Dans un arrêt M. K. du 22 septembre 2017, le Conseil d'Etat confirme une sanction disciplinaire infligée à un militaire pour manquement aux obligations de réserve et de loyauté. Le général de corps d'armée K. avait participé le 6 février 2016 à une manifestation anti-migrants qui se déroulait à Calais et qui avait été interdite par la préfecture. Il y avait pris la parole publiquement. Après les sommations d'usage ordonnant la dispersion, les forces de l'ordre avaient finalement procédé à plusieurs arrestations, dont celle du général K. Observons néanmoins que le panier à salade lui a été épargné et qu'il a été conduit au commissariat dans une voiture banalisée.
Poursuivi avec d'autres participants sur le fondement de l'article 431-9 du code pénal qui réprime l'organisation d'une manifestation interdite, le général avait finalement été relaxé par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer. Mais cette procédure pénale a rapidement été suivie d'une procédure disciplinaire pour manquement aux obligations de loyauté et de réserve. A la suite de cette procédure, le général a été radié des cadres de l'armée par un décret du président de la République du 23 août 2016. Il conteste la légalité de cette sanction devant le Conseil d'Etat.
La décision nous apprend d'abord que ces obligations de loyauté et de réserve concernent tous les militaires. Aux termes de l'article L. 4121-2 du code de la défense : « Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire". Les deux notions de réserve et de loyauté sont en réalité extrêmement proches.
Réserve et loyauté
La décision nous apprend d'abord que ces obligations de loyauté et de réserve concernent tous les militaires. Aux termes de l'article L. 4121-2 du code de la défense : « Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire". Les deux notions de réserve et de loyauté sont en réalité extrêmement proches.
L'obligation de réserve impose au militaire, comme d'ailleurs à l'ensemble des fonctionnaires, de faire preuve de retenue et de mesure dans l'expression publique de ses opinions. Elle a pour but d'assurer le respect du principe de neutralité du service public. Elle ne concerne donc pas les opinions politiques, religieuses, ou philosophiques de la personne et n'impose, pour reprendre la formule utilisée par Jean Rivero, aucune "obligation de conformisme idéologique". Le général K. pouvait donc avoir l'opinion de son choix sur les migrants de Calais et la conformité du phénomène migratoire aux valeurs de la "France éternelle". Le problème est que ces idées ont été affirmées pendant une manifestation, avec un mégaphone et devant les caméras de télévision. Il y avait donc bien expression publique de ses opinions, et manquement à l'obligation de réserve.
Le devoir de loyauté n'impose pas une obligation de nature différente mais d'une intensité différenciée. Il impose au militaire une expression conforme à la dignité du service auquel il appartient et à la place qu'il occupe dans la hiérarchie. Un général de corps d'armée doit ainsi mesurer ses propos avec une attention particulière car ils seront davantage écoutés, davantage médiatisés, que ceux tenus par un militaire du rang.
Général à vendre. Les Frères Jacques. 1954
Paroles de Francis Blanche
Seconde section, même devoirs
On objectera que le général K. avait soixante-quinze ans au moment des faits et qu'il n'appartenait plus au service actif. Il était en "seconde section des officiers généraux". Selon l'article L 4141-1 du code de la défense, les officiers généraux placés en seconde section ne sont plus en activité dans les forces armées, mais ils demeurent "maintenus à la disposition" du ministre de la défense. Ils peuvent donc être rappelés, par exemple en cas de guerre, ou "pour les nécessités de l'encadrement". Bien entendu, cet éventuel rappel demeure théorique, et le général K. avait une vie très semblable à celle de n'importe quel retraité de la fonction publique.
Peut-être avait-il oublié, dès lors, les dispositions de l'article L 4141-4 du même code qui font peser les mêmes devoirs de loyauté et de réserve sur les officiers généraux de la seconde section ? Pire, l'article L 4137-2 affirme que la sanction de radiation des cadres, la plus grave dans l'échelle des sanctions, peut leur être appliquée s'ils ont manqué à l'un ou l'autre de leurs devoirs. A dire vrai, c'est aussi la seule sanction possible car il serait pour le moins étrange de prononcer l'exclusion temporaire ou de mettre aux arrêts un officier qui n'exerce plus aucune fonction dans les forces armées. Sanction possible, mais aussi sanction très largement symbolique. Sa radiation des cadres de l'armée ne change pas grand chose dans la vie du général K.
Contrôle de proportionnalité
Depuis l'arrêt du 12 janvier 2011, le Conseil d'Etat exerce un contrôle de proportionnalité sur les sanctions infligées aux militaires. Il avait alors admis que le chef d'escadron de Gendarmerie Jean-Hugues Matelly
avait violé l'obligation de réserve en publiant différents articles
contestant le passage de l'Arme sous l'autorité du ministre de
l'intérieur. En revanche, la Haute Juridiction avait estimé disproportionnée
par rapport aux faits qui l'avaient motivée la sanction de radiation des
cadres prononcée à son encontre.
Mais, dans l'affaire Matelly, l'intéressé n'était pas général et l'intensité de l'obligation de loyauté était donc moindre. Surtout, il lui était reproché d'avoir écrit un article doctrinal dans le cadre d'une étude diligentée par un centre de recherches universitaire. Le général de corps d'armée K, lui, est soumis à une obligation de loyauté particulièrement importante en raison de l'audience que lui donne ses quatre étoiles.. Quant à son obligation de réserve, il l'a violée à plusieurs reprises, d'abord en participant à une manifestation interdite, ensuite en appelant à participer à cette manifestation, et enfin en prenant la parole lors du rassemblement "pour critiquer de manière virulente
l’action des pouvoirs publics, notamment la décision d’interdire la
manifestation, et l’action des forces de l’ordre, en se prévalant de sa
qualité d’officier général et des responsabilités qu’il a exercées dans
l’armée, alors même qu’il ne pouvait ignorer (...) le fort retentissement médiatique de ses propos". Dans ces conditions, il y avait bien peu de chances que le Conseil d'Etat considère que la sanction, d'ailleurs la seule disponible, était disproportionnée.
Des sanctions exceptionnelles
L'affaire K. s'inscrit ainsi dans une jurisprudence classique, mais finalement très rare. On peut en déduire que l'écrasante majorité des officiers généraux de seconde section sont des personnes responsables qui n'ignorent rien du poids que peut avoir leur parole et qui savent s'exprimer avec mesure.
Mais cette faible utilisation de la procédure disciplinaire a aussi d'autres causes, plus souterraines. Nul n'a oublié qu'un ancien Gouverneur militaire de Paris, dans la seconde section des officiers généraux, a organisé les rassemblements de "la Manif pour tous" hostiles à l'ouverture du mariage aux couples de même sexe en 2012 et 2013. Il n'a alors jamais été menacé de sanction, alors même qu'il n'hésitait pas à donner des interviews au Figaro. A l'époque, il a sans doute été jugé préférable de ne pas jeter de l'huile sur le feu.
Quant aux officiers généraux d'active, il n'est pas nécessaire de prendre des mesures disciplinaires. Pour contraindre un général à quitter le service actif, il suffit de ne pas lui de donner de fonction justifiant une étoile supplémentaire. Pour ce qui est du chef d'état major des armées, la situation est encore plus simple. Emploi purement à la discrétion du Président de la République, il peut être contraint à la démission pour avoir témoigné, à huis clos, devant une commission parlementaire. Pourquoi utiliser la procédure disciplinaire alors que les autorités disposent d'autres moyens permettant d'écarter un général qui parle trop.
S'il en était encore besoin, cet arrêt ridiculise une fois encore la plus haute juridiction administrative française. A ce titre, elle mérité trois prix.
RépondreSupprimer1. Le prix du déshonneur
S'attaquer à un général 5 étoiles en deuxième section est tout simplement honteux, ce dernier ayant déjà fait l'objet d'une poursuite pénale (Cf. non bis in idem). Pour quel objectif et cela alors même que d'autres ont fait l'objet d'une grande mansuétude de la part de l'autorité militaire pour des faits autrement plus graves ? L'affaire de la retraite de Laurent Wauquiez démontre que les comiques du Palais-Royal sont moins regardants lorsqu'il s'agit de leur propre déontologie.
2. Le prix de la duplicité
Une fois de plus, tous les concepts inventés par le Conseil d'Etat (réserve et loyauté, contrôle de proportionnalité...) ne sont que des écrans de fumée lui permettant de faire ce qu'il veut, quand il veut. Nous sommes dans l'arbitraire le plus total qui peine à masquer que certaines décisions du Conseil d'Etat sont prises en opportunité et non en droit. Cela s'appelle une justice Potemkine qui pose la question centrale de l'indépendance et de l'impartialité d'une "juridiction" dont les fonctionnaires sont qualifiés par la loi de "membres" et non de "juges".
3. Le prix de la "carpet" administrative
Quelques éminents professeurs de droit administratifs devraient décerner chaque année le prix de la "carpet" administrative aux membres du Conseil d'Etat ayant rendu les décisions les plus loufoques. Afin de faire connaître au bon peuple de France nos héros administratifs, il serait particulièrement intéressant de mentionner le nom de tous ceux qui ont pris part à ce déni de justice : vice-président du Conseil d'Etat, président de section concerné, président de sous-section, rapporteur...). C'est que l'on qualifie de principe de symétrie.
=== En guise de conclusion ===
Sous la Restauration, l'on disait : "juger l'administration, c'est encore administrer" (Henrion de Ponsey). C'est bien de cela dont il s'agit avec cet arrêt du Conseil d'Etat.
On peine à ne pas rire en relisant ce que le président de la République déclarait le 29 août dernier lors de la semaine des ambassadeurs en s'adressant implicitement au vice-président du Conseil d'Etat qui se pavanait dans les salons de l'Elysée (preuve de sa dépendance évidente par rapport au pouvoir exécutif) :
"Je souhaite que la tradition juridique française, que plusieurs d'entre vous dans cette salle portent, puisse être non seulement pleinement reconnue - ce qui est déjà largement le cas - mais conduise à influencer tous nos partenaires qui, parfois, prennent d'autres voies ou pourraient s'égarer face à cette menace". Bravo à Jupiter que l'on retrouvera aujourd'hui dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne !
Il y a au moins une application pratique immédiate : le général PIQUEMAL n'a plus droit au tarif privilégié de 75 % de réduction dans les trains, raison pour laquelle on appelle ce généraux de 90 ans généraux quart de place
RépondreSupprimerLa France a signé la convention sur les droits de l’homme ? Oui, en êtes vous sur ?
RépondreSupprimerLa partialité est présente partout. Partialité passe-droits ou corruption ? Regardez cet exemple il est parlant et, malheureusement ce n’est pas le seul. http://ellevitan.free.fr/
C’est scandaleux pour un pays qui donne des leçons aux autres.