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jeudi 27 septembre 2018

GPA et adoption plénière : Appuyons-nous sur les mauvais motifs (...)

« Appuyons-nous sur les mauvais motifs pour nous fortifier dans les bons desseins ». Vauvenargues aurait-il inspiré la Cour d’appel de Paris dans sa décision du 18 septembre 2018 ? Ce qui a en filtré dans les médias est sibyllin : s’appuyant sur l’intérêt supérieur de l’enfant, les juges font droit à la demande d’adoption plénière de deux enfants jumeaux, nés au Canada d’une gestation pour autrui (GPA). Cette demande avait été formulée par le père d'intention, conjoint de celui au profit duquel le lien de filiation est établi depuis la naissance des enfants. La décision confirme ainsi un premier jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 9 novembre 2016.

Beaucoup des commentateurs n'ont pas pu lire la décision de la Cour d'appel, car elle ne figure pas, ou pas encore, dans les bases de données juridiques. Heureusement, maître Caroline Mecary, avocate du requérant, a bien voulu la communiquer à Liberté Libertés Chéries. Elle doit être chaleureusement remerciée, car la lecture de la décision, et elle seule, permet d'éviter une interprétation hâtive. Au-delà d'une apparence favorable aux droits des enfants nés par GPA, la décision est en effet très ambigüe, voire porteuse de nouvelles formes de discriminations.


De l'adoption simple à l'adoption plénière



L'interprétation hâtive consiste à ne voir dans la décision qu'une remise en cause de quatre arrêts rendus le 4 juillet 2017 par la Cour de cassation. Il y a à peine plus d'un an, la Cour accordait une adoption simple, sollicitée par le parent d'intention d'un enfant né par GPA. L'adoption simple, on le sait, a pour conséquence de maintenir un lien juridique avec les parents biologiques, alors que l'adoption plénière crée une nouvelle filiation qui coupe les liens avec la famille d'origine. Dans le cas d'un couple homosexuel ayant eu recours à une GPA à l'étranger, l'adoption simple introduit ainsi une rupture d'égalité entre les deux membres du couple, même s'ils partagent l'autorité parentale dans les mêmes conditions que l'adoption plénière. En effet, l'adoption simple est théoriquement révocable et elle induit surtout un régime fiscal différent en matière successorale. De fait, elle induit nécessairement une certaine forme de discrimination, l'enfant n'étant pas dans la même situation juridique à l'égard de chacun de ses parents.

Cette évolution de l'adoption simple à l'adoption plénière fut présentée comme une importante avancée jurisprudentielle. En l'espèce pourtant, il n'y avait guère d'autre solution, dès lors que le nom de la mère porteuse figurait dans l'acte de naissance de l'enfant et que seule l'adoption simple pouvait être demandée. Quoi qu'il en soit, la Cour se prononçait sur le fondement de l'intérêt supérieur de l'enfant, notion qui, aux termes de la Convention relative aux droits de l'enfant, doit être une "considération primordiale" dans toute décision le concernant.

C'était, en soi, une rupture totale par rapport à une jurisprudence ancienne qui considérait que l'illégalité de la GPA en droit français se répercutait sur la situation juridique de l'enfant qui en état issu. Affligé d'une sorte de péché originel, il se voyait privé d'une filiation identique à celle dont bénéficiait celui qui était né d'un papa et d'une maman plus conformes aux traditions. Dans un arrêt du 13 septembre 2013, la Cour de cassation affirmait encore : "En présence de cette fraude, ni l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ne sauraient être utilement invoqués".

L'évolution n'est pas venue de la jurisprudence de la Cour de cassation, mais lui a été imposée. D'abord par la loi du 17 mai 2013 sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe qui, en même temps, ouvrait le droit à l'adoption. Dans sa décision du même jour, le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs énoncé une réserve d'interprétation, affirmant que l'alinéa 10 du Préambule de 1946 selon lequel "la Nation assure à l'individu et à la famille le conditions nécessaires à leur développement" devait s'entendre comme imposant le respect de l'intérêt de l'enfant pour toute procédure d'adoption. Ensuite, par la célèbre jurisprudence Mennesson de la Cour européenne des droits de l'homme qui, en juin 2014, se réfère à l'intérêt supérieur de l'enfant en matière d'état civil des enfants nés à l'étranger d'une GPA.

La jurisprudence a donc évolué, de manière plus ou moins contrainte, mais enfin elle a évolué. Sur ce point, la décision de la Cour d'appel confirme que l'illégalité de la GPA en droit français ne fait plus obstacle à l'adoption plénière de l'enfant par le parent d'intention.


Voutch. 1996

Une course d'obstacles judiciaires

 


Certes, mais cette analyse ne voit la décision que par un tout petit bout de la lorgnette juridique. Pour l'étudier plus sérieusement, il convient de rappeler les conditions du droit commun gouvernant l'adoption plénière. Lorsque l'enfant a moins de quinze ans, les articles 348-1 et 348-3 du code civil disposent qu'il suffit de démontrer que sa filiation n'est établie qu'à l'égard de l'un des conjoints et d'obtenir le consentement, non rétracté, de ce dernier pour pouvoir demander l'adoption plénière. Au vu de ces éléments, le juge se prononce ensuite en fonction de l'enfant.

C'est une procédure simple et même très simple. Alors pourquoi la décision du 18 septembre 2018 laisse-t-elle le sentiment d'une course d'obstacles judiciaire ? Les intéressés ont dû produire un affidavit par laquelle la mère porteuse affirmait que son époux et elle n'ont aucun lien biologique avec les enfants et qu'ils renoncent à "tous droits" à leur égard. Cette déclaration est ensuite entérinée par un jugement des tribunaux canadiens déclarant en conséquence comme "seul parent des enfants" le membre du couple qui les a reconnus dès leur naissance.

La Cour d'appel a donc exigé la production de documents liés aux conditions de la naissance de l'enfant. Imaginons une situation très banale dans laquelle un mari décide d'adopter l'enfant de son épouse, né avant le mariage d'un père qui n'a laissé aucune trace, voire qui n'a rien su de sa paternité. Le juge va-t-il demander le nom du père biologique, voire lui demander de renoncer à des droits que personne ne lui a jamais demandé d'exercer ?

La Cour d'appel de Versailles, dans deux décisions du 15 février 2018, a, quant à elle, effectué le raisonnement inverse. Elle a infirmé des jugements du tribunal de grande instance refusant à une femme l'adoption plénière de l'enfant de sa conjointe, né à l'étranger après une insémination avec donneur. Non sans hypocrisie, le tribunal avait exigé la preuve de l'inexistence juridique du père, invoquant l'hypothèse d'une reconnaissance future de l'enfant par son père biologique, en l'occurrence le donneur de gamètes. Cette exigence était pour le moins étrange, car comment peut-on apporter la preuve de l'inexistence d'un fait  ? Quoi qu'il en soit, en l'absence de cette preuve, le tribunal avait rejeté la demande d'adoption plénière. La Cour d'appel a sanctionné ces jugements, au motif qu'ils ajoutaient des conditions à celles définies par la loi, c'est-à-dire par le code civil, précisant que "l'éventualité d'une volonté de reconnaissance future de l'enfant par un père biologique est purement hypothétique". Elle ne peut donc être prise en considération pour contredire l'absence de mention d'un père sur l'acte de naissance.

Dans l'affaire du 19 septembre 2018, on comprend que les requérants aient obtempéré et produit les pièces demandées. Ils désiraient avant tout obtenir l'adoption plénière de leurs enfants, et ils ont préféré céder... Cela suffit à montrer qu'ils sont d'excellents parents, mais il n'en demeure pas moins qu'ils auraient dû parvenir au même résultat sans divulguer les conditions de la naissance des enfants. Ils ont donc été traités de manière discriminatoire aussi bien par rapport à un couple hétérosexuel que par rapport à un couple d'homosexuelles. Le mariage pour tous reposait sur l'idée d'égalité devant la loi, quelle que soit la manière de vivre sa vie familiale. Ne serait-il pas choquant que cette égalité devant la loi conduise finalement à une inégalité devant la jurisprudence ?


Sur la GPA : Chapitre 7, Section 2 § 3 B du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.



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