Gérard Collomb, le ministre de l'intérieur, annonce dans un entretien au Figaro la mise en place dès la fin de l'année 2017 d'une "police de la sécurité quotidienne". La formule est nouvelle, mais renvoie à la police de proximité, notion bien connue et qui alimente les débats sur la sécurité depuis exactement vingt ans.
Politique publique / Liberté publique
Or la sécurité n'est pas seulement une politique publique. Elle se rattache aux libertés publiques. Certes, il n'existe pas de droit à la sécurité formellement consacré par une disposition constitutionnelle, contrairement à ce que certains pseudo-criminologues ont parfois prétendu. Le Conseil constitutionnel a toutefois affirmé, dans une décision du 22 juillet 1980, que "la sécurité des personnes et des biens" est un "principe de valeur constitutionnelle".
Encore s'agissait-il, à l'époque, de justifier la limitation du droit
de grève des personnes travaillant des sites nucléaires, et non
pas de garantir un droit à la sécurité. Finalement, c'est la loi, ou plusieurs lois successives, qui sont intervenues depuis 1995 pour affirmer que "la sécurité est un droit fondamental". Cette disposition n'a pas pour conséquence d'attribuer un droit dont pourrait se prévaloir chaque citoyen, mais elle fait peser un devoir sur l'Etat qui doit, autant que possible, assurer la sécurité de sa population.
La loi doit donc garantir l'égalité des
citoyens devant la sécurité. Il s'agit en effet d'irriguer l'ensemble du
territoire, de s'assurer qu'aucun espace n'est à l'écart de la
politique publique de sécurité, soit parce que la délinquance en a fait
une zone de non droit abandonnée des pouvoirs publics, soit parce que la
faible densité de population a servi à justifier la réduction des
personnels, la fermeture des commissariats ou le regroupement des
brigades de gendarmerie. Dans tous les cas, il ne s'agit plus de
développer un discours sécuritaire de nature dogmatique, mais d'assurer
tout simplement la sécurité, préoccupation essentiellement pragmatique.
Origine de la police de proximité
La
police de proximité repose sur trois piliers. Le premier réside dans
une approche globale de l'ordre public qui comporte une triple démarche
préventive, dissuasive et répressive. Le second, dans une intervention
au coeur de la population, dans laquelle les forces de police doivent se
fondre afin de répondre à ses attentes en matière de sécurité. Le
troisième enfin impose une série de coopérations entre l'Etat et les
collectivités territoriales, mais aussi entre les collectivités
publiques et le secteur associatif, afin de permettre une meilleure
mobilisation en faveur de la sécurité. Cette définition, qui a suscité
bon nombre d'études et de débats, ne fait finalement que théoriser une
pratique déjà bien connue. C'est ainsi que le fonctionnement de la
Gendarmerie a toujours reposé sur une connaissance aussi profonde que
possible du territoire et une coopération étroite avec les élus locaux.
Autrement dit, la Gendarmerie faisait de la police de proximité comme
monsieur Jourdain de la prose, sans le savoir.
Si la notion de police de proximité a été initiée dès 1998 par Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'intérieur du gouvernement Jospin, elle a donné à une expérimentation très progressive, avant d'être généralisée par la loi du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Mais elle n'a pas eu le temps de s'installer car Nicolas Sarkozy y a mis fin avant même qu'elle ait pu produire un bilan.
D'abord comme ministre de l'intérieur, il a affirmé, lors d'une visite au commissariat de Bellefontaine en février 2003, avec un délicat sens de la nuance qui n'appartient qu'à lui, que "la police n'est pas là pour organiser des tournois sportifs mais pour arrêter des délinquants". La police de proximité a donc été abandonnée, au profit d'une politique dirigée dans deux directions. D'une part, une démarche résolument sécuritaire s'est traduite par le développement considérable des fichiers, du recours à la biométrie et à la vidéosurveillance. D'autre part, un renforcement de la répression pénale a suscité notamment la mise en place des peines planchers, de la rétention de sûreté, de la mise en question de la justice des mineurs.
Comme Président de la République, Nicolas Sarkozy s'est efforcé de rendre impossible tour retour à la police de proximité. Son abandon allait en effet parfaitement dans le sens de la politique de Revue générale des politiques publiques (RGPP), acronyme destiné à cacher de considérables baisses d'effectifs. Les forces de police et de gendarmerie ont alors perdu environ 9000 personnels. Le rapport de la Cour de comptes paru en mars 2013 montre comment les recrutements ont été brutalement interrompus. C'est ainsi qu'en 2011, ils n'atteignaient que le 1/15è de leur niveau de 2006 pour la police nationale. Ceux de la gendarmerie ont, quant à eux, été divisés par deux entre 2006 et 2008, et ensuite maintenus à leur niveau le plus bas jusqu'en 2011. Le recrutement d'adjoints de sécurité et gendarmes adjoints volontaires, plus jeunes et moins expérimentés, n'a pas permis de combler le vide.
Le problème est que cette situation rendait impossible tout retour à la police de proximité. C'est ainsi que la Gendarmerie, dont le maillage du territoire était un modèle du genre, a dû regrouper ses brigades et se résoudre aux patrouilles motorisées. Son activité en matière de renseignement sur le territoire est devenue quasi-inexistante. L'ensemble des forces de police s'est donc trouvée réorientée vers l'activité traditionnelle de police judiciaire et de maintien de l'ordre.
Certes, depuis le quinquennat catastrophique de Nicolas Sarkozy, les recrutements ont repris, sous l'influence notamment de la menace terroriste. François Hollande avait même évoqué le rétablissement de la police de proximité dans son programme. Il n'a effectué qu'une réforme partielle, concentrant les efforts sur des zones jugées prioritaires en matière de sécurité. La création de ces "zones de sécurité prioritaire" constitue en réalité la négation de la police de proximité. Elle revient en effet à renoncer au maillage de l'ensemble du territoire, le fait de privilégier certaines zones conduisant à en abandonner d'autres.
Que sera la "police de la sécurité quotidienne" annoncée par le ministre de l'intérieur ? S'il s'agit de rétablir la police de proximité, le projet est ambitieux et certainement utile, mais il impose une nouvelle restructuration, notamment en zone Gendarmerie. Car il ne s'agit pas tant d'augmenter les effectifs que de les répartir autrement, en ouvrant commissariats et gendarmeries de proximité, ceux là même qui avaient disparu durant l'ère Sarkozy. Il faut aussi former les personnels à ces méthodes qui ne sont plus pratiquées depuis plusieurs années, assurer des rotations moins fréquentes pour qu'ils puissent s'implanter durablement dans la population etc. Ce n'est pas simple, si l'on considère que l'ensemble des ministres, y compris celui de l'intérieur, sont censés fournir à la rentrée un mémo détaillant le plan d'économies qu'ils entendent imposer à leur administration. On doit donc s'attendre à ce que la sécurité quotidienne ait des fins de mois relativement difficiles, si elle est réellement rétablie.
Si la notion de police de proximité a été initiée dès 1998 par Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'intérieur du gouvernement Jospin, elle a donné à une expérimentation très progressive, avant d'être généralisée par la loi du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Mais elle n'a pas eu le temps de s'installer car Nicolas Sarkozy y a mis fin avant même qu'elle ait pu produire un bilan.
Policiers de proximité. Tintin. Hergé. |
Destruction de la police de proximité
D'abord comme ministre de l'intérieur, il a affirmé, lors d'une visite au commissariat de Bellefontaine en février 2003, avec un délicat sens de la nuance qui n'appartient qu'à lui, que "la police n'est pas là pour organiser des tournois sportifs mais pour arrêter des délinquants". La police de proximité a donc été abandonnée, au profit d'une politique dirigée dans deux directions. D'une part, une démarche résolument sécuritaire s'est traduite par le développement considérable des fichiers, du recours à la biométrie et à la vidéosurveillance. D'autre part, un renforcement de la répression pénale a suscité notamment la mise en place des peines planchers, de la rétention de sûreté, de la mise en question de la justice des mineurs.
Comme Président de la République, Nicolas Sarkozy s'est efforcé de rendre impossible tour retour à la police de proximité. Son abandon allait en effet parfaitement dans le sens de la politique de Revue générale des politiques publiques (RGPP), acronyme destiné à cacher de considérables baisses d'effectifs. Les forces de police et de gendarmerie ont alors perdu environ 9000 personnels. Le rapport de la Cour de comptes paru en mars 2013 montre comment les recrutements ont été brutalement interrompus. C'est ainsi qu'en 2011, ils n'atteignaient que le 1/15è de leur niveau de 2006 pour la police nationale. Ceux de la gendarmerie ont, quant à eux, été divisés par deux entre 2006 et 2008, et ensuite maintenus à leur niveau le plus bas jusqu'en 2011. Le recrutement d'adjoints de sécurité et gendarmes adjoints volontaires, plus jeunes et moins expérimentés, n'a pas permis de combler le vide.
Le problème est que cette situation rendait impossible tout retour à la police de proximité. C'est ainsi que la Gendarmerie, dont le maillage du territoire était un modèle du genre, a dû regrouper ses brigades et se résoudre aux patrouilles motorisées. Son activité en matière de renseignement sur le territoire est devenue quasi-inexistante. L'ensemble des forces de police s'est donc trouvée réorientée vers l'activité traditionnelle de police judiciaire et de maintien de l'ordre.
Certes, depuis le quinquennat catastrophique de Nicolas Sarkozy, les recrutements ont repris, sous l'influence notamment de la menace terroriste. François Hollande avait même évoqué le rétablissement de la police de proximité dans son programme. Il n'a effectué qu'une réforme partielle, concentrant les efforts sur des zones jugées prioritaires en matière de sécurité. La création de ces "zones de sécurité prioritaire" constitue en réalité la négation de la police de proximité. Elle revient en effet à renoncer au maillage de l'ensemble du territoire, le fait de privilégier certaines zones conduisant à en abandonner d'autres.
Que sera la "police de la sécurité quotidienne" annoncée par le ministre de l'intérieur ? S'il s'agit de rétablir la police de proximité, le projet est ambitieux et certainement utile, mais il impose une nouvelle restructuration, notamment en zone Gendarmerie. Car il ne s'agit pas tant d'augmenter les effectifs que de les répartir autrement, en ouvrant commissariats et gendarmeries de proximité, ceux là même qui avaient disparu durant l'ère Sarkozy. Il faut aussi former les personnels à ces méthodes qui ne sont plus pratiquées depuis plusieurs années, assurer des rotations moins fréquentes pour qu'ils puissent s'implanter durablement dans la population etc. Ce n'est pas simple, si l'on considère que l'ensemble des ministres, y compris celui de l'intérieur, sont censés fournir à la rentrée un mémo détaillant le plan d'économies qu'ils entendent imposer à leur administration. On doit donc s'attendre à ce que la sécurité quotidienne ait des fins de mois relativement difficiles, si elle est réellement rétablie.
Brillante analyse de la question générale de la "police de proximité" d'hier recyclée sous le vocable de "police de sécurité quotidienne, aujourd'hui. Votre présentation est exhaustive, claire, didactique tout en ne manquant pas de la pointe d'humour qui sied à ce genre de débat. Car comme souvent en France, cette annonce du ministre de l'Intérieur relève à la fois du vrai et du faux débat.
RépondreSupprimer1. Les ingrédients d'un vrai débat
"La reconquête des territoires perdus de la République", pour reprendre le titre d'un ouvrage désormais célèbre constitue une ardente obligation pour tout nouveau pouvoir. Cette problématique n'a rien d'une science exacte. Pour y répondre, il faut innover, tâtonner, expérimenter. L'initiative de l'ancien maire de Lyon est la bienvenue surtout si elle permet de déboucher sur une réflexion plus large touchant à l'organisation de la sécurité dans notre pays : répartition du travail entre police et gendarmerie (désormais rattachée au ministère de l'intérieur) ; entre la sécurité publique et la sécurité intérieure (pour mieux lutter contre le terreau du terrorisme) ; entre la police nationale et la police municipale, voire la sécurité privée (pour prévenir les chevauchements inutiles) ; entre la police nationale et la Préfecture de Police de Paris (vaste sujet s'il en est) ... On mesure ainsi que le chantier sécuritaire, stricto sensu, est immense surtout en cette période de vaches maigres.
2. Les composantes d'un faux débat
Penser sérieusement que l'on va traiter le problème de l'insécurité grandissante dans certaines parties du territoire par de seuls moyens sécuritaires relève de la chimère. La réponse à ce défi ne peut être que stratégique, globale et inscrite sur le long terme. Elle doit porter sur différents volets en même temps : éducation (remise en route de l'ascenseur social); économique (retrouver le plein emploi) ; social (réduire les inégalités croissantes) ; sociétal (repenser le concept d'intégration); citoyen (revoir la question du service militaire obligatoire); humaine (remettre l'obéissance à l'ordre du jour)... Cette liste n'est qu'indicative.
Comme le disait le général de Gaulle en son temps, une société a besoin de mouvement et d'ordre à la fois pour avancer dans la bonne direction. Faute de quoi, une seule réponse sécuritaire est vouée à l'échec... une fois de plus !
"La fausse sécurité est plus que l'alliée de l'illusion, elle en constitue la substance même" (Clément Rosset, "Le réel et le double").