Dans un jugement du 25 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble, agissant sur déféré du préfet de l'Isère, déclare illégale une procédure d'"interpellation et de votation citoyenne" mise en place par les élus grenoblois et qui ressemble assez, au plan local, au veto populaire imaginé par les constituants de 1793.
Dans le dossier de presse présentant cette procédure, le maire Eric Piolle (EELV) la présente comme un outil qui donne "la possibilité aux Grenoblois d'être à l'initiative de projets, d'intervenir au conseil municipal pour interpeller les élus sur une opinion ou des idées, et de décider directement, par la votation citoyenne, les choix budgétaires pour les réorienter au plus près de leurs besoins ». Concrètement, l'interpellation confère aux Grenoblois âgés de plus de seize ans la faculté de signer une pétition dans un domaine relevant de la compétence du conseil municipal. Si elle recueille plus de 2000 signatures, son objet est inscrit à l'ordre du jour. Si le conseil municipal ne donne pas satisfaction aux pétitionnaires, un référendum est organisé auquel peuvent participer tous les habitants de plus de seize ans. Si la proposition recueille plus de 20 000 voix, le maire s'engage à la mettre en oeuvre dans un délai de deux ans.
La formule est sans doute démocratique, mais le seul problème est qu'une telle procédure n'est pas prévue par le droit positif. Le tribunal administratif l'annule donc sur déféré préfectoral, rappelant ainsi aux élus locaux qu'ils ne sont pas compétents pour organiser la démocratie locale selon des mécanismes qui leur conviennent.
En l'espèce, le recours intervient au moment où cette procédure nouvelle est mise en oeuvre pour la première fois. Le 20 juin 2016, une délibération du conseil municipal de Grenoble vote l'augmentation des tarifs de stationnement dans la ville. Une pétition demandant son abrogation réunit rapidement 2000 signatures, et un débat a lieu au conseil municipal le 26 septembre 2016, sans qu'un vote soit formalisé. La proposition d'abrogation est ensuite soumise au vote des Grenoblois le 16 octobre 2016, mais ne recueille que 4515 voix sur les 20 000 requises, 90 % du corps électoral s'étant abstenu.
Le préfet de l'Isère a vainement demandé au maire de Grenoble le retrait de la décision instituant la procédure d'interpellation et de votation citoyenne. Il a donc usé de la procédure du déféré qui lui permet de demander au juge administratif l'annulation d'un acte qu'il estime illégal.
Devant le juge, la mairie de Grenoble invoque deux fondements juridiques bien distincts pour justifier la procédure. Elle s'appuie d'abord sur l'article 72-1 de la Constitution, dont les deux premiers alinéas sont ainsi rédigés :
"La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence.
Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité."
Aux yeux du maire de Grenoble, la procédure d'interpellation et de votation citoyenne se borne à combiner ces deux alinéas. Le problème est qu'il a lui-même organisé l'organisation de chacune des procédures et l'articulation entre elles. Or, l'article 72-1 énonce clairement que cet aménagement relève de la compétence législative. Les lois organiques du 1er août 2003 et du 13 août 2004 ont ainsi introduit dans le code général des collectivités territoriales des dispositions organisant la participation des électeurs aux décisions locales.
Ce texte met en place deux procédures distinctes, parfois plus ou moins confondues dans l'esprit des élus. Le référendum local, celui de l'article 72-1, permet de faire adopter par le corps électoral "tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de la collectivité". Il est soumis à une procédure spécifique, prévoyant notamment la transmission obligatoire au préfet de la délibération qui l'organise. Le référendum est organisé selon les conditions habituelles imposées par le droit électoral. Le projet est adopté si la moitié au moins des électeurs a pris part au vote et s'il réunit la moitié des suffrages exprimés.
La seconde procédure est la "consultation des électeurs sur les décisions que les autorités de la collectivité envisagent de prendre pour régler les affaires relevant de la compétence de celle-ci". Autrement dit, un projet de délibération du conseil municipal est soumis à la population pour avis. La décision de recourir à cette procédure appartient au conseil municipal mais l'initiative est partagée. En effet, le cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales peut demander l'inscription à l'ordre du jour d'une délibération en ce sens. Là encore, le préfet est obligatoirement saisi, dans les mêmes conditions que pour le référendum, l'objet de cette saisine étant de lui laisser la possibilité de faire un déféré devant la juridiction administrative. La grande différence réside évidemment dans le fait que cette seconde procédure est purement consultative. L'article L 1112-20 du code général des collectivités territoriales énonce seulement qu'"après avoir pris connaissance du résultat de la consultation, l'autorité compétente (...) arrête sa décision sur l'affaire qui en a fait l'objet".
Les élus grenoblois ont réalisé une sorte de mélange inédit entre les deux procédures. Il ne s'agissait pas d'un référendum, puisque l'initiative venait d'une pétition des électeurs, mais il ne s'agissait pas davantage d'une consultation puisque le conseil municipal était lié par son résultat, à la condition toutefois que la proposition recueille 20 000 voix. L'annulation de la délibération pour incompétence ne faisait donc aucun doute, dès lors que la mise en oeuvre de l'article 72 impose une intervention législative. La procédure était également irrégulière, puisqu'elle s'affranchissait de la transmission obligatoire au préfet. Sur le fond, l'illégalité était également manifeste puisque les deux procédures par la loi font intervenir les électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune, et eux seuls. Or les élus grenoblois avaient élargi le corps électoral aux jeunes de seize à dix-huit ans.
Les motifs d'illégalité sont flagrants, presque trop. Le maire de Grenoble, sans doute assisté d'un service juridique, pouvait-il réellement ignorer que la procédure ainsi initiée était parfaitement illégale et qu'elle susciterait un déféré préfectoral ? On peut raisonnablement en douter et donc se demander pourquoi l'élu grenoblois n'a pas utilisé tous simplement les procédures de démocratie locale autorisées par la loi.
Un élément de réponse peut sans doute être apporté, en observant que cet échec juridique peut s'analyser comme une victoire en termes de communication. Le conseil municipal décide d'augmenter le prix du stationnement dans la ville. Une pétition réunit plus de 2000 signatures, et obtient ainsi l'organisation d'un "référendum" décisionnel, la mairie s'engageant à renoncer à cette augmentation si le seuil des 20 000 électeurs est atteint. Or l'opposition ne réunit que 4500 électeurs, nombre dérisoire si l'on considère que la ville de Grenoble compte plus de 160 000 habitants. Le maire peut alors affirmer que cette mesure est le fruit des efforts combinés de l'opposition municipale qui a incité à l'abstention et du méchant préfet qui a suscité l'annulation d'une procédure démocratique... On en finirait par oublier que c'est le conseil municipal qui avait voté la délibération et décidé l'augmentation. On pourrait en sourire, si la grande perdante dans ce genre de situation n'était pas la démocratie locale elle-même. Car les habitants de la ville n'ont participé qu'à une parodie de consultation, dépourvue de fondement juridique et incapable de peser sur les délibérations du conseil municipal.
La procédure d'interpellation et la votation citoyenne
Dans le dossier de presse présentant cette procédure, le maire Eric Piolle (EELV) la présente comme un outil qui donne "la possibilité aux Grenoblois d'être à l'initiative de projets, d'intervenir au conseil municipal pour interpeller les élus sur une opinion ou des idées, et de décider directement, par la votation citoyenne, les choix budgétaires pour les réorienter au plus près de leurs besoins ». Concrètement, l'interpellation confère aux Grenoblois âgés de plus de seize ans la faculté de signer une pétition dans un domaine relevant de la compétence du conseil municipal. Si elle recueille plus de 2000 signatures, son objet est inscrit à l'ordre du jour. Si le conseil municipal ne donne pas satisfaction aux pétitionnaires, un référendum est organisé auquel peuvent participer tous les habitants de plus de seize ans. Si la proposition recueille plus de 20 000 voix, le maire s'engage à la mettre en oeuvre dans un délai de deux ans.
La formule est sans doute démocratique, mais le seul problème est qu'une telle procédure n'est pas prévue par le droit positif. Le tribunal administratif l'annule donc sur déféré préfectoral, rappelant ainsi aux élus locaux qu'ils ne sont pas compétents pour organiser la démocratie locale selon des mécanismes qui leur conviennent.
Le déféré
En l'espèce, le recours intervient au moment où cette procédure nouvelle est mise en oeuvre pour la première fois. Le 20 juin 2016, une délibération du conseil municipal de Grenoble vote l'augmentation des tarifs de stationnement dans la ville. Une pétition demandant son abrogation réunit rapidement 2000 signatures, et un débat a lieu au conseil municipal le 26 septembre 2016, sans qu'un vote soit formalisé. La proposition d'abrogation est ensuite soumise au vote des Grenoblois le 16 octobre 2016, mais ne recueille que 4515 voix sur les 20 000 requises, 90 % du corps électoral s'étant abstenu.
Le préfet de l'Isère a vainement demandé au maire de Grenoble le retrait de la décision instituant la procédure d'interpellation et de votation citoyenne. Il a donc usé de la procédure du déféré qui lui permet de demander au juge administratif l'annulation d'un acte qu'il estime illégal.
Oui à la France. Lefor Openo. Affiche pour le référendum de 1958 |
L'article 72-1 de la Constitution
Devant le juge, la mairie de Grenoble invoque deux fondements juridiques bien distincts pour justifier la procédure. Elle s'appuie d'abord sur l'article 72-1 de la Constitution, dont les deux premiers alinéas sont ainsi rédigés :
"La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence.
Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité."
Aux yeux du maire de Grenoble, la procédure d'interpellation et de votation citoyenne se borne à combiner ces deux alinéas. Le problème est qu'il a lui-même organisé l'organisation de chacune des procédures et l'articulation entre elles. Or, l'article 72-1 énonce clairement que cet aménagement relève de la compétence législative. Les lois organiques du 1er août 2003 et du 13 août 2004 ont ainsi introduit dans le code général des collectivités territoriales des dispositions organisant la participation des électeurs aux décisions locales.
Référendum et consultation
Ce texte met en place deux procédures distinctes, parfois plus ou moins confondues dans l'esprit des élus. Le référendum local, celui de l'article 72-1, permet de faire adopter par le corps électoral "tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de la collectivité". Il est soumis à une procédure spécifique, prévoyant notamment la transmission obligatoire au préfet de la délibération qui l'organise. Le référendum est organisé selon les conditions habituelles imposées par le droit électoral. Le projet est adopté si la moitié au moins des électeurs a pris part au vote et s'il réunit la moitié des suffrages exprimés.
La seconde procédure est la "consultation des électeurs sur les décisions que les autorités de la collectivité envisagent de prendre pour régler les affaires relevant de la compétence de celle-ci". Autrement dit, un projet de délibération du conseil municipal est soumis à la population pour avis. La décision de recourir à cette procédure appartient au conseil municipal mais l'initiative est partagée. En effet, le cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales peut demander l'inscription à l'ordre du jour d'une délibération en ce sens. Là encore, le préfet est obligatoirement saisi, dans les mêmes conditions que pour le référendum, l'objet de cette saisine étant de lui laisser la possibilité de faire un déféré devant la juridiction administrative. La grande différence réside évidemment dans le fait que cette seconde procédure est purement consultative. L'article L 1112-20 du code général des collectivités territoriales énonce seulement qu'"après avoir pris connaissance du résultat de la consultation, l'autorité compétente (...) arrête sa décision sur l'affaire qui en a fait l'objet".
Les élus grenoblois ont réalisé une sorte de mélange inédit entre les deux procédures. Il ne s'agissait pas d'un référendum, puisque l'initiative venait d'une pétition des électeurs, mais il ne s'agissait pas davantage d'une consultation puisque le conseil municipal était lié par son résultat, à la condition toutefois que la proposition recueille 20 000 voix. L'annulation de la délibération pour incompétence ne faisait donc aucun doute, dès lors que la mise en oeuvre de l'article 72 impose une intervention législative. La procédure était également irrégulière, puisqu'elle s'affranchissait de la transmission obligatoire au préfet. Sur le fond, l'illégalité était également manifeste puisque les deux procédures par la loi font intervenir les électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune, et eux seuls. Or les élus grenoblois avaient élargi le corps électoral aux jeunes de seize à dix-huit ans.
Echec ou victoire ?
Les motifs d'illégalité sont flagrants, presque trop. Le maire de Grenoble, sans doute assisté d'un service juridique, pouvait-il réellement ignorer que la procédure ainsi initiée était parfaitement illégale et qu'elle susciterait un déféré préfectoral ? On peut raisonnablement en douter et donc se demander pourquoi l'élu grenoblois n'a pas utilisé tous simplement les procédures de démocratie locale autorisées par la loi.
Un élément de réponse peut sans doute être apporté, en observant que cet échec juridique peut s'analyser comme une victoire en termes de communication. Le conseil municipal décide d'augmenter le prix du stationnement dans la ville. Une pétition réunit plus de 2000 signatures, et obtient ainsi l'organisation d'un "référendum" décisionnel, la mairie s'engageant à renoncer à cette augmentation si le seuil des 20 000 électeurs est atteint. Or l'opposition ne réunit que 4500 électeurs, nombre dérisoire si l'on considère que la ville de Grenoble compte plus de 160 000 habitants. Le maire peut alors affirmer que cette mesure est le fruit des efforts combinés de l'opposition municipale qui a incité à l'abstention et du méchant préfet qui a suscité l'annulation d'une procédure démocratique... On en finirait par oublier que c'est le conseil municipal qui avait voté la délibération et décidé l'augmentation. On pourrait en sourire, si la grande perdante dans ce genre de situation n'était pas la démocratie locale elle-même. Car les habitants de la ville n'ont participé qu'à une parodie de consultation, dépourvue de fondement juridique et incapable de peser sur les délibérations du conseil municipal.
Sur les droits de l'expression politique : Chapitre 9, section 1 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.
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