraient empêché de mettre son projet à exécution. Les autorités estiment d'ailleurs que les ONG et même l'avocat de l'enfant auraient dû le remettre aux autorités, pour garantir sa protection. Mais cette fois, la Cour revient à une analyse purement juridique et rappelle que la protection des mineurs isolés est une obligation des Etats, et non pas un devoir des ONG. C'est encore moins un devoir de l'enfant lui-même qui n'avait pas à effectuer seul les démarches de nature à assurer sa protection. Autrement dit, si l'enfant tente de se soustraire à la mesure de protection, il appartient aux autorités de le retrouver, recherche qui ne doit pas être si difficile, si l'on considère qu'il n'a jamais quitté Calais, jusqu'à son départ pour le Royaume-Uni.
C'est donc l'inertie du gouvernement qui est sanctionnée par la CEDH. Observons tout de même que l'on évaluait à 2 000 le nombre de mineurs non accompagnés dans la "jungle" de Calais, le plus souvent désireux de passer en Angleterre et donc peu enclins à accepter les mesures de protection. Depuis cette date, la prise en charge de ces mineurs a tout de même été améliorée, tant au regard de l'évaluation de leur situation qu'au niveau de leur prise en charge impliquant une meilleure répartition de ces enfants sur le territoire.
D'autres questions devraient certainement être posées, en particulier celles des mesures préventives de nature à empêcher le départ de ces enfants isolés de leur pays d'origine, De même, le rôle des ONG n'est pas dépourvu d’ambiguïté. D'un côté, elles remplissent une mission d'aide et d'assistance qui devrait les conduire à travailler autant que possible avec les services de l'Etat car l'intérêt des mineurs non accompagnés n'est certainement pas de se soustraire aux mesures de protection. De l'autre côté, ces mêmes ONG viennent en tiers intervenants accabler un Etat submergé par un afflux de mineurs non accompagnés qu'il ne parvient pas à gérer efficacement. Certes, l'Etat ne remplit sans doute pas cette mission avec l'efficacité requise, mais ne doit-on pas considérer que l'extrême vulnérabilité de ces enfants justifie le concours de toutes les bonnes volontés.
Une jurisprudence constante
A dire vrai, la condamnation de la France ne faisait guère de doute. Dans un arrêt Rahimi c. Grèce du 5 avril 2011, la CEDH avait déjà jugé que l'omission des autorités de prendre en charge un mineur isolé emportait une atteinte à l'article 3, quand bien même cette prise en charge aurait finalement été assurée par des ONG locales. De fait, les tiers intervenants, le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, le Gisti, et la Cabane Juridique plaident tous dans le même sens, contre le gouvernement français, en insistant sur le fait que l'ordonnance du juge des enfants n'a jamais été exécutée. Ils insistent aussi sur la jurisprudence qui considère que, pour être sanctionné sur le fondement de l'article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre une certaine gravité.
La chasse à l'enfant. Les Frères Jacques, mars 1957
Paroles de Jacques Prévet
La vulnérabilité des enfants
En l'espèce, ce caractère de gravité est nécessairement présent dès lors que le requérant est un enfant de onze ans au moment de son arrivée en France et de douze ans au moment de son départ pour le Royaume-Uni. D'une manière constante, et notamment dans une décision récente N.T.P. et autres c. France du 24 mai 2018, la CEDH considère que cette gravité s'apprécie notamment au regard de l'"extrême vulnérabilité" de l'enfant. Dans l'arrêt Rahimi c. Grèce, elle affirme ainsi qu'un mineur étranger non accompagné en situation irrégulière relève de la "catégorie des personnes les plus vulnérables de la société". De cette jurisprudence, on peut déduire qu'un mauvais traitement infligé à un enfant est presque toujours considéré comme inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention.
Il est évident que le jeune Jamil Kahn a souffert des conditions de vie particulièrement précaires de la "jungle" de Calais. L'arrêt s'analyse ainsi comme un long rappel des mauvais traitements subis par l'enfant, appréciation de fait témoignant de leur gravité, et permettant donc de les rattacher à l'article 3 de la Convention.
La Cour observe ainsi que les autorités ont commencé à se pencher sur le cas du requérant à partir du moment où une ordonnance ordonnant sa protection a été prise par le juge des enfants, soit six mois après son arrivée à Calais. Durant toute cette période, la seule aide qui lui a été apportée était celle des ONG. Et même après cette ordonnance, aucune recherche pour retrouver l'enfant et la faire exécuter n'a été sérieusement entreprise. De son côté, le gouvernement invoque la fugue de l'enfant qui, désireux de se rendre au Royaume-Uni, souhaitait se soustraire à des mesures de protection qui l'auraient empêché de mettre son projet à exécution. Les autorités estiment d'ailleurs que les ONG et même l'avocat de l'enfant auraient dû le remettre aux autorités, pour garantir sa protection. Mais cette fois, la Cour revient à une analyse purement juridique et rappelle que la protection des mineurs isolés est une obligation des Etats, et non pas un devoir des ONG. C'est encore moins un devoir de l'enfant lui-même qui n'avait pas à effectuer seul les démarches de nature à assurer sa protection. Autrement dit, si l'enfant tente de se soustraire à la mesure de protection, il appartient aux autorités de le retrouver, recherche qui ne doit pas être si difficile, si l'on considère qu'il n'a jamais quitté Calais, jusqu'à son départ pour le Royaume-Uni.
Le concours des bonnes volontés
C'est donc l'inertie du gouvernement qui est sanctionnée par la CEDH. Observons tout de même que l'on évaluait à 2 000 le nombre de mineurs non accompagnés dans la "jungle" de Calais, le plus souvent désireux de passer en Angleterre et donc peu enclins à accepter les mesures de protection. Depuis cette date, la prise en charge de ces mineurs a tout de même été améliorée, tant au regard de l'évaluation de leur situation qu'au niveau de leur prise en charge impliquant une meilleure répartition de ces enfants sur le territoire.
D'autres questions devraient certainement être posées, en particulier celles des mesures préventives de nature à empêcher le départ de ces enfants isolés de leur pays d'origine, De même, le rôle des ONG n'est pas dépourvu d’ambiguïté. D'un côté, elles remplissent une mission d'aide et d'assistance qui devrait les conduire à travailler autant que possible avec les services de l'Etat car l'intérêt des mineurs non accompagnés n'est certainement pas de se soustraire aux mesures de protection. De l'autre côté, ces mêmes ONG viennent en tiers intervenants accabler un Etat submergé par un afflux de mineurs non accompagnés qu'il ne parvient pas à gérer efficacement. Certes, l'Etat ne remplit sans doute pas cette mission avec l'efficacité requise, mais ne doit-on pas considérer que l'extrême vulnérabilité de ces enfants justifie le concours de toutes les bonnes volontés.
Sur la circulation des étrangers : Chapitre 5 section 2 du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
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