Dans un arrêt du 21 juin 2018, le Conseil d'Etat permet la restitution à l'Etat d'une statuette du XVe siècle, un "pleurant" provenant du tombeau de Philippe II le Hardi, duc de Bourgogne. Le "pleurant n° 17", car il y en a une quarantaine qui ornent le tombeau, est estimé à environ deux millions d'euros. On comprend ses lamentations, car il a une histoire mouvementée.
La triste histoire du "pleurant n° 17"
Le tombeau de Philippe le Hardi fut édifié dans l'oratoire de la chartreuse de Champmol. A la Révolution, considéré comme un bien du clergé, il a été incorporé au domaine national par le décret du 2 novembre 1789 et transféré dans l'abbatiale Saint-Bénigne de Dijon. Une délibération du conseil général de la commune de Dijon du 8 août 1793 prend ensuite la funeste décision de détruire les tombeaux des ducs de Bourgogne, mais exclut les pleurants de cette mesure, et ordonne leur conservation "dans un lieu convenable". On ignore quel fut ce lieu convenable, et l'on sait seulement que le "pleurant n° 17", objet du présent litige, a ensuite été soustrait au domaine national, sans que l'on sache exactement à quelle date. On le retrouve en 1811 chez un collectionneur privé, puis en 1813 chez l'ancêtre des actuels détenteurs.
Ces derniers décident, en 2014, de vendre l'objet, vente qu'ils confient à un commissaire priseur, la société Pierre Bergé. Pour attirer le marché international, celui-ci demande donc à l'Etat une autorisation d'exportation du bien, condition indispensable à sa sortie du territoire national après la vente. Précisément, le ministre de la culture refuse et réclame au contraire à la maison de vente la restitution du "pleurant n° 17". Restitué et conservé au musée de Dijon, le pleurant n° 17 a donc attendu d'être fixé sur son sort. La Société Pierre Bergé et famille qui se considère propriétaire ont en effet contesté vainement la décision du ministre de la culture refusant le certificat d'exportation en mettant en demeure le commissaire-priseur de restituer le bien. Après deux échecs devant le tribunal administratif de Paris en 2015 et la Cour administrative d'appel de Paris (CAA) en janvier 2017, c'est aussi le Conseil d'Etat statuant en cassation qui rejette leur pourvoi.
Le pleurant n° 17 est en effet protégé de toute aliénation par son appartenance au domaine public. Dans sa décision de janvier 2017, la CAA Paris n'hésitait pas à mentionner dans ses visas l'édit de Moulins de février 1566, consacrant l'inaliénabilité du domaine public de la Couronne. Ce texte demeure aujourd'hui du droit positif, lorsqu'il s'agit d'apprécier une revendication de propriété portant sur le domaine public maritime ou fluvial. Selon l'article L 3111-2 du code général général de la propriété des personnes publiques, celui-ci est en effet inaliénable, sous réserve des droits et concessions accordés avant l'édit de Moulins. Le Conseil d'Etat s'y réfère donc régulièrement, par exemple le 20 mars 2017, pour apprécier une revendication de propriété de prés salés sur la commune de La Teste-de-Buch (Gironde).
Mais le pleurant n° 17 ne fait pas partie du domaine public maritime et fluvial, et le Conseil d'Etat préfère écarter l'édit de Moulins. Il se fonde donc directement sur le droit révolutionnaire, plus précisément sur le décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 qui affirme que "tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation", et qu'en contrepartie elle s'engage à "pourvoir, de manière convenable, aux frais du culte et à l'entretien de ses ministres". Par la suite, l'article 8 du décret de la Constituante des 22 novembre et 1er décembre 1790 précise qu'il peut être dérogé à la règle d'inaliénabilité, c'est-à-dire qu'il est possible de vendre ou aliéner un bien du domaine public national, à la condition d'obtenir cette autorisation par un décret législatif sanctionné par le roi. Rappelons qu'à cette époque, un décret de l'assemblée devient législatif dès qu'il a obtenu la sanction royale, c'est-à-dire dès que le roi n'a pas opposé son veto (ce qui explique la double date des décrets, la première étant celle du vote par l'Assemblée, la seconde celle de la sanction royale).
La famille dépositaire du pleurant ne peut invoquer aucune autorisation de ce type. Au contraire, toutes les décisions intervenues durant la période révolutionnaire visaient à conserver les pleurants dans le domaine public. Ils ont ainsi été transférés à l'église Sainte-Bénigne de Dijon, qui avait le statut d'une cathédrale, dont la charge était assurée par l'Etat. Plus tard, durant la Terreur, la commune de Dijon a certes ordonné la destruction des tombeaux des ducs de Bourgogne, mais en excluant expressément les pleurants de cette mesure.
Faute de pouvoir s'appuyer sur une autorisation d'aliénation, les héritiers de l'acquéreur de 1813 invoquent une prescription acquisitive. L'article 36 de ce même décret de novembre-décembre 1790 prévoit en effet une prescription pour "les détenteurs d’une portion quelconque desdits domaines, qui justifieront en avoir joui (...), à titres de propriétaires, publiquement et sans trouble, pendant quarante ans continuels à compter du jour de la publication du présent décret". Le problème est que cette disposition s'applique aux seuls éléments de domaine "dont l'aliénation est permise par les décrets de l'Assemblée nationale". Retour à la case départ, dès lors que précisément aucune dérogation n'a été accordée concernant les pleurants. Le Conseil d'Etat déduit donc, fort logiquement, que le pleurant n° 17 n'a jamais quitté le domaine public de l'Etat.
Le pleurant n° 17 peut sécher ses larmes. Au lieu d'être vendu à un collectionneur privé étranger, il va pouvoir rester au musée de Dijon, être admiré comme il le mérite par les visiteurs. La famille qui a essayé de le vendre peut, quant à elle, regretter d'avoir eu une telle idée, puis d'avoir recherché à vendre le plus cher possible à l'étranger. Au fil des procédures, elle a seulement obtenu que le doute soit définitivement levé sur le droit de propriété qu'elle revendiquait. En l'absence d'un tel droit, il est bien peu probable qu'elle puisse envisager une quelconque indemnisation. Quant au Conseil d'Etat, il a trouvé une procédure permettant la restitution d'oeuvres d'art acquises par les acheteurs des biens nationaux, dans des conditions parfois douteuses. Il y a donc plutôt lieu de se réjouir d'une jurisprudence fort utile à la sauvegarde du patrimoine.
Il pleurait comme une madeleine. Maurice Chevalier
Extrait de "Pièges", film de Richard Siodmak. 1939
L'appartenance au domaine public
Le pleurant n° 17 est en effet protégé de toute aliénation par son appartenance au domaine public. Dans sa décision de janvier 2017, la CAA Paris n'hésitait pas à mentionner dans ses visas l'édit de Moulins de février 1566, consacrant l'inaliénabilité du domaine public de la Couronne. Ce texte demeure aujourd'hui du droit positif, lorsqu'il s'agit d'apprécier une revendication de propriété portant sur le domaine public maritime ou fluvial. Selon l'article L 3111-2 du code général général de la propriété des personnes publiques, celui-ci est en effet inaliénable, sous réserve des droits et concessions accordés avant l'édit de Moulins. Le Conseil d'Etat s'y réfère donc régulièrement, par exemple le 20 mars 2017, pour apprécier une revendication de propriété de prés salés sur la commune de La Teste-de-Buch (Gironde).
Mais le pleurant n° 17 ne fait pas partie du domaine public maritime et fluvial, et le Conseil d'Etat préfère écarter l'édit de Moulins. Il se fonde donc directement sur le droit révolutionnaire, plus précisément sur le décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 qui affirme que "tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation", et qu'en contrepartie elle s'engage à "pourvoir, de manière convenable, aux frais du culte et à l'entretien de ses ministres". Par la suite, l'article 8 du décret de la Constituante des 22 novembre et 1er décembre 1790 précise qu'il peut être dérogé à la règle d'inaliénabilité, c'est-à-dire qu'il est possible de vendre ou aliéner un bien du domaine public national, à la condition d'obtenir cette autorisation par un décret législatif sanctionné par le roi. Rappelons qu'à cette époque, un décret de l'assemblée devient législatif dès qu'il a obtenu la sanction royale, c'est-à-dire dès que le roi n'a pas opposé son veto (ce qui explique la double date des décrets, la première étant celle du vote par l'Assemblée, la seconde celle de la sanction royale).
La famille dépositaire du pleurant ne peut invoquer aucune autorisation de ce type. Au contraire, toutes les décisions intervenues durant la période révolutionnaire visaient à conserver les pleurants dans le domaine public. Ils ont ainsi été transférés à l'église Sainte-Bénigne de Dijon, qui avait le statut d'une cathédrale, dont la charge était assurée par l'Etat. Plus tard, durant la Terreur, la commune de Dijon a certes ordonné la destruction des tombeaux des ducs de Bourgogne, mais en excluant expressément les pleurants de cette mesure.
L'absence de prescription acquisitive
Faute de pouvoir s'appuyer sur une autorisation d'aliénation, les héritiers de l'acquéreur de 1813 invoquent une prescription acquisitive. L'article 36 de ce même décret de novembre-décembre 1790 prévoit en effet une prescription pour "les détenteurs d’une portion quelconque desdits domaines, qui justifieront en avoir joui (...), à titres de propriétaires, publiquement et sans trouble, pendant quarante ans continuels à compter du jour de la publication du présent décret". Le problème est que cette disposition s'applique aux seuls éléments de domaine "dont l'aliénation est permise par les décrets de l'Assemblée nationale". Retour à la case départ, dès lors que précisément aucune dérogation n'a été accordée concernant les pleurants. Le Conseil d'Etat déduit donc, fort logiquement, que le pleurant n° 17 n'a jamais quitté le domaine public de l'Etat.
Le pleurant n° 17 peut sécher ses larmes. Au lieu d'être vendu à un collectionneur privé étranger, il va pouvoir rester au musée de Dijon, être admiré comme il le mérite par les visiteurs. La famille qui a essayé de le vendre peut, quant à elle, regretter d'avoir eu une telle idée, puis d'avoir recherché à vendre le plus cher possible à l'étranger. Au fil des procédures, elle a seulement obtenu que le doute soit définitivement levé sur le droit de propriété qu'elle revendiquait. En l'absence d'un tel droit, il est bien peu probable qu'elle puisse envisager une quelconque indemnisation. Quant au Conseil d'Etat, il a trouvé une procédure permettant la restitution d'oeuvres d'art acquises par les acheteurs des biens nationaux, dans des conditions parfois douteuses. Il y a donc plutôt lieu de se réjouir d'une jurisprudence fort utile à la sauvegarde du patrimoine.
Sur le droit de propriété : Chapitre 6 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.
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