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jeudi 26 avril 2018

"Immigration maîtrisée, droit d'asile effectif et intégration réussie"...

Le projet de loi « Immigration maîtrisée, droit d'asile effectif et intégration réussie"  a été voté par l'Assemblée nationale le 22 avril 2018. Adopté selon la procédure accélérée prévue à l'article 45 de la Constitution, il ne donne lieu qu'à un seul vote dans chaque assemblée parlementaire. Il doit donc être prochainement soumis au Sénat où le débat promet d'être vif. Observons d'emblée que l'objet du texte n'est pas du tout d'encadrer l'ensemble du phénomène migratoire. Il traite essentiellement de la question du droit d'asile et des conditions d'octroi de la qualité de réfugié, qualité réservée aux personnes qui parviennent à montrer qu'elles ont été persécutées ou qu'elles étaient en danger dans leur pays, et que les institutions de celui-ci n'étaient pas en mesure de garantir leur protection. Encore n'épuise-t-il pas le sujet, car certaines questions, dont celle des mineurs isolés, sont loin d'être résolues.

Le projet a suscité un débat parlementaire particulièrement vif, au point d'avoir, pour la première fois, introduit des éléments de division dans le groupe parlementaire LREM. Pour les uns, le projet de loi est liberticide car il a pour objet de faire rapidement quitter le territoire aux étrangers qui n'ont pas obtenu le droit d'asile. Pour les autres, il est trop laxiste car il vise à améliorer l'accueil de ceux qui sont autorisés à demeurer.  En réalité, le texte illustre parfaitement l'esprit actuel, car il voudrait répondre "en même temps" à ces deux préoccupations. Le pari est toutefois loin d'être gagné.

La maîtrise du temps


Le fil rouge du texte réside dans une volonté de raccourcir les délais de traitement des demandes d'asile.

Le demandeur d'asile disposera désormais de 90 jours pour déposer son dossier, au lieu des 120 auparavant admis. Le non-respect de cette condition entraîne l'examen de sa demande en procédure accélérée, ce qui signifie que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) statuera dans les 15 jours après sa saisine. A priori, ce délai de trois mois est suffisant après l'entrée sur le territoire pour formuler une demande d'asile et c'est d'ailleurs celui adopté en Allemagne. Encore faut-il que l'étranger puisse rapidement obtenir un rendez-vous en préfecture, sinon cette disposition risque de demeurer lettre morte.

L'objectif affiché par l'Exécutif est de réduire de moitié le délai d'instruction des demandes sans pour autant porter atteinte aux droits de la défense. La durée moyenne entre le dépôt du dossier et la réponse de l'OFPRA ne devrait donc plus dépasser six mois, objectif mis en avant par les promoteurs du projet sans qu'il s'accompagne de dispositions très claires sur les moyens de le remplir. Quoi qu'il en soit, après une décision lui refusant la qualité de réfugié, l'intéressé aura désormais 15 jours, au lieu d'un mois auparavant, pour former recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

L'éloignement


Le second élément saillant du projet de loi réside dans la volonté de distinguer clairement entre les étrangers en situation régulière, c'est-à-dire ceux qui ont obtenu l'asile, et ceux qui sont déboutés du droit d'asile. Admis à rester sur le territoire pendant la durée d'instruction de leur demande, quand bien même ils y ont pénétré irrégulièrement, ils redeviennent des étrangers en situation irrégulière une fois que le refus leur a été notifié. A partir de ce moment, ils n'ont plus vocation à y rester et peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, principe rappelé par la directive "retour" de 2008. C'est le cas, au premier chef, des "dublinés", c'est à dire des personnes qui ont été administrativement pris en charge dans un autre Etat européen avant de se rendre en France. Ceux-là doivent en effet y être renvoyés pour que leur demande d'asile y soit traitée.

En l'état actuel du droit, l'étranger qui se voit refuser le droit d'asile fait l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français (OQTF), obligation assez peu respectée, d'autant que l'étranger débouté du droit d'asile pouvait encore déposer d'autres demandes de séjour. Le projet de loi s'efforce donc d'empêcher les procédures dilatoires, c'est à dire n'ayant pas d'autres objet que de demeurer sur le territoire. C'est ainsi que le demandeur d'asile pourra faire une demande de titre de séjour sur un autre fondement durant l'instruction de sa demande. Une fois débouté, il n'aura plus cette possibilité, sauf circonstances nouvelles modifiant sa situation.

Le Lotus bleu. Hergé. 1935


La privation de liberté


Le projet de loi prévoit d'accroître la durée de rétention administrative de 45 à 90 jours. A dire vrai, cette disposition se révèle très largement inutile, dans la mesure où il était très rare qu'un éloignement ne puisse être concrètement organisé dans les 45 jours prévus par le délai initial. De toute évidence, il s'agit d'envoyer un signal aux étrangers désireux de se rendre en France pour essayer d'y obtenir la qualité de réfugié, signal montrant une volonté de mettre effectivement en oeuvre l'éloignement.

A cette rétention plus longue s'ajoute une vérification d'identité elle aussi allongée, passant de 16 h à 24 h. Il est vrai qu'il n'est pas toujours facile de vérifier l'identité d'étrangers parfois "peu coopératifs", selon la formule employée dans le rapport du Conseil d'Etat. Il est vrai que, dans ce cas, il ne s'agit pas de préparer un éloignement mais de s'assurer de l'identité de la personne et de voir si, le cas échéant, elle n'est pas en situation de bénéficier du droit au séjour. Il n'empêche que l'alignement temporel de cette vérification sur la durée de la garde à vue risque d'être mal perçu.


Le "délit de solidarité"



Pour compenser cette rigueur, le projet de loi offre quelques compensations. La première vise directement à donner satisfaction aux associations de protection des étrangers, particulièrement irritées à l'égard de ce qui est improprement appelé "délit de solidarité". Il s'agit en réalité de l'infraction visée par l'article L 622-1 ceseda qui punit d'une peine de cinq d'emprisonnement et 30 000 € d'amende "toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d'un étranger en France". Dans la pratique, les juges distinguent clairement les réseaux de passeurs qui donnent lieu à des poursuites réelles, et les militants qui ne sont condamnés que symboliquement. Ainsi l'agriculteur Cédric Herrou, dont l'aide aux étrangers a été largement médiatisée, a-t-il finalement été condamné en 2017 à quatre mois de prison avec sursis pour avoir aidé environ deux cents migrants à traverser la vallée de la Roya. Le projet de loi, à l'issue du débat parlementaire, admet un assouplissement de cette infraction. Il supprime en effet la mention de l'aide à la "circulation" sur le territoire, ne laissant subsister que l'infraction d'aide à l'entrée et au séjour, ce qui permet de poursuivre à la fois les passeurs et les marchands de sommeil. Ne seront donc plus poursuivis les personnes qui, poussées par un seul sentiment de générosité, ont aidé des étrangers en difficulté après le passage de la frontière.


L'accueil 



Le projet de loi contient aussi un certain nombre de dispositions destinées à améliorer l'accueil, par exemple en offrant immédiatement un titre pluriannuel aux réfugiés, en améliorant la réunification familiale des réfugiés mineurs ou encore en permettant aux demandeurs d'asile d'accéder au marché du travail six mois après le dépôt de leur demande, au lieu des neuf mois actuellement en vigueur. De même, devrait être facilité l'accès à la qualité de réfugiés des personnes victimes de violences conjugales ou des femmes excisées. Sur ce dernier point, la jurisprudence reconnaissait déjà que l'asile pouvait être accordé sur ce fondement.  Quoi qu'il en soit, les dispositions relatives à l'accueil sont maigres, et on comprend bien que ce n'est pas l'essentiel du projet.

Tel qu'il vient d'être voté par l'Assemblée, le projet ne mérite sans doute ni un enthousiasme débordant ni un excès de critiques. Tout au plus peut-on observer qu'il s'inscrit parfaitement dans le programme du candidat Emmanuel Macron qui annonçait en 2017 vouloir "reconduire sans délai les déboutés du droit d'asile dans leur pays, afin qu'ils ne deviennent pas des immigrés clandestins". Reste que le droit des étrangers n'en sort pas simplifié. Depuis 1980, seize lois l'ont modifié, la dernière datant du 7 mars 2016. Sur ce point, le Conseil d'Etat, dans son avis sur le texte, a raison d'observer qu'il n'était peut être pas urgent de légiférer une nouvelle fois, alors que l'on n'a même pas eu le temps de dresser un bilan statistique satisfaisant des textes les plus récents. Alors que le système actuellement en vigueur prévoit pas moins de neuf procédures d'éloignement des étrangers, sans doute aurait-il été préférable de réfléchir un peu plus longtemps à une réforme d'envergure, permettant notamment de simplifier des procédures dont la sédimentation ne fait qu'accroître la complexité d'un droit qui, au contraire, devrait être marqué par sa simplicité et sa lisibilité.




Sur le droit d'asile : Chapitre 5 section 2 du manuel de libertés publiques sur internet version e-book, version papier



2 commentaires:

  1. C'est un article très intéressant sauf qu'il nous laisse un peu sur notre faim : l'inconventionnalité de la future loi telle qu'elle est actuellement sera à notre sens écartée par le juge administratif car comment articuler l'enfermement des enfants mineurs avec les arrêts de la CEDH qui sont très fermes sur ce sujet (arrêt Popov/France. http://www.cncdh.fr/fr/publications/arret-popov-c-france)
    L'inconventionnalité relevée par le JA est une procédure "légère", il ne s'encombrera pas à notre sens de consulter la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat.

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  2. Les déboutés du droit d'asile n'ont apparemment qu'à refuser de monter dans les avions qui doivent les reconduire à la frontière ou plus loin et la procédure d'expulsion s'arrête. Pas trop difficile donc.

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