L'affaire Benalla présente-t-elle un intérêt juridique ? On pourrait en douter, car les faits semblent relever d'une qualification pénale assez simple. Un chargé de mission à l'Elysée usurpe des fonctions policières et commet des actes de violence sur des participants à la manifestation du 1er mai. Il semble donc être susceptible de poursuites correctionnelles pour avoir porté des insignes réservés aux membres des forces publiques (article 433-15 du code pénal), usurpé leurs fonctions (article 433-12 du code pénal), commis des actes susceptibles d'être considérés comme des coups et blessures et volontaires (article 222-13 du code pénal). Il est donc probable qu'Alexandre Benalla sera poursuivi sur ces fondements et il appartiendra au tribunal correctionnel de juger de sa culpabilité. Cette probabilité est d'autant plus forte que, à propos de l'affaire des sondages de l'Elysée, la Cour de cassation a estimé, dans un arrêt du 19 décembre 2012, qu"'aucune disposition constitutionnelle, légale ou conventionnelle ne prévoit, l’immunité ou l’irresponsabilité pénale des membres du cabinet du président de la République ».
L'intervention du porte-parole de l'Elysée
L'intérêt juridique, car il y en a un, réside plutôt dans la procédure administrative visant l'intéressé. Pour le moment, le seul élément officiel connu est l'intervention devant les médias du porte-parole de l'Elysée Bruno Roger-Petit, le 19 juillet 2018, intervention dans laquelle il est dit qu'Alexandre Benalla "a immédiatement été convoqué par le directeur de cabinet du Président, qui lui a notifié une sanction disciplinaire. Il a été mis à pied pendant quinze jours avec suspension de salaire. Il a été démis de ses fonctions en matière d'organisation de la sécurité des déplacements du Président. Cette sanction vient punir un comportement inacceptable et lui a été notifiée, comme un dernier avertissement avant licenciement. Cette sanction est la plus grave jamais prononcée contre un chargé de mission travaillant à l'Elysée". Ces précisions sont censées montrer la réactivité du directeur de cabinet qui n'a pas tardé à sanctionner l'auteur des faits. A la suite de l'intervention, le débat a pris une autre tournure. Pour les uns, la sanction était trop faible, pour les autres trop forte.
En réalité, le problème est ailleurs, car cette citation révèle en réalité l'absence de sanction.
Absence de sanction
On sait que les membres des cabinets sont recrutés de manière purement discrétionnaire. Certains, déjà agents titulaires dans la fonction publique, sont mis à disposition ou placés en position de détachement, d'autres sont recrutés par la voie contractuelle, pour une durée en principe équivalente à la durée du mandat ou des fonctions du Président ou du ministre. En tout état de cause, il peut être mis fin à leurs en fonction du même pouvoir discrétionnaire. Il n'est donc pas surprenant que la mesure visant Alexandre Benalla soit présentée comme "la plus grave jamais prononcée contre un chargé de mission travaillant à l'Elysée", dès lors qu'il est rare qu'une sanction soit prononcée lorsqu'il est tellement plus simple de mettre fin à un contrat. Dans le milieu où il évolue, l'intéressé a donc bénéficié d'un traitement plutôt indulgent.
Il n'empêche que les agents contractuels de l'Etat peuvent évidemment faire l'objet d'une procédure disciplinaire. Les sanctions sont énumérées à l'article 43-2 du décret du 17 janvier 1986 qui régit précisément la situation juridique des agents non titulaires de l'Etat, conformément à l'article 7 de la loi du 11 janvier 1984. Alors que les fonctionnaires peuvent faire l'objet d'une dizaine de sanctions, quatre seulement peuvent concerner les agents contractuels : l'avertissement, le blâme, l'exclusion temporaire avec retenue de traitement, le licenciement sans préavis ni indemnité. Jusqu'à aujourd'hui, Alexandre Benalla n'a fait l'objet d'aucune des ces mesures et c'est seulement le 22 juillet qu'est annoncée l'engagement d'une procédure de licenciement, pour "des faits nouveaux", l'intéressé s'étant fait communiquer par la préfecture de police des images de vidéosurveillance.
Dans le cas d'Alexandre Benalla, la sanction proprement dite consiste à le "démettre de ses fonctions en matière d'organisation de la sécurité des déplacements du Président". La
formulation est soigneusement choisie, car elle n'exclut pas que
l'intéressé ait conservé d'autres fonctions à l'Elysée. Elle ne renvoie
pas de manière précise à l'échelle de sanctions prévues par l'article
43-2 du décret de 1986. S'agit-il d'une exclusion temporaire ? Sans
doute pas, car une exclusion temporaire implique au contraire un
éloignement complet du service durant la durée de la sanction. On doit donc en déduire que la mesure prise à l'encontre de l'intéressé ne s'analyse pas comme une sanction disciplinaire
La disgrâce d'Alexandre Benalla vue par : L'oreille cassée. Hergé. 1937 |
Absence de procédure
Si l'on s'en tient à la procédure qui a résumée par le porte-parole de l'Elysée, l'intéressé a été "mis à pied pendant quinze jours avec suspension de salaire". Il s'agit là d'une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service et qui ne présente pas le caractère d'une sanction. Dans une décision du 17 décembre 2013, la Cour administrative d'appel de Marseille rappelle ainsi qu'une suspension ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence, quand bien même elle s'accompagne d'une diminution de la rémunération. L'objet de la suspension est généralement d'attendre l'issue d'une procédure pénale engagée contre l'agent.
En droit de la fonction publique, l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 énonce qu'"aucune sanction disciplinaire autre que l'avertissement ou le blâme ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline (...)". L'article 1-2 du décret de 1986 prévoit, quant à lui, la création, "dans toutes les administrations de l'Etat", d'une commission consultative paritaire chargée de gérer les personnels non titulaires. Elle doit être impérativement consultée en matière disciplinaire, pour les sanctions autres que l'avertissement et le blâme. En l'espèce, le porte-parole de l'Elysée est heureux et fier d'annoncer que la "sanction" a été prise deux jours après les faits, ce qui démontre que les garanties prévues par ce décret n'ont pas été respectées.
L'intervention du porte-parole de l'Elysée révèle donc, malgré lui, une gestion de l'affaire Benalla qui ne s'est guère préoccupée des principes généraux de la procédure administrative. Alors qu'il voulait montrer la réactivité de l'Elysée, il montre surtout les hésitations, les incertitudes d'une communication de crise marquée par ce qui ressemble bien à de l'improvisation. On se prend à imaginer ce qui se serait passé si la présidence de la République avait communiqué le 2 mai pour informer l'opinion sur l'évènement, annoncer la procédure de licenciement et le signalement des faits au parquet, procédure qui ne semble pas avoir été mise en oeuvre. Le Président de la République aurait alors pu envisager une toute autre communication, montrant qu'il ne tolérait aucune irrégularité parmi ses collaborateurs...
un autre élément révélé par Russia Today (qui décidement informe):le ministère de la justice,en son sommet, semble tout faire pour étouffer l'affaire en cessant la poursuite des investigations (affaire du coffre et autres éléments se rapportant au comportement de délinquant dudit Benalla).Si cela était avéré ce serait gravissime dans la mesure où notre république repose sur le principe de la séparation des pouvoirs.Or ce principe semble piétiné par un exécutif embarrassé par une affaire de voyous de haut niveau.
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