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dimanche 27 mai 2018

Le projet de loi de programmation pour la justice

Le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (PLPRJ) a été déposé au Sénat et la procédure accélérée a été engagée le 20 avril 2018. Il n'y aura donc que deux lectures successives, la première devant le Sénat, la seconde devant l'Assemblée nationale. Il comporte soixante-deux articles répartis en sept titres et se présente comme l'ouverture d'un vaste chantier visant à réformer en profondeur l'institution. 

La partie programmatique, stricto sensu, se limite à un article unique, figurant dans un titre tout aussi unique, consacré aux "objectifs de la justice et à la programmation financière". Il invite le parlement à approuver un rapport annexé au projet. Il prévoit une progression de 24 % des crédits budgétaires sur cinq ans ainsi que la création de 6500 emplois. Sur ce point, le projet répond, au moins en partie, aux préoccupations des professionnels de la justice qui estiment que les dysfonctionnements du système judiciaire proviennent essentiellement de son manque de moyens.

Pour le reste, les réformes envisagées sont nombreuses et la lecture du projet laisse l'impression d'un foisonnement, mélange un peu hétéroclite de mesures ambitieuses et de points de détail. Le fil conducteur n'est pas indiqué dans un exposé des motifs qui se borne à un résumé de chaque article du projet. Sans prétendre à l'exhaustivité, il convient donc de chercher quels sont les axes principaux de ce texte.


Le règlement amiable des différends



L'une des finalités essentielles du projet est de rationaliser et de simplifier la justice, dans le but d'accélérer les procédures. Les modes de règlement amiable des différents sont ainsi mis en avant, à la seule et modeste condition, posée par le Conseil d'Etat dans son rapport, que ces procédures soient mises en oeuvre par "des professionnels qualifiés". En matière administrative, le principe est le même avec la prolongation jusqu'à fin 2021 de l'expérimentation de la médiation pour les litiges de la fonction publique ou le contentieux social. 

Le projet de loi va même jusqu'à admettre le recours aux services en ligne d'aide à la résolution des litiges. Les conditions de cette pratique ne sont guère précises, et le texte laisse seulement entrevoir une perspective de certification de ces services. Rien ne semble exclure, dans l'état actuel du texte, l'hypothèse d'une certification organisée par les seuls professionnels du secteur, à l'image de ce qui existe pour les activités privées de sécurité, pratique qui a été récemment dénoncée par la Cour des comptes


Le procès sans audience



Cette place importante accordée au règlement amiable des différends s'inscrit dans une démarche globale visant à limiter le recours au juge, par exemple en matière de révision des pensions alimentaires ou d'actes de notoriété liés à la filiation. Et lorsque le juge est tout de même saisi, le projet de loi envisage la possibilité de résoudre les affaires sans audience, notamment pour les petits litiges financiers. Sur ce point, le projet s'appuie sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui, dans un arrêt Eker c. Turquie du 24 octobre 2017, a admis que l'obligation de tenir une audience publique pouvait être écartée en matière civile pour des motifs d'efficacité et d'économie, en particulier lorsque les questions de droit soulevées ne revêtaient pas de complexité particulière et que la procédure devait être conduite avec rapidité.

Le Conseil constitutionnel reprendra-t-il cette analyse ? Il ne s'est pas prononcé, jusqu'à présent, sur la règle de publicité des débats en matière civile, se bornant à affirmer sa valeur constitutionnelle dans le cas du procès pénal (décision du 2 mars 2004). S'il est saisi, il ne manquera sans doute pas de se prononcer, dans un sens qu'il est aujourd'hui difficile de prévoir.


L'Open Data



Le projet de loi offre au parlement l'opportunité de légiférer une nouvelle fois sur l'Open Data des décisions de justice. Ce principe se traduit par la consécration d'un droit d'accès et de réutilisation de ces décisions, consacré par la loi Lemaire du 7 octobre 2016. Mais le projet n'évoque pas la transparence en ce domaine. Au contraire, il s'appuie sur le droit au respect de la vie privée pour exiger l'occultation du nom des parties préalablement à toute communication d'une décision de justice à un tiers. Dans son avis, le Conseil d'Etat se montre beaucoup plus rigoureux, et élargit cette anonymisation aux magistrats et personnels de justice mentionnés dans le jugement. Il prévoit d'ailleurs un décret en Conseil d'Etat précisant les conditions dans lesquelles ces informations seront occultées. On doit en conclure que le Conseil d'Etat entend conserver la maîtrise de cette anonymisation, en définir lui-même la procédure. On se trouve ici dans la droite ligne du rapport Cadiet qui affirmait que les juridictions suprêmes devaient conserver le contrôle de l'Open Data des décisions de justice. Sur le fond, on peut se demander si un discret travail de grignotage de l'Open Data n'est pas entrepris, visant à en restreindre autant que possible le champ d'application et à rendre beaucoup plus difficile l'exercice du droit de réutilisation des données, pourtant lui aussi garanti par la loi Lemaire.

Chappatte. 5 avril 2017



Les juridictions pénales



En matière pénale, le projet est dominé par le mot "simplification", employé à de nombreuses reprises. Est d'abord invoquée la "simplification du parcours judiciaire des victimes", qui consiste à généraliser le dépôt de plainte par voie électronique. S'agit-il de développer les droits des victimes, ou, plus prosaïquement, de gagner du temps en accélérant la procédure ? La question mérite d'être posée, d'autant que le projet vise à développer autant que possible les procédures alternatives en matière correctionnelle : ordonnance pénale, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, composition pénale. L'objet de cette simplification est manifestement de compenser le manque de moyens par un développement de procédures simplifiées. 

L'expérimentation du tribunal criminel départemental répond à une finalité de même nature. Les crimes susceptibles d'une peine égale ou inférieure à vingt années de prison seront jugés par ces nouveaux tribunaux criminels, alors que ceux justifiant un emprisonnement plus long, comme les meurtres ou les assassinats, demeureraient du ressort des cours d'assises. Ces tribunaux seront composés d'un président et quatre assesseurs, tous magistrats professionnels, dont deux peuvent être des magistrats honoraires. L'objet est de désengorger les cours d'assises et de réduire la population carcérale par la réduction du nombre de prévenus. La méfiance à l'égard des jurys populaires est cependant flagrante. La justice est rendue au nom du peuple français, mais il en est concrètement exclu.


La procédure pénale



La "simplification de la phase d'enquête et d'instruction" est également l'un des objectifs affichés du projet. En réalité, il ne s'agit pas tant de simplifier que de généraliser les nouvelles techniques d'investigation. Les interceptions des communications électroniques sont permises dès l'enquête préliminaire ou de flagrance, sur autorisation du juge de la liberté et de la détention (JLD), pendant une durée d'un mois renouvelable une fois. Elles ne peuvent être utilisées que lorsque l'enquête porte sur une infraction punie d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à trois ans. En soi, il n'y a rien de bien choquant dans une telle disposition, si ce n'est que la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 2 mars 2004 posait des conditions un peu différentes. A l'époque, il estimait que ne portait pas une atteinte excessive à la vie privée une interception autorisée par le JLD pour une durée de quinze jours, renouvelable une fois, et ne concernant que les infractions liées au terrorisme et à la grande criminalité.

Le même problème se pose pour l'usage de la géolocalisation au cours de l'enquête, pour lequel le seuil de gravité des infractions est à la fois réduit et uniformisé, concernant désormais toutes les infractions punies de plus de trois ans d'emprisonnement, alors qu'il est actuellement de trois ans pour les atteintes aux personnes, et de cinq ans pour les autres délits. La durée de l'autorisation est également rallongée de huit à quinze jours. Sur cette question, le Conseil constitutionnel avait aussi effectué un contrôle de proportionnalité, dans sa décision du 25 mars 2014.

Le Conseil constitutionnel acceptera-t-il ces allongements des autorisations et ces élargissements des infractions concernées ? Le risque d'une annulation existe. Il apparaît moins élevé cependant dans le cas de l'autorisation du recours aux "techniques spéciales d'enquêtes", notamment l'IMSI Catcher qui permet d'intercepter l'ensemble des communications dans un périmètre précis, et la sonorisation de certains locaux. Ces procédés sont désormais utilisables pour tous les crimes et non plus pour ceux relevant spécifiquement de la criminalité organisée. Dans sa décision du 4 décembre 2013, le Conseil constitutionnel avait déjà admis qu'ils soient utilisés pour la recherche de crimes, même non commis en bande organisée, dès lors que la situation l'exigeait.


Les procédures



Sur le plan des procédures, le projet de loi va dans le sens d'une simplification déjà largement pratiquée. C'est ainsi qu'il admet que le renouvellement d'une garde à vue, à l'issue d'une première période de 24 heures, soit effectué sans présentation physique de l'intéressé au procureur de la République. C'était déjà largement le cas, et l'essentiel demeure que la garde à vue reste soumise au contrôle direct de l'autorité judiciaire.


Les peines



Le régime des peines poursuit un but de désengorgement des prisons, avec une volonté d'étendre les peines alternatives, comme la détention à domicile sous surveillance électroniques, les travaux d'intérêt général, les stages de citoyenneté divers et variés auxquels est ajouté un indispensable stage de lutte contre le sexisme. En revanche, l'aménagement de principe des peines d'emprisonnement ne s'applique plus qu'aux peines comprises entre un mois et un de détention, et non plus deux.

D'autres dispositions pourraient être commentées, de la spécialisation des juridictions judiciaires aux mesures prises pour faciliter la construction d'établissements pénitentiaires. L'ensemble laisse entrevoir un chantier de longue haleine, et la justice de 2022 devrait être bien différente de celle de 2018. S'agit-il pour autant d'un progrès ? D'une modernisation certainement, avec la dématérialisation des recours, les audiences par vidéoconférence, les enquêtes assistées par Imsi-Catcher.. Tout cela était probablement indispensable. Mais la protection des requérants et des justiciables s'en trouve-t-elle accrue ?  Il est bien difficile de répondre à cette question, car les auteurs du projet ne semblent pas s'être posés la question. Il repose en effet sur une théorie du ruissellement judiciaire : la simplification des procédures, les économies dans la gestion du service public de la justice entraînent automatiquement la satisfaction des usagers et l'élargissement de leurs droits. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes judiciaires.

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