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dimanche 4 mars 2018

La fin des fonctions de Mathieu Gallet, ou les questions non posées

Dans une ordonnance du 28 février 2018, le juge des référés du Conseil d'Etat déclare irrecevable le recours dirigé contre la décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 31 janvier 2018 mettant fin aux fonctions du président de Radio France, Mathieu Gallet. Cette décision n'a pas suscité beaucoup d'intérêt. D'une part, l'empathie à l'égard de l'ancien Président est assez faible, sa mise à l'écart étant la conséquence d'une condamnation à un an de prison avec sursis et 20 000 € d'amende pour un délit de favoritisme commis lors de précédentes fonctions à l'INA. D'autre part, une décision d'irrecevabilité fait écran à l'analyse de la question, puisque le fond n'est même pas évoqué. 

Absence d'intérêt pour agir


La requête a en effet été déposée par la branche orléanaise de l'Association de défense de l'audiovisuel public (ADAP) et non pas par Mathieu Gallet lui-même. "Si quelque affaire t'importe, ne la fais pas plaider par procureur" déclare La Fontaine dans Le fermier, le chien et le renard. Dans le contentieux administratif, ce principe selon lequel nul ne plaide par procureur se traduit par l'irrecevabilité d'un recours dirigé contre une décision individuelle et présenté par une association. C'est vrai si l'intéressé est membre de l'association, et, depuis un arrêt de 1906 Syndicat des patrons-coiffeurs de Limoges, il est entendu qu'un groupement ne peut se substituer à l'un ou à certains de ses membres pour la défense d'un intérêt particulier, sauf s'il a reçu mandat exprès à cette fin. A fortiori cette irrecevabilité s'impose-t-elle lorsqu'il n'existe aucun lien entre l'intéressé et l'association qui entreprend de défendre ses intérêts. Tel semble bien être le cas en espèce, et il n'est fait état d'aucun mandat de Mathieu Gallet confiant ses intérêts à l'ADAP pour contester cette mise à l'écart.

Sur ce plan, la décision est conforme à une jurisprudence constante qui considère que le requérant doit être concerné personnellement par une décision qui change, ou est susceptible de changer, sa situation juridique, ou celle de ses membres s'il s'agit d'un groupement. On peut comprendre que l'objet est d'éviter l'actio popularis dans laquelle tout le monde serait fondé à contester tous les actes administratifs. En revanche, il résulte de cette jurisprudence qu'une personne qui n'agit que dans l'intérêt la légalité, en sa seule qualité de citoyen, se voit refuser le droit de recours. Dans un arrêt B. du 29 décembre 1995, le Conseil d'Etat juge ainsi que le requérant qui invoque le seul "intérêt des consommateurs" pour contester une décision. Il est vrai que le citoyen a davantage de liberté au plan local, et un célèbre arrêt Casanova de 1901 a conféré au contribuable communal le droit de faire un recours contre une délibération du conseil municipal ayant des conséquences sur le budget de la commune. Au plan national toutefois, un simple citoyen, ou une association, se voit interdire tout recours fondé sur son seul intérêt pour l'intérêt public. 

La liberté de communication


Le référé du 28 février 2018, Mathieu Gallet bien au-delà de la personne, illustre les inconvénients d'une telle restriction, dans le cas d'une éventuelle à une liberté publique.

L'association orléanaise avait en effet déposé un référé-liberté, procédure utilisée pour demander au juge de suspendre une décision en cas d'"illégalité manifeste portant atteinte à une liberté fondamentale" (article L 521-2 du code de justice administrative). En l'espèce, l'ADAP invoque une atteinte à la liberté de communication inscrite dans la loi du 30 septembre 1986 et ayant valeur constitutionnelle depuis la décision du 18 septembre 1986 rendue par le Conseil constitutionnel.

La mer sans arrêt roulait ses galets...
Deux enfants au soleil. Jean Ferrat. 1961

Les turbulences du pouvoir de nomination


Selon ce texte, le CSA "garantit l'indépendance et l'impartialité du secteur public de la communication audiovisuelle". Or, le mode de désignation des responsables de l'audiovisuel public a connu quelques turbulences dans les années récentes. La loi du 5 mars 2009, opérant la concentration de l'audiovisuel public au sein d'une société nationale de programme France Télévisions avait déjà conféré à l'Exécutif le soin de définir les missions de service public incombant aux différentes sociétés et notamment à Radio France. Surtout, le Président Sarkozy avait alors estimé qu'il appartenait à l'Etat, et donc à lui-même, de nommer les Présidents, privilège exorbitant ouvrant la porte à un véritable contrôle politique de l'audiovisuel public. La situation a heureusement été rétablie sous le quinquennat de François Hollande, et la loi du 15 novembre 2013 rend au CSA la compétence de nomination. 

La loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction issue de 2013, énonce que la nomination du président de Radio France, comme celle des autres présidents du secteur public de l'audiovisuel, fait l'objet "d'une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d'expérience" (art. 47-4). Leur mandat peut leur être retiré "par décision motivée, dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 47-4". La lettre de ces dispositions semble donc indiquer que le mandat peut être retiré pour des motifs tirés de la compétence et/ou de l'expérience de l'intéressé. Aurélie Filipetti, ministre de la culture en 2013 avait déclaré, lors des débats parlementaires, que "le motif invoqué devait être légitime. Pour schématiser, il faudrait qu'un président devienne fou pour que l'on puisse le révoquer ! ". Or Mathieu Gallet est condamné pour délit de favoritisme, mais il n'est pas fou. Peut-on considérer que, du fait de sa condamnation, il a moins de compétence et d'expérience pour diriger Radio France

La lecture de la décision du CSA mettant fin aux fonctions de Mathieu Gallet montre que l'autorité en charge de l'audiovisuel est pleinement consciente de cette difficulté. Le terme révocation n'est pas employé une seule fois, d'autant que l'intéressé a fait appel de sa condamnation pénale. Le CSA n'évoque donc que des considérations d'intérêt général. A une époque où la lutte contre la corruption est une priorité et où une nouvelle réforme de l'audiovisuel est envisagée, il lui semble que le président de Radio France "n'a plus la crédibilité et l'exemplarité nécessaires à la préservation de la confiance de l'Etat".  Il importe en effet que "les relations d'échange et de dialogue entre les représentants de l'Etat et le PDG de la société soient denses, confiantes et permanentes". Fort bien, mais ces conditions ne figurent pas dans la loi qui se borne à mentionner la "compétence et l'expérience".

Des questions pas posées


Le CSA pouvait-il ainsi librement ajouter des conditions à celles prévues par la loi ? Est-il possible de mettre fin aux fonctions du président d'une société nationale de programme pour des motifs d'opportunité, car la confiance n'existe plus ? Ces questions ne seront pas posées au Conseil d'Etat puisque le recours en référé n'était pas recevable. 

On peut le regretter, même si on peut comprendre le désir d'écarter un président désormais encombrant et peu crédible. Il n'empêche que, derrière le cas de Mathieu Gallet, se profile un nouveau débat sur l'indépendance des médias publics. Le CSA, dans sa décision, reprend en effet largement l'argumentaire de la ministre de la culture et de mauvais esprits pourraient considérer qu'il a joué le rôle de l'exécutant chargé de tordre le bras du président récalcitrant. Au moment où une nouvelle réforme de l'audiovisuel public est envisagée, le message n'est pas tout-à-fait rassurant.


Sur la communication audiovisuelle : Chapitre 9 section 2 § 2 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.






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