Par une ordonnance du 1er septembre 2017, le juge des référés du Conseil d'Etat annule l'injonction du juge administratif de Strasbourg ordonnant à la commune de Dannemarie (Haut-Rhin) de retirer de ses rues les silhouettes féminines censées illustrer "l'année de la femme".
En apparence, l'affaire ressemble à une version un peu modernisée de Clochemerle. Le maire de Dannemarie (2000 hab.) décide de faire de choisir pour thème de l'année 2017 "l'année de la femme". Une rue reçoit le nom de Monique Wittig, l'une des fondatrice du MLF, une exposition est organisée sur le rôle des femmes durant la première guerre mondiale. En même temps, la première adjointe bricole elle-même, avec des stocks de contreplaqué et de peinture, une bonne centaine de silhouettes féminines. Sitôt installées dans l'espace public, elles suscitent la colère des associations féministes. L'une d'entre elles, Les Effronté-e-s, demande au juge des référés de Strasbourg d'en ordonner le retrait. A leurs yeux, "ces panneaux qui confinent la femme à ses attributs sexuels ou à son rôle reproductif, promeuvent l'infériorité du statut de la femme, qui est réduit à des stéréotypes inspirés du modèle archaïque dominant". Le juge de Strasbourg leur donne raison et ordonne le retrait des installations qui constituent "une représentation dévalorisante" des femmes, cette dévalorisation entrainant une atteinte au principe d'égalité entre les hommes et les femmes.
Contrairement au juge des référés du tribunal de Strabourg, le Conseil d'Etat ne s'appuie pas sur exclusivement sur l'appréciation, nécessairement subjective, des panneaux contestés. Sont-ils ou non une représentation de stéréotypes sexuels ? Ce n'est pas le problème du Conseil d'Etat qui laisse chacun se faire une opinion sur la question. Certes, il admet qu'ils "peuvent être perçus par certains comme véhiculant (...) des stéréotypes dévalorisants pour les femmes", que certains d'entre eux peuvent même être considérés comme "témoignant d’un
goût douteux" ou "présentant un caractère suggestif inutilement
provocateur". Mais le problème juridique est ailleurs.
Le juge des référés commence par rappeler les conditions, relativement strictes, du référé-liberté, telles qu'elle figurent dans l'article L521-2 du code de la justice administrative (cja). Il y est précisé que "le juge peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de
droit public (...) aurait porté une
atteinte grave et manifestement illégale". En admettant même que ces silhouettes reposent sur des stéréotypes sexuels,
leur installation emporte-t-elle, en soi, une discrimination ou une
atteinte à la dignité ? Sur ce point, la réponse est négative.
L'égalité entre les hommes et les femmes
La décision du juge des référés de Strasbourg reposait exclusivement sur le caractère discriminatoire de l'installation. Il s'appuyait d'abord sur l'alinéa 3 du Préambule de la Constitution de 1946 qui affirme que "la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme". Il invoquait ensuite l'article 1er de la loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les hommes et les femmes qui énonce que "L'Etat et les collectivités territoriales (...) mettent en oeuvre une politique pour l'égalité entre les hommes et les femmes selon une approche intégrée. Elle comporte notamment (...) des actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les stéréotypes sexistes".
En l'espèce, le Conseil d'Etat ne conteste pas que les silhouettes témoignent d'une "méconnaissance du principe d'égalité". Mais elle n'entraîne pas pour autant une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l'article L 521-2 cja. Il faudrait pour cela démontrer que les élus de Dannemarie ont volontairement souhaité discriminer la moitié de la population. Or l'instruction a montré au contraire qu'aucune discrimination concrète ne pouvait leur être imputée. Les femmes de Dannemarie ont les mêmes droits que celles de la commune voisine.
Gisement de stéréotypes sexistes.
Ah les p'tites femmes de Paris
Viva Maria. Louis Malle. 1965. Brigitte Bardot et Jeanne Moreau
Le principe de dignité
Les Effronté-e-s reprennent devant le Conseil d'Etat le moyen tiré de l'atteinte au principe de dignité, déjà invoqué en première instance mais écarté par le juge des référés du tribunal de Strasbourg. De toute évidence, l'association se réfère à la première décision Dieudonné du 9 janvier 2014. A l'époque, le juge des référés du Conseil d'Etat avait admis l'interdiction d'un spectacle en s'appuyant sur l'atteinte à la dignité humaine constituée par des propos antisémites qui risquaient d'être proférés alors même que la représentation n'avait pas encore eu lieu. Pour le juge de l'époque, l'atteinte à la dignité était celle des spectateurs de Dieudonné, potentiellement choqués par ses propos. Pour l'association Les Effronté-e-s, l'atteinte à la dignité est celle des femmes, de la commune ou d'ailleurs, qui ont le malheur de voir les panneaux et ne peuvent supporter une telle humiliation.
Cette première décision Dieudonné était bien éloignée de la jurisprudence censée en constituer le fondement. Dans l'arrêt Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995, on sait que c'est une attraction de lancer de nain qui a pu être interdite au nom du principe de dignité. Mais en l'espèce, il s'agissait de la dignité de la personne directement concernée par le spectacle. Le traitement cruel qui lui était infligé constituait un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. De fait, l'atteinte à la dignité n'avait rien de symbolique mais était extrêmement concrète.
Cet élargissement considérable de la jurisprudence Morsang-sur-Orge par la première décision Dieudonné a été très critiqué. A peine un an plus tard, le juge des référés du Conseil d'Etat est revenu à l'interprétation traditionnelle, à petit bruit, par une seconde décision moins médiatisée, rendue le 6 février 2015. Depuis lors, l'atteinte au principe de dignité est de nouveau appréciée au regard du traitement inhumain ou dégradant. Dans le cas des silhouettes de Dannemarie, le juge des référés du Conseil d'Etat reprend cette jurisprudence. Quel que soit leur mauvais goût, les panneaux n'infligent, heureusement, aucun traitement inhumain et dégradant aux femmes qui les regardent.
La bêtise n'est pas constitutive d'illégalité
Le juge des référés du Conseil d'Etat choisit ainsi de privilégier l'analyse juridique. Il tire les leçons de l'erreur de la première décision Dieudonné et entend éviter les décisions de pur fait, destinées à donner satisfaction à tel ou tel lobby. Il repose aussi sur le libre arbitre des citoyens, hommes et femmes car les premiers ont aussi le droit de trouver ces panneaux particulièrement stupides. Ceux de Dannemarie qui sont choqués pourront sans doute s'en souvenir à l'occasion des élections municipales futures. Surtout, le juge des référés du Conseil d'Etat énonce une vérité simple : si la bêtise est largement répandue, du microcosme parisien jusque dans les petites communes françaises, elle n'est pas en soi constitutive d'illégalité. Un bon moyen, somme toute, de lutter contre l'engorgement de la juridiction administrative.
Sur le principe de dignité : Chapitre 7, introduction, du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.
Bravo pour ce madrigal aussi bien troussé qui prêterait à sourire s'il ne mettait en lumière une dérive inquiétante de notre société française censée être fondée sur la tolérance (toujours) et sur l'impertinence (souvent)que nous souhaitons exporter aux quatre coins du monde ! Elle illustre parfaitement le nouvel ordre moral insupportable que certains (certaines dans le cas d'espèce) souhaitent imposer en utilisant les imprécisions du droit positif (où commence et où finit la dignité humaine ?), la candeur de certains et la disponibilité d'esprit de certains juges administratifs de première instance.
RépondreSupprimerEffectivement, cette plaisanterie se trouve à l'intersection d'une affaire digne de Clochemerle (projet de construction d'une vespasienne près d'une église de village) et de Tartuffe (cachez ce sein que je ne saurais voir) à la fois. Manifestement, les Effrontées n'ont pas grand chose à faire et confondent la juridiction administrative et les gaités de l'escadron. Exceptionnellement, le Conseil d'Etat a fait preuve de lucidité et de clairvoyance même si l'on sent bien, qu'au terme d'un raisonnement identique, il aurait pu parvenir à la conclusion inverse (Cf. ses jurisprudences contradictoires dans l'affaire Dieudonné).
Comme aimait à le répéter un haut fonctionnaire français qui n'était pas connu pour avoir sa langue dans sa poche (pardonnez la trivialité du propos !) :
"La connerie est droit imprescriptible inscrit en lettres d'or dans la constitution française".