Rédoine Faïd, évadé le 1er juillet de la prison de Réau, a été arrêté le 3 octobre 2018, à la satisfaction générale... enfin pas tout-à-fait, car une journaliste de BFM, Marie Peyraube, a appris à cette occasion qu'elle avait été utilisée comme poisson pilote par les services de police. Elle préparait en effet un reportage intitulé "Redoine Faïd, l'ennemi public n°1", retraçant l'ensemble de la "carrière" de l'intéressé. Elle rencontrait donc des personnes qui avaient été en contact avec lui, ses proches, ses amis, mais aussi ses avocats, des policiers etc... Cette agitation n'a pas échappé aux policiers chargés de l'enquête, et elle a fait l'objet d'une surveillance discrète, avec l'accord des juges, dans l'espoir de remonter jusqu'à Rédoine Faïd, d'autant qu'elle était "susceptible d'obtenir une interview du fugitif".
Informé de cette mesure, BFM-TV "réclame des explications" à la police nationale et au procureur de la République de Paris. Dans un communiqué, la chaîne dénonce des "méthodes intrusives" et annonce son choix de s'associer à "toutes les voies de recours qui pourraient être engagées contre ce qui s'apparente à une violation de la loi sur la protection du secret des sources". La formulation témoigne d'un certain malaise. S'agit-il d'une violation du secret des sources ou d'une pratique qui s'en rapproche, qui s'y "apparente" ?
Quoi qu'il en soit, le fondement juridique d'une telle revendication est bien mince, car les pratiques dont se plaint la journaliste et la chaine qui l'emploie ne peuvent être sanctionnées sur le fondement du secret des sources, du moins en l'état actuel de son régime juridique.
Le secret de la source, ou du journaliste ?
La première difficulté réside dans le fait que le secret des sources est, comme son nom l'indique, un secret destiné à protéger la source, pas le journaliste. Dans un arrêt du 8 décembre 2005 Nordisk Film Ltd c. Danemark, la Cour européenne des droits de l'homme précise que le secret des sources a pour objet de protéger la personne "qui aide la presse à informer le public sur des sujets d'intérêt général", Plus récemment, dans une décision du 5 octobre 2017 Becker c. Norvège, elle précise que ce secret est une prérogative exclusive de l'informateur, qui s'impose alors même qu'il peut être de mauvaise foi et vouloir manipuler le journaliste.
La situation française est un peu différente car le secret des sources est revendiqué comme une prérogative du journaliste, et non pas de sa source. En l'état actuel du droit, le texte applicable au secret des sources est la loi du 4 janvier 2010, qui énonce que "le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public". Le secret des sources est donc d'abord perçu comme un droit du journaliste, même si la source est censée en être bénéficiaire.
Dans le cas du reportage de BFM-TV, les sources de la journaliste peuvent être divisées en deux grandes catégories de personnes.
D'une part, celles qui ont connu Rédoine Faïd, avant sa évasion, et qui ne semblent pas invoquer une quelconque confidentialité. Elles ont au contraire accepté de participer à une émission de télévision et de faire un témoignage public sur Rédoine Faïd. Si elles souhaitaient conserver la confidentialité de leurs propos sur ce ce personnage, il leur suffisait de refuser leur participation. D'autre part, et ce n'est évidemment qu'une hypothèse, on peut envisager le cas d'un informateur qui joue le rôle d'intermédiaire pour permettre l'interview du prisonnier en cavale. Dans ce cas, la source, a tout intérêt à exiger la confidentialité, tout simplement parce qu'elle est vraisemblablement auteur de l'infraction pénale prévue à l'article 434-1 du code pénal, c'est-à-dire du délit de non dénonciation d'une infraction (précisons toutefois qu'il ne peut être utilisé à l'encontre de la famille proche et du conjoint de l'intéressé). En l'espèce cependant, le communiqué de BFM-TV invoque le secret des sources, non pas dans le but de protéger une source d'éventuelles poursuites judiciaires, mais pour contester les investigations dont la journaliste a personnellement fait l'objet.
Le problème est que la loi du 4 janvier 2010 porte en elle sa propre restriction, car il est précisé que les autorités peuvent déroger au secret des sources, et donc faire porter leur investigations sur les communications des journalistes, lors cette dérogation est justifiée par un "impératif prépondérant d'intérêt public et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but poursuivi". Les juges exercent un contrôle sur cette proportionnalité. Dans un arrêt du 6 décembre 2011, la Cour de cassation a ainsi estimé excessive la communication au procureur de la République des fadettes d'un journaliste du Monde dans le but d'identifier la source qui lui avait communiqué des transcriptions d'enregistrements des conversations téléphonique de Mme Bettencourt. Certes, la décision était intervenue bien trop tard, à un moment où le magistrat auteur de la fuite avait depuis longtemps été identifié et muté.
La présente affaire est pourtant bien différente, et il est probable que la Cour de cassation, si elle était saisie, ne parviendrait pas à la même conclusion. Il est délicat d'affirmer que que l'arrestation d'un criminel évadé ne constitue pas un "impératif prépondérant d'intérêt public". En outre, la source du journaliste dans l'affaire Bettencourt pouvait s'apparenter à un lanceur d'alerte intervenant dans l'intérêt public. Tel n'est évidemment pas le cas d'une personne qui s'entremet pour permettre l'interview de celui qui est considéré comme "L'ennemi public n° 1". Le but de la manoeuvre n'est pas de dénoncer un scandale, mais plutôt de faire gonfler l'audimat.
BFM-TV et sa journaliste auront donc sans doute bien des difficultés à faire condamner l'État pour avoir effectué des investigations destinées à identifier l'endroit où se cache un prisonnier évadé, surtout s'il est avéré qu'elles ont été menées à la demande de l'autorité judiciaire ou avec son accord.
La presse peut, au moins dans une certaine mesure, regretter sa trop grande gourmandise en matière de secret des sources. En effet, un amendement gouvernemental à la loi du 14 novembre 2016, amendement auquel la presse n'était sans doute pas étrangère, avait supprimé la référence à l'"impératif prépondérant d'intérêt public". La rédaction proposée se bornait à énumérer les infractions au nom duquel il était possible de porter atteinte au secret des sources. En matière criminelle, l'atteinte pouvait être justifiée par le double intérêt de la prévention et de la répression d'une infraction. En matière délictuelle, en revanche, seule la nécessité de prévenir l'infraction pouvait fonder l'ingérence. Surtout, la presse avait alors obtenu un élargissement considérable du nombre des personnes susceptibles d'invoquer le secret des sources, qui n'était plus limité aux journalistes titulaires d'une carte de presse mais pouvait s'étendre aux "collaborateurs de la rédaction", formulation qui permettait à un pigiste ou un stagiaire d'en bénéficier.
Cette conception absolutiste du secret a provoqué la censure du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 10 novembre 2016, il la sanctionne en effet au motif que le législateur n'a pas opéré "une conciliation équilibrée entre la liberté d'expression et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation, la recherche des auteurs d'infraction et la prévention des atteintes à l'ordre public". Sans doute une manière élégante d'écarter les effets d'un lobbying si efficace qu'il en était devenu un peu trop visible. En l'état actuel des choses, le secret des sources demeure donc régi par la loi de 2010, texte qui est certainement loin d'être parfait.
Quoi qu'il en soit, BFM-TV et sa journaliste ne doivent rien regretter. Si la loi de 2010 ne leur permet pas d'invoquer le secret des sources, l'amendement de 2016 n'était guère plus utile. Le but de l'enquête n'était-il pas, en l'espèce, d'arrêter un criminel et de l'empêcher de commettre de nouvelles infractions, objectifs à la fois préventifs et répressifs ? Dès lors, la conclusion s'impose : BFM-TV pourrait peut-être envisager de renoncer à d'éventuels recours. La journaliste, quant à elle, n'a sans doute pas songé que sa recherche de Rédoine Faïd pourrait intéresser d'autres personnes que ses lecteurs. Ce rôle de poisson-pilote pourrait peut être permettre de la considérer comme un collaborateur occasionnel du service public ?
Sur le secret des sources : Chapitre 9, Section 2 § 2 du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
Une tortue et son poisson-pilote
La loi du 4 janvier 2010
Le problème est que la loi du 4 janvier 2010 porte en elle sa propre restriction, car il est précisé que les autorités peuvent déroger au secret des sources, et donc faire porter leur investigations sur les communications des journalistes, lors cette dérogation est justifiée par un "impératif prépondérant d'intérêt public et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but poursuivi". Les juges exercent un contrôle sur cette proportionnalité. Dans un arrêt du 6 décembre 2011, la Cour de cassation a ainsi estimé excessive la communication au procureur de la République des fadettes d'un journaliste du Monde dans le but d'identifier la source qui lui avait communiqué des transcriptions d'enregistrements des conversations téléphonique de Mme Bettencourt. Certes, la décision était intervenue bien trop tard, à un moment où le magistrat auteur de la fuite avait depuis longtemps été identifié et muté.
La présente affaire est pourtant bien différente, et il est probable que la Cour de cassation, si elle était saisie, ne parviendrait pas à la même conclusion. Il est délicat d'affirmer que que l'arrestation d'un criminel évadé ne constitue pas un "impératif prépondérant d'intérêt public". En outre, la source du journaliste dans l'affaire Bettencourt pouvait s'apparenter à un lanceur d'alerte intervenant dans l'intérêt public. Tel n'est évidemment pas le cas d'une personne qui s'entremet pour permettre l'interview de celui qui est considéré comme "L'ennemi public n° 1". Le but de la manoeuvre n'est pas de dénoncer un scandale, mais plutôt de faire gonfler l'audimat.
BFM-TV et sa journaliste auront donc sans doute bien des difficultés à faire condamner l'État pour avoir effectué des investigations destinées à identifier l'endroit où se cache un prisonnier évadé, surtout s'il est avéré qu'elles ont été menées à la demande de l'autorité judiciaire ou avec son accord.
La tentative de novembre 2016
La presse peut, au moins dans une certaine mesure, regretter sa trop grande gourmandise en matière de secret des sources. En effet, un amendement gouvernemental à la loi du 14 novembre 2016, amendement auquel la presse n'était sans doute pas étrangère, avait supprimé la référence à l'"impératif prépondérant d'intérêt public". La rédaction proposée se bornait à énumérer les infractions au nom duquel il était possible de porter atteinte au secret des sources. En matière criminelle, l'atteinte pouvait être justifiée par le double intérêt de la prévention et de la répression d'une infraction. En matière délictuelle, en revanche, seule la nécessité de prévenir l'infraction pouvait fonder l'ingérence. Surtout, la presse avait alors obtenu un élargissement considérable du nombre des personnes susceptibles d'invoquer le secret des sources, qui n'était plus limité aux journalistes titulaires d'une carte de presse mais pouvait s'étendre aux "collaborateurs de la rédaction", formulation qui permettait à un pigiste ou un stagiaire d'en bénéficier.
Cette conception absolutiste du secret a provoqué la censure du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 10 novembre 2016, il la sanctionne en effet au motif que le législateur n'a pas opéré "une conciliation équilibrée entre la liberté d'expression et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation, la recherche des auteurs d'infraction et la prévention des atteintes à l'ordre public". Sans doute une manière élégante d'écarter les effets d'un lobbying si efficace qu'il en était devenu un peu trop visible. En l'état actuel des choses, le secret des sources demeure donc régi par la loi de 2010, texte qui est certainement loin d'être parfait.
Quoi qu'il en soit, BFM-TV et sa journaliste ne doivent rien regretter. Si la loi de 2010 ne leur permet pas d'invoquer le secret des sources, l'amendement de 2016 n'était guère plus utile. Le but de l'enquête n'était-il pas, en l'espèce, d'arrêter un criminel et de l'empêcher de commettre de nouvelles infractions, objectifs à la fois préventifs et répressifs ? Dès lors, la conclusion s'impose : BFM-TV pourrait peut-être envisager de renoncer à d'éventuels recours. La journaliste, quant à elle, n'a sans doute pas songé que sa recherche de Rédoine Faïd pourrait intéresser d'autres personnes que ses lecteurs. Ce rôle de poisson-pilote pourrait peut être permettre de la considérer comme un collaborateur occasionnel du service public ?
Sur le secret des sources : Chapitre 9, Section 2 § 2 du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.
Très intéressant. Merci !
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