Laurient Fabius est nommé Haut Référent pour la gouvernance environnementale par l'ONU. On ne sait pas exactement quelles seront ses fonctions, si ce n'est qu'il s'agit d'"inciter les gouvernements à s’unir et à agir pour les générations futures", formule employée par Erik Solheim, directeur du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Le nouveau Haut Référent s'est empressé de convoquer les journalistes pour leur expliquer sa nouvelle mission. Il a alors prononcé des paroles qui laisseront des traces dans l'Histoire, affirmant qu'il y a aujourd'hui "alerte rouge pour la planète". Toute la presse s'est fait l'écho de cette nomination et de ces propos sans nul doute visionnaires.
En revanche, personne n'a semblé surpris que le Président du Conseil constitutionnel exerce des fonctions auprès des Nations Unies. Il est vrai que l'intéressé avait déjà vainement tenté, lorsqu'il avait nommé au Conseil en janvier 2016, de conserver la présidence de la COP 21, affirmant que les deux fonctions étaient "compatibles". Membre du Conseil d'Etat, il est probable que le cumul des fonctions administratives et juridictionnelles ne le choquait pas outre mesure. Mais Ségolène Royal, alors ministre de l'environnement, ne l'entendait pas de cette oreille et le nouveau Président du Conseil constitutionnel s'était vu contraint de se consacrer à sa nouvelle mission. Aucune voix discordante ne se fait entendre aujourd'hui, et l'ancien ministre des affaires étrangères semble donc pouvoir s'extraire du cadre, sans doute trop étriqué à ses yeux, de la juridiction constitutionnelle pour retrouver un espace universel plus à sa mesure.
Il convient tout de même de s'interroger sur l'articulation entre ces deux fonctions et sur le régime d'incompatibilités existant. L'intéressé, dans le but de prévenir toute objection, fait valoir que la fonction de Haut Référent est à la fois "honorifique et bénévole". Il ne dit rien sur les incompatibilités imposées par l'ordonnance du 7 novembre 1958
portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, comme si ce texte de droit interne devait tout simplement être écarté.
Une fonction publique
Il entend cependant demeurer président du Conseil constitutionnel, et à ce titre il demeure soumis aux contraintes posées par cette ordonnance. Observons à ce propos que le régime des incompatibilités est identique pour tous les membres nommés du Conseil, le Président n'étant sur ce point qu'un primus inter pares. Dans son article
4, l'ordonnance du 7 novembre 1958 affirme ainsi que l'exercice des fonctions de membre du Conseil est "incompatible avec toute fonction publique et toute activité professionnelle ou salariée".
Ce principe est ensuite décliné, et il est précisé qu'un membre du
Conseil ne peut pas être aussi membre du gouvernement, du parlement, du
Conseil économique, social et environnement, ou encore Défenseur des
droits. Pour Laurent Fabius, l'interprétation de cette disposition est simple : la fonction de Haut Référent n'est pas une "fonction publique" au sens de l'article 4, dès lors qu'elle est "bénévole".
Il s'agit là d'une affirmation qui ne repose sur aucun fondement juridique sérieux. Nommé par l'ONU, Laurent Fabius, Haut Référent, demeure placé sous l'autorité des Nations Unies, et ses fonctions s'exercent sous la responsabilité de l'Organisation. Même s'il n'est pas rémunéré, il bénéficie de frais de fonctionnement, d'une équipe pour l'assister, et ses voyages sont pris en charge. Entre lui et l'ONU existe donc un lien juridique incontestable. Son rôle consiste, rappelons-le, à "inciter les gouvernements" à s'unir pour l'environnement. Il intervient donc pour le compte d'une personne publique internationale, l'ONU, afin d'établir des relations avec les représentants des Etats. Il paraît donc impossible de qualifier sa fonction de privée et elle doit donc être considérée comme une fonction publique, même bénévole.
L'article 4 de l'ordonnance représente donc un véritable obstacle juridique au cumul exercé par Laurent Fabius, mais ce n'est pas la seule disposition qui soit maltraitée.
Le Devin Plombier, à la fois devin et plombier. Les Shadocks. Jacques Rouxel 1966 |
L'impartialité
L'article 1er du décret du 13 novembre 1959 sur les obligations du Conseil constitutionnel impose à ses membres de "s'abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l'indépendance et la dignité de leur fonctions"
(art. 1er). Certes, les fonctions de Haut Référent n'ont rien d'indigne. N'y a t il pour autant aucun risque d'atteinte à l'indépendance des fonctions d'un membre du Conseil
constitutionnel ? Monsieur Fabius est-il assuré de ne jamais rencontrer de lobbies ? Peut-on considérer que le jour où le Conseil constitutionnel sera appelé à statuer sur la
constitutionnalité d'une loi relative à l'exploitation des gaz de
schiste ou encourageant les énergies non renouvelables, aucune pression, aucune influence ne se fera sentir sur son président ? Il n'est évidemment pas question d'accuser Laurent Fabius de céder aux pression des lobbies.. mais le soupçon de conflit d'intérêt suffit à semer le doute sur l'impartialité d'une décision.
L'impartialité d'une juridiction, aux yeux de la Cour européenne des droits de l'homme, ne s'apprécie pas seulement au regard des conflits d'intérêts démontrés, de la volonté clairement établie de favoriser une partie. Elle est également appréciée à l'aune de l'apparence de la juridiction. Il ne faut pas seulement qu'elle soit impartiale, il faut aussi qu'elle en ait l'air. C'est la définition même de l'impartialité objective consacrée par la Cour européenne, celle qu'elle formule en ces termes dans sa célèbre décision Morice c. France de 2015 : "En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure".
Le fait que le Président du Conseil constitutionnel soit également Haut Référent, nommé par les Nations Unies, pourrait-il être considéré comme un manquement à l'impartialité objective ? Rien n'est certain, mais force est de constater que la CEDH accepte de se pencher sur la conformité à l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme de la procéder suivie devant une cour constitutionnelle. Il suffit pour cela que le juge constitutionnel soit appelé à se prononcer sur un droit ou une obligation de caractère civil ou sur une accusation en matière pénale. Autrement dit, le Conseil constitutionnel doit respecter le droit à un juste procès, et donc le principe d'impartialité, depuis qu'il est conduit à juger des questions prioritaires de constitutionnalité. L'hypothèse d'une censure par la Cour européenne, motivée par l'absence d'impartialité d'objective du Conseil constitutionnel dans la procédure de QPC n'est donc pas entièrement à exclure.
Enfin, la question demeure posée de la manière dont Laurent Fabius devra gérer son obligation de réserve. L'article 7 de l'ordonnance de 1958 interdit en effet aux membres du Conseil de prendre une position publique "sur des questions ayant fait ou susceptibles de faire l'objet de décisions du Conseil constitutionnel". Comment pourrait-il savoir que tel ou tel sujet qu'il évoque comme Haut Référent ne donnera pas lieu ensuite à une saisine du Conseil ? L'élargissement constant du contentieux constitutionnel avec la QPC rend l'obligation de réserve plus contraignante, d'autant plus en l'espèce que l'on peut penser que le Haut Référent sera appelé à prendre publiquement position sur de nombreux sujets.
Dans le cas présent, toutes ces questions ne sont pas résolues, tout simplement parce qu'elles ne sont pas posées. Le Président de la République pourrait certes s'appuyer sur l'article 5 de la Constitution qui fait de lui le garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics pour intervenir dans ce domaine, mais il ne semble pas intéressé par la question. Il en est de même du gouvernement, et l'actuel ministre de l'environnement se montre plus discret que Ségolène Royal.
En l'absence d'autre réaction, la seule autorité susceptible d'intervenir est le Conseil constitutionnel lui-même. Il dispose pour cela d'une arme lourde. Il l'a rappelé il y a à peine trois mois, lorsqu'il a pris fermement position contre la nomination de M. Mercier par le Président du Sénat. On se souvient que l'intéressé avait fait l'objet d'une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics par le Parquet national financier. Rappelant les termes de l'article 1er du décret du 13 novembre 1959, le Conseil constitutionnel avait alors rappelé qu'il peut, "le cas échéant, constater la démission d'office de l'un de ses membres". Ce communiqué avait suscité le retrait immédiat de M. Mercier, Il est vrai que Laurent Fabius ne fait, quant à lui, l'objet d'aucune enquête et que son honnêteté n'est pas en cause, mais c'est aux membres du Conseil d'apprécier les actes susceptibles de porter atteinte à l'indépendance et l'impartialité de l'institution. L'arme est lourde, mais c'est la seule. Elle rappellerait aux parangons de l'Etat de droit qu'ils doivent donner l'exemple de son respect.
L'impartialité d'une juridiction, aux yeux de la Cour européenne des droits de l'homme, ne s'apprécie pas seulement au regard des conflits d'intérêts démontrés, de la volonté clairement établie de favoriser une partie. Elle est également appréciée à l'aune de l'apparence de la juridiction. Il ne faut pas seulement qu'elle soit impartiale, il faut aussi qu'elle en ait l'air. C'est la définition même de l'impartialité objective consacrée par la Cour européenne, celle qu'elle formule en ces termes dans sa célèbre décision Morice c. France de 2015 : "En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l'importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d'une société démocratique se doivent d'inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure".
Le fait que le Président du Conseil constitutionnel soit également Haut Référent, nommé par les Nations Unies, pourrait-il être considéré comme un manquement à l'impartialité objective ? Rien n'est certain, mais force est de constater que la CEDH accepte de se pencher sur la conformité à l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme de la procéder suivie devant une cour constitutionnelle. Il suffit pour cela que le juge constitutionnel soit appelé à se prononcer sur un droit ou une obligation de caractère civil ou sur une accusation en matière pénale. Autrement dit, le Conseil constitutionnel doit respecter le droit à un juste procès, et donc le principe d'impartialité, depuis qu'il est conduit à juger des questions prioritaires de constitutionnalité. L'hypothèse d'une censure par la Cour européenne, motivée par l'absence d'impartialité d'objective du Conseil constitutionnel dans la procédure de QPC n'est donc pas entièrement à exclure.
L'obligation de réserve
Enfin, la question demeure posée de la manière dont Laurent Fabius devra gérer son obligation de réserve. L'article 7 de l'ordonnance de 1958 interdit en effet aux membres du Conseil de prendre une position publique "sur des questions ayant fait ou susceptibles de faire l'objet de décisions du Conseil constitutionnel". Comment pourrait-il savoir que tel ou tel sujet qu'il évoque comme Haut Référent ne donnera pas lieu ensuite à une saisine du Conseil ? L'élargissement constant du contentieux constitutionnel avec la QPC rend l'obligation de réserve plus contraignante, d'autant plus en l'espèce que l'on peut penser que le Haut Référent sera appelé à prendre publiquement position sur de nombreux sujets.
Dans le cas présent, toutes ces questions ne sont pas résolues, tout simplement parce qu'elles ne sont pas posées. Le Président de la République pourrait certes s'appuyer sur l'article 5 de la Constitution qui fait de lui le garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics pour intervenir dans ce domaine, mais il ne semble pas intéressé par la question. Il en est de même du gouvernement, et l'actuel ministre de l'environnement se montre plus discret que Ségolène Royal.
En l'absence d'autre réaction, la seule autorité susceptible d'intervenir est le Conseil constitutionnel lui-même. Il dispose pour cela d'une arme lourde. Il l'a rappelé il y a à peine trois mois, lorsqu'il a pris fermement position contre la nomination de M. Mercier par le Président du Sénat. On se souvient que l'intéressé avait fait l'objet d'une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics par le Parquet national financier. Rappelant les termes de l'article 1er du décret du 13 novembre 1959, le Conseil constitutionnel avait alors rappelé qu'il peut, "le cas échéant, constater la démission d'office de l'un de ses membres". Ce communiqué avait suscité le retrait immédiat de M. Mercier, Il est vrai que Laurent Fabius ne fait, quant à lui, l'objet d'aucune enquête et que son honnêteté n'est pas en cause, mais c'est aux membres du Conseil d'apprécier les actes susceptibles de porter atteinte à l'indépendance et l'impartialité de l'institution. L'arme est lourde, mais c'est la seule. Elle rappellerait aux parangons de l'Etat de droit qu'ils doivent donner l'exemple de son respect.
Sur l'indépendance et l'impartialité du Conseil constitutionnel : Chapitre 3 section 2 § 1 A du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier
Votre analyse du sujet est excellente, d'autant plus que vous êtes l'une des seules à le traiter. En encensant le nouveau sauveur de la planète, nos perroquets à carte de presse couvrant les travaux de la COP23 qui vient de s'achever à Bonn (sous présidence fidjienne) n'ont pas soulevé le moins du monde ce problème si grave pour la crédibilité du Conseil constitutionnel et de son président. Deux autres pistes de réflexion peuvent être suivies pour compléter votre tableau déjà très complet.
RépondreSupprimerLE PACTE MONDIAL POUR L'ENVIRONNEMENT.
Rappelons que Laurent Fabius rappelle dans ses brillantes interventions faites avant et pendant la réunion de Bonn qu'il a désormais en charge la rédaction d'un Pacte mondial pour l'environnement dont l'objet est plus vaste que la Convention sur les changements climatiques. Qu'adviendra-t-il si un citoyen français conteste certaines des dispositions de ce futur accord international devant les sages au titre d'une QPC ? Son président devra-t-il se déporter ? Quid si le Conseil constitutionnel censure une ou plusieurs dispositions d'un traité dont son président est le père, le géniteur ? Toutes ces questions n'ont pas encore trouvé de réponse.
L'AFFAIRE LAFARGE EN SYRIE
Plusieurs ONG ont demandé l'audition de Laurent Fabius et deux ambassadeurs dans le cadre de l'instruction de l'affaire de la cimenterie de Lafarge en Syrie. Cette société franco-suisse est accusée de financement du terrorisme, ayant versé des sommes importantes à l'EIIL pour laisser ses camions circuler en toute liberté sur le territoire syrien depuis le début des "printemps arabes". Elle se défend en soulignant que c'est à la demande expresse de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et de ses services qu'elle aurait continué ses activités en Syrie au titre de la "diplomatie économique" dont notre Talleyrand fut le chantre. Le président du Conseil constitutionnel pourrait être entendu par un magistrat, mis en examen, poursuivi... Sait-on jamais ! Que faire dans ces cas de figure ? Le citoyen Laurent Fabius pourrait peut être déposé une QPC, sait-on jamais.
On voit que tout ceci est grotesque et prête le flanc à une sévère critique au non du respect des principes élémentaires du droit. Encore toutes nos félicitations pour votre excellente analyse qui démontre, une fois encore, que la France n'est pas le parangon de vertu qu'elle s'autoproclame, y compris comme le fait le président de la République récemment devant la CEDH à Strasbourg.
Fausser la situation ne sert pas à faire avancer une cause légitime, celle de la protection de l'environnement et du changement climatique ! Il est vrai que Laurent Fabius nourrit quelque amertume pour n'avoir pas été désigné prix Nobel de la paix au titre de son immense succès à la COP21... dont il ne reste si peu à étudier les résultats des COP22 (Marrakech) et COP23 (Bonn). Préférer l'ambiguïté à la vérité a toujours un coût.
Si je ne me trompe pas, le problème de la saisine de la CEDH est qu'il faudrait une demande de récusation au titre de l'épuisement des voies de recours internes. Or, il n'y en a eu que quelques demandes en ce sens depuis les débuts de la QPC, ce qui rend la sanction de la Cour de Strasbourg très peu probable. Ceci dit on pourrait en dire autant de la procédure de la démission d'office... Comme vous dites "l'arme est lourde", probablement trop lourde pour être maniée par les mains distinguées des membres du Conseil.
RépondreSupprimerLire la très bonne reprise de votre post sur le site du Point.fr sous la plume de Bernard Quiriny en date du 21 novembre 2017 intitulée : "Laurent Fabius : une casquette de trop". Mais tout va très bien madame la marquise !
RépondreSupprimerCe qui n'empêche pas Jupiter d'aller faire la leçon à la CEDH comme si notre douce France était irréprochable.
Ce qui n'empêche pas le très communicant vice-président du Conseil d'Etat de se livrer à un exercice comique d'auto-satisfaction que l'on peut découvrir sur le site d'Acteurs publics en date du 8 novembre 2017.
Décidément, le grotesque a encore de beaux jours devant lui du côté du Palais-Royal !
Copie de mes interrogations sur Twitter :
RépondreSupprimer1) Suffirait-il qu'un membre du CC le demande pour que ce dernier doive se prononcer sur l'éventuelle démission d'office de son président ?
2) S'il ne peut pas lui désigner un remplaçant en tant que "simple" membre, le PDR pourrait mettre fin aux fonctions de Laurent Fabius en tant que président du CC, ou me trompé-je ?