La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 17 janvier 2019, M. Jean-Pierre F. pourrait être présentée comme un bel exemple d'"effet boomerang" de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La famille du jeune homme décédé durant une manifestation particulièrement violente des opposants au barrage de Sirvens, avec l'appui de la Ligue des droits de l'homme comme tiers intervenant, mettait en cause la constitutionnalité de l'article 697-1 du code de procédure pénale (cpp), plus précisément de son alinéa 3, qui prévoit que les juridictions spécialisées en matière militaire sont compétentes pour connaître des infractions commises par les militaires "dans le service du maintien de l'ordre". Le Conseil constitutionnel écarte cette QPC. En affirmant la constitutionnalité de cette attribution de compétence, il reconnaît ainsi la spécificité de la gendarmerie en raison même de son appartenance aux forces armées. Autant dire que le résultat obtenu est rigoureusement contraire à ce qu'attendaient les requérants.
Le moyen développé à l'encontre de cette disposition est unique. Il repose sur une atteinte au principe d'égalité devant la loi. Les policiers sont en effet poursuivis devant les juridictions ordinaires, alors que les gendarmes relèvent de ces juridictions spécialisées. Les victimes doivent donc se tourner vers des tribunaux différents selon les cas.
Il ne faut évidemment pas faire de confusion et imaginer le spectre de la juridiction d'exception, notion employée en langage courant pour désigner un tribunal méprisant les garanties essentielles de l'État de droit, souvent composé de personnes soumises au pouvoir en place et ignorant les règles élémentaires des droits de la défense. En l'espèce il s'agit de juger des militaires, et il est tentant de dire, ou à tout le moins de laisser entendre, que la juridiction a été créée et organisée dans le seul but de les soustraire à la justice de droit commun et de leur garantir une plus grande indulgence.
Hélas, tout ce discours relève, en l'espère, du pur fantasme. L'article 697 cpp affirme seulement que "dans le ressort de chaque cour d'appel, un tribunal de grande instance est compétent pour l'instruction et, s'il s'agit de délits, le jugement des infractions mentionnées à l'article 697-1". La juridiction d'exception n'est finalement qu'un tribunal ordinaire auquel a été attribué compétence pour juger de ces affaires dans sa formation correctionnelle. Autant dire que nos gendarmes sont jugés par les mêmes juges que n'importe quel citoyen, et que les policiers lorsqu'ils commettent une infraction dans le cadre du maintien de l'ordre.
Le requérant s'appuie toutefois sur le fait que les règles de procédure sont un peu différentes. L'article 698-1 cpp précise ainsi qu'en matière délictuelle l'action publique est mise en mouvement par le procureur et non pas sur plainte de la victime. Il peut agir soit sur dénonciation du ministre de la défense ou des autorités militaires sur le fondement de l'article 40 al. 2 cpp, soit de sa propre initiative. Dans ce cas cependant, il doit demander l'avis du ministre de la défense ou de l'autorité militaire, mais il convient d'observer que cet avis est purement consultatif, le procureur demeurant libre de poursuivre la procédure.
Ces différences sont-elles suffisantes pour constituer une rupture du principe d'égalité ? Sans doute pas. Dans sa décision QPC du 24 avril 2015 Mme Christine M., épouse C., le Conseil constitutionnel s'est en effet déjà prononcé sur ces deux éléments distinctifs de la procédure.
Il a considéré que le législateur avait pu légitimement limiter la mise en mouvement de l'action publique au seul procureur. La finalité de ce texte est de réduire "le risque de poursuites pénales abusives exercées par la voie de la citation directe en imposant une phase d'instruction préparatoire" destinée à vérifier les faits et les circonstances dans lesquelles ils se sont produits, d'autre part à s'assurer qu'ils constituent bien une infraction. Cette restriction est n'est pas excessive aux yeux du Conseil constitutionnel dans la mesure où elle est justifiée par "les contraintes inhérentes à l'exercice de leurs missions par les forces armées", et surtout dans la mesure où la victime peut toujours se constituer partie civile.
L'analyse du second alinéa de l'article 698-1 cpp, qui impose au procureur de solliciter l'avis du ministre de la défense ou des autorités militaires est à peu près de même nature. Le Conseil fait observer en effet que, dans l'hypothèse où le procureur ne donne pas suite après l'avis, rien n'interdit à la victime de porter plainte, cette fois auprès du juge d'instruction si une information a été ouverte, ou encore de saisir le juge civil d'une demande de réparation du préjudice qu'elle dit avoir subi du fait des activités de maintien de l'ordre. Dans ces conditions, le Conseil estime que ces règles de procédure ne portent pas d'atteinte substantielle au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
Face à cette jurisprudence récente, le requérant de 2019 était juridiquement bien faiblement armé, et la décision rendue est donc loin de surprendre. Le Conseil constitutionnel aurait pu, comme d'ailleurs l'y invitait le Secrétariat général du gouvernement, invoquer le principe très compréhensif de "bonne administration de la justice" pour justifier une attribution de compétence à une formation de jugement qui ne lèse pas réellement les droits des victimes.
Mais le Conseil va plus loin, et il défend la spécificité de la Gendarmerie. Il rappelle qu'elle "relève des forces armées" et que les militaires de la Gendarmerie, comme ceux des autres forces armées, "sont soumis aux devoirs et sujétions de l'état militaire". Ils sont soumis à un droit pénal spécial défini dans le code de justice militaire qui prévoit des infractions spécifiques et des peines qui, telle la destitution ou la perte de grade, ne figurent pas dans l'échelle des peines infligées aux civils. L'activité de maintien de l'ordre n'échappe pas à cette spécificité, au seul motif que les policiers l'exercent également. En effet, c'est cette particularité même du statut militaire qui fait que les gendarmes ne sont pas placés dans la même situation que les policiers au regard des poursuites dont ils peuvent être l'objet.
On peut évidemment s'interroger sur les motifs réels de cette QPC. Sur le fond, elle n'avait guère de chance de prospérer, l'essentiel de l'organisation de ces juridictions spécialisées ayant déjà déclaré conforme à la Constitution en 2015. S'agissait-il alors d'une tentative pour obtenir qu'un nouveau pas soit franchi dans le rapprochement entre la Gendarmerie et la police nationale ? On sait que la loi du 3 août 2009 a placé les gendarmes sous l'autorité fonctionnelle du ministre de l'intérieur, sans pour autant leur retirer leur état militaire. Certains voudraient sans doute aller plus loin, vers la création d'une force de police unique et entièrement civile. La décision du 17 janvier 2019 leur oppose une fin de non-recevoir, et le statut militaire de la Gendarmerie se voit ainsi renforcé, contre toute attente.
Le moyen développé à l'encontre de cette disposition est unique. Il repose sur une atteinte au principe d'égalité devant la loi. Les policiers sont en effet poursuivis devant les juridictions ordinaires, alors que les gendarmes relèvent de ces juridictions spécialisées. Les victimes doivent donc se tourner vers des tribunaux différents selon les cas.
Juridiction d'exception, juridiction spécialisée
Il ne faut évidemment pas faire de confusion et imaginer le spectre de la juridiction d'exception, notion employée en langage courant pour désigner un tribunal méprisant les garanties essentielles de l'État de droit, souvent composé de personnes soumises au pouvoir en place et ignorant les règles élémentaires des droits de la défense. En l'espèce il s'agit de juger des militaires, et il est tentant de dire, ou à tout le moins de laisser entendre, que la juridiction a été créée et organisée dans le seul but de les soustraire à la justice de droit commun et de leur garantir une plus grande indulgence.
Hélas, tout ce discours relève, en l'espère, du pur fantasme. L'article 697 cpp affirme seulement que "dans le ressort de chaque cour d'appel, un tribunal de grande instance est compétent pour l'instruction et, s'il s'agit de délits, le jugement des infractions mentionnées à l'article 697-1". La juridiction d'exception n'est finalement qu'un tribunal ordinaire auquel a été attribué compétence pour juger de ces affaires dans sa formation correctionnelle. Autant dire que nos gendarmes sont jugés par les mêmes juges que n'importe quel citoyen, et que les policiers lorsqu'ils commettent une infraction dans le cadre du maintien de l'ordre.
Ah ! Que j'aime les militaires ! La Grande Duchesse de Gerolstein. Offenbach
Dame Felicity Lott.
Les Musiciens du Louvre. Direction Marc Minkowski. Mise en scène Laurent Pelly, 2004
Les règles de procédure
Le requérant s'appuie toutefois sur le fait que les règles de procédure sont un peu différentes. L'article 698-1 cpp précise ainsi qu'en matière délictuelle l'action publique est mise en mouvement par le procureur et non pas sur plainte de la victime. Il peut agir soit sur dénonciation du ministre de la défense ou des autorités militaires sur le fondement de l'article 40 al. 2 cpp, soit de sa propre initiative. Dans ce cas cependant, il doit demander l'avis du ministre de la défense ou de l'autorité militaire, mais il convient d'observer que cet avis est purement consultatif, le procureur demeurant libre de poursuivre la procédure.
Le précédent de 2015
Ces différences sont-elles suffisantes pour constituer une rupture du principe d'égalité ? Sans doute pas. Dans sa décision QPC du 24 avril 2015 Mme Christine M., épouse C., le Conseil constitutionnel s'est en effet déjà prononcé sur ces deux éléments distinctifs de la procédure.
Il a considéré que le législateur avait pu légitimement limiter la mise en mouvement de l'action publique au seul procureur. La finalité de ce texte est de réduire "le risque de poursuites pénales abusives exercées par la voie de la citation directe en imposant une phase d'instruction préparatoire" destinée à vérifier les faits et les circonstances dans lesquelles ils se sont produits, d'autre part à s'assurer qu'ils constituent bien une infraction. Cette restriction est n'est pas excessive aux yeux du Conseil constitutionnel dans la mesure où elle est justifiée par "les contraintes inhérentes à l'exercice de leurs missions par les forces armées", et surtout dans la mesure où la victime peut toujours se constituer partie civile.
L'analyse du second alinéa de l'article 698-1 cpp, qui impose au procureur de solliciter l'avis du ministre de la défense ou des autorités militaires est à peu près de même nature. Le Conseil fait observer en effet que, dans l'hypothèse où le procureur ne donne pas suite après l'avis, rien n'interdit à la victime de porter plainte, cette fois auprès du juge d'instruction si une information a été ouverte, ou encore de saisir le juge civil d'une demande de réparation du préjudice qu'elle dit avoir subi du fait des activités de maintien de l'ordre. Dans ces conditions, le Conseil estime que ces règles de procédure ne portent pas d'atteinte substantielle au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
Face à cette jurisprudence récente, le requérant de 2019 était juridiquement bien faiblement armé, et la décision rendue est donc loin de surprendre. Le Conseil constitutionnel aurait pu, comme d'ailleurs l'y invitait le Secrétariat général du gouvernement, invoquer le principe très compréhensif de "bonne administration de la justice" pour justifier une attribution de compétence à une formation de jugement qui ne lèse pas réellement les droits des victimes.
Le statut militaire
Mais le Conseil va plus loin, et il défend la spécificité de la Gendarmerie. Il rappelle qu'elle "relève des forces armées" et que les militaires de la Gendarmerie, comme ceux des autres forces armées, "sont soumis aux devoirs et sujétions de l'état militaire". Ils sont soumis à un droit pénal spécial défini dans le code de justice militaire qui prévoit des infractions spécifiques et des peines qui, telle la destitution ou la perte de grade, ne figurent pas dans l'échelle des peines infligées aux civils. L'activité de maintien de l'ordre n'échappe pas à cette spécificité, au seul motif que les policiers l'exercent également. En effet, c'est cette particularité même du statut militaire qui fait que les gendarmes ne sont pas placés dans la même situation que les policiers au regard des poursuites dont ils peuvent être l'objet.
On peut évidemment s'interroger sur les motifs réels de cette QPC. Sur le fond, elle n'avait guère de chance de prospérer, l'essentiel de l'organisation de ces juridictions spécialisées ayant déjà déclaré conforme à la Constitution en 2015. S'agissait-il alors d'une tentative pour obtenir qu'un nouveau pas soit franchi dans le rapprochement entre la Gendarmerie et la police nationale ? On sait que la loi du 3 août 2009 a placé les gendarmes sous l'autorité fonctionnelle du ministre de l'intérieur, sans pour autant leur retirer leur état militaire. Certains voudraient sans doute aller plus loin, vers la création d'une force de police unique et entièrement civile. La décision du 17 janvier 2019 leur oppose une fin de non-recevoir, et le statut militaire de la Gendarmerie se voit ainsi renforcé, contre toute attente.
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