En juillet 2015, le maire de Chalon-sur-Saône décide de supprimer le menu de substitution dans les cantines, les jours où du porc est servi aux élèves. Cette décision est suivie d'une délibération du conseil municipal allant dans le même sens et datée du 29 septembre 2015. Dès la première décision, la Ligue de défense des musulmans, association créée par Karim Achaoui, a déposé un recours devant le tribunal administratif de Dijon, requête étendue ensuite à la délibération du conseil municipal.
Dans un jugement du 28 août 2017, le tribunal administratif (TA) de Dijon annule cette décision. La question est épineuse et le communiqué du TA fait preuve d'une grande prudence. Il prend soin en effet de préciser qu'il se prononce, "sans prendre aucune position de principe à caractère général, au regard du seul cas particulier des cantines scolaires de Chalon-sur-Saône". Autant dire que le tribunal s'attend à ce que la ville saisisse le Conseil d'Etat pour obtenir une décision susceptible de faire jurisprudence.
La circulaire de 2011
Le droit écrit est d'un assez faible secours dans ce domaine. Le seul texte auquel on puisse se référer est la circulaire du 16 août 2011 signée du ministre de l'intérieur. Elle affirme qu'"en l'absence de réglementation nationale précise, il appartient à chaque organe délibérant compétent (...) de poser les règles en la matière". On comprend que le maire de Chalon se soit hâté de faire voter une délibération du Conseil municipal, sa seule décision risquant d'être annulée pour incompétence. Sur la question des repas de substitution, la circulaire affirme que l'adaptation des menus "en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usages ni une obligation pour les collectivités". Reste que ces dispositions ne s'appliquent "qu'en l'absence de réglementation nationale précise", appel discret au législateur qui n'a jamais eu le courage de légiférer sur ces questions.
L'intérêt supérieur de l'enfant
Le tribunal administratif de Dijon préfère donc s'appuyer sur un socle plus solide, c'est-à-dire en l'espèce la convention sur les droits de l'enfant de 1989. Son article 3 énonce que l'intérêt supérieur de l'enfant doit guider toute décision le concernant, qu'elle soit prise par un juge ou par les autorités publiques. Dans le cas présent, le tribunal sanctionne la délibération du Conseil municipal car sa motivation n'évoque pas l'intérêt supérieur de l'enfant, notion qui a, en quelque sorte, été écartée de son analyse. Or la question mérite d'être posée, car un enfant qui refuse un plat pour des motifs religieux est d'abord un enfant mal nourri.
Doit-on en déduire que le refus de repas de substitution emporte toujours une violation de la convention sur les droits de l'enfant ? le tribunal se garde bien de poser une telle pétition de principe. Il affirme au contraire que son appréciation repose sur les circonstances locales, circonstances qui peuvent varier d'une collectivité à une autre. En l'espèce, on observe ainsi que les repas de substitution existaient à Chalon depuis 1984, sans que cette pratique ait suscité la moindre contestation.
Carlos. La cantine. 1973
Une décision d'espèce
Surtout, le tribunal ajoute que la ville n'invoque "aucune contrainte technique ou financière" susceptible de motiver sa décision. La formule peut surprendre car le tribunal envisage un moyen que la ville n'a pas développé et sur lequel il n'a donc pas, en principe, à se prononcer. De cette formulation, on doit en déduire "en creux" que le juge donne aux collectivités locales le motif utile de nature à justifier une telle mesure. En d'autres termes, une commune modeste ou contrainte de faire des économies pourrait sans doute supprimer les menus de substitution sans encourir d'illégalité. Le jugement est donc un peu surprenant. Le tribunal sanctionne le refus de repas de substitution en invoquant l'intérêt supérieur de l'enfant, mais ce dernier serait peut être moins supérieur si la commune invoquait des considérations financières. Avouons que l'analyse laisse un peu à désirer sur le plan de la rigueur juridique.
Cette impression ne peut qu'être renforcée par la lecture de la décision. Avant toute analyse de fond, le tribunal commence par invoquer les avis du Défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) qu'il a sollicités. L'avis du premier invoquait le caractère discriminatoire de la délibération, et il n'est pas été repris dans le corps du jugement. En revanche, l'avis de la seconde reposait à la fois sur l'intérêt supérieur de l'enfant et sur l' "interprétation erronée du principe de laïcité". Le TA ne retient que l'intérêt supérieur de l'enfant. Mais il se fonde sur l'avis de la CNCDH. Certes, il n'est pas interdit au tribunal de faire appel à des avis extérieurs, en particulier émanant d'autorités indépendantes comme le Défenseur des droits ou des commissions consultatives spécialisées dans les droits de l'homme comme la CNCDH. Il n'en demeure pas moins que l'interprétation qu'il convient de donner à la loi de 1905 relève de la compétence du juge et de lui seul. Au lieu de s'abriter derrière des opinions, même autorisées, il lui appartient donc de prendre ses responsabilités. Il ne fait aucun doute que cette décision devra donner lieu à une jurisprudence supérieure, de la Cour administrative d'appel et sans doute du Conseil d'Etat.
Sur le principe de laïcité : Chapitre 10 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.
Excellente illustration des lâchetés à la française si bien croquées par André Gide dans la "Symphonie pastorale" ("S'emparer de ce qui ne peut se défendre, c'est une lâcheté").
RépondreSupprimer- Lâcheté du pouvoir exécutif qui, depuis plusieurs décennies, refuse de traiter le problème du communautarisme par la politique de l'autruche alors qu'il devrait l'être sans fausse candeur avec la plus grande fermeté.
- Lâcheté du pouvoir législatif dont la main tremble pour appeler un chat et chat et pour mettre les points sur les i des récalcitrants au principe de laïcité quand le besoin s'en fait sentir. Nous devrions prendre exemple sur le "libéralisme" saoudien en la matière.
- Lâcheté du juge administratif qu'il s'agisse du tribunal administratif (censé être un juge de combat) sans parler du Conseil d'Etat dont il n'y a rien ou si peu à attendre. Que dire du clin d'oeil appuyé adressé par le président de la République au vice-président du Conseil d'Etat (discours lors de la semaine des ambassadeurs, Paris, 29 août 2017) :
"Je souhaite que la tradition juridique française que plusieurs d'entre vous dans cette salle portent puisse être non seulement reconnue... mais conduire à influencer nos partenaires, qui, parfois, prennent d'autres voies ou pourraient s'égarer face à cette certaine menace".
Cessons d'être arrogant et contentons-nous de balayer devant notre porte !
"Ne crains pas la justice, mais crains le juge" nous rappelle un proverbe russe qui n'a pas pris la moindre ride dans la patrie des droits de l'Homme".