Dans un arrêt du 12 juillet 2017, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme que l'octroi d'une demi-journée de congé aux femmes à l'occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars, n'est pas une mesure discriminatoire à l'égard des hommes.
L'auteur du pourvoi, Rachid X., était employé depuis 2008 comme conducteur de bus par une entreprise de transports niçoise d'où il a été licencié en octobre 2012. A l'occasion de son recours devant la juridiction prud'homale, puis devant la Cour d'appel, il estime, parmi d'autres moyens, avoir fait l'objet d'une inégalité de traitement injustifiée dont il demande réparation. En effet, étant de sexe masculin, il n'a pas pu bénéficier de la demi-journée de repos accordée aux femmes salariées dans l'entreprise le 8 mars. Derrière l'apparente futilité de ce moyen apparaît un réel problème juridique. A l'égalité devant la loi invoquée par le requérant, la Chambre sociale oppose en effet l'inégalité compensatrice.
Le requérant s'appuie sur l’article L. 3221-2 du code du travail relatif au principe d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. Grâce à ce congé exceptionnel, ces dernières travaillent une demi-journée de moins pour un salaire égal. Cette inégalité de traitement n'est pas contestée par Chambre sociale, mais elle fait observer que le principe d'égalité interdit de traiter de manière différente des situations comparables, sauf si la différenciation est objectivement justifiée. Rachid X. considère évidemment que cette différence de traitement est injustifiée. La Cour d'appel, quant à elle, l'a estimée justifiée "par la nécessité de favoriser la lutte des femmes dans leur combat pour une égalité avec les hommes non acquise dans le milieu professionnel".
La Chambre sociale considère aussi que cette demi-journée de congé est objectivement justifiée. Elle opère cependant une substitution de motifs. Elle considère en effet que cette mesure ne relève pas de l'égalité de rémunération mais des conditions de travail et donc du titre IV du Livre I Egalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Au sein de ce titre IV, la Cour se fonde sur l’article L. 1142-4 du code du travail qui estime que le principe de non-discrimination ne fait pas obstacle "à l'intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l'égalité des chances (...), en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes". La demi-journée de congé accordée à l'occasion de la Journée des femmes s'inscrit donc dans une logique d'inégalité compensatrice.
Cette dernière est prévue par l'article 157 § 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) auquel la Chambre sociale se réfère expressément. Il énonce que "l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle". La Cour de justice de l'Union européenne admet donc les inégalités compensatrices en faveur des femmes. Dans un arrêt Badeck du 28 mars 2000, elle estime qu'une action visant à promouvoir prioritairement les femmes dans la fonction publique où elles sont sous-représentées est compatible avec le droit de l'Union. Cette préférence donnée aux candidates féminines ne doit cependant pas être automatique et inconditionnelle. Tous les candidats, quel que soit leur sexe, doivent ainsi faire l'objet d'une appréciation objective tenant compte de leur situation particulière. Ces principes sont ceux repris dans la directive du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.
S'appuyant sur le droit européen, la Chambre sociale conclut donc que la demi-journée de repos "vise à établir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les femmes". Observons cependant que cette demi-journée de repos n'est pas offerte à toutes les femmes, et que la décision relève d'un accord d'entreprise. Sur ce point, l'arrêt se situe dans la continuité de la décision du 27 janvier 2015 qui affirme une présomption de conformité des accords collectifs au principe d'égalité de traitement. De manière plus générale, il semble anticiper sur l'actuelle réforme du code du travail, visant à redonner du poids aux accords entre partenaires sociaux au niveau de l'entreprise. Sans l'affirmer trop clairement, la Chambre sociale montre qu'elle est "en marche".
Il est probable que cette décision réjouira celles et ceux qui cherchent dans le féminisme des satisfactions symboliques. L'analyse juridique laisse tout de même une impression d'insatisfaction. Si l'on peut admettre des inégalités compensatrices, celles prévues par le droit de l'Union européenne, concernent directement la carrière des femmes : recrutement, avancement etc.. En quoi une demi-journée de congé apporte t-elle une inégalité compensatrice ? De deux choses l'une : soit les femmes bénéficient dans l'entreprise d'une égalité de traitement et elles n'ont pas vocation à obtenir un congé supplémentaire, soit elles demeurent moins bien rémunérées et moins bien traitées que leurs collègues masculins, et ce n'est pas une demi-journée de repos qui va compenser quoi que ce soit. La Chambre sociale est certainement consciente du problème comme en témoigne son communiqué de presse à propos de cet arrêt. Il y est affirmé, sérieusement, que les manifestations "de quelque forme qu’elles soient, le 8 mars, permettent de susciter une réflexion sur la situation spécifique des femmes au travail et sur les moyens de l’améliorer". Un lien est donc mis en avant "entre cette journée et les conditions de travail, légitimant cette mesure en faveur de l’égalité des chances". L'argument n'est guère convaincant, d'autant que l'on ne voit pas pourquoi les hommes n'iraient pas, eux aussi, participer aux manifestations du 8 mars en faveur de l'égalité des femmes. En offrant aux femmes une satisfaction symbolique, la Chambre sociale, une nouvelle fois sensible aux propos d'Emmanuel Macron, la Chambre sociale aurait-elle souhaité saupoudrer le principe d'égalité des femmes de "poudre de Perlimpinpin" ?
Sur les droits et libertés des salariés : Chapitre 13 section 2 du manuel de libertés publiques sur internetEgalité devant la loi
Le requérant s'appuie sur l’article L. 3221-2 du code du travail relatif au principe d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. Grâce à ce congé exceptionnel, ces dernières travaillent une demi-journée de moins pour un salaire égal. Cette inégalité de traitement n'est pas contestée par Chambre sociale, mais elle fait observer que le principe d'égalité interdit de traiter de manière différente des situations comparables, sauf si la différenciation est objectivement justifiée. Rachid X. considère évidemment que cette différence de traitement est injustifiée. La Cour d'appel, quant à elle, l'a estimée justifiée "par la nécessité de favoriser la lutte des femmes dans leur combat pour une égalité avec les hommes non acquise dans le milieu professionnel".
Inégalité compensatrice
La Chambre sociale considère aussi que cette demi-journée de congé est objectivement justifiée. Elle opère cependant une substitution de motifs. Elle considère en effet que cette mesure ne relève pas de l'égalité de rémunération mais des conditions de travail et donc du titre IV du Livre I Egalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Au sein de ce titre IV, la Cour se fonde sur l’article L. 1142-4 du code du travail qui estime que le principe de non-discrimination ne fait pas obstacle "à l'intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l'égalité des chances (...), en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes". La demi-journée de congé accordée à l'occasion de la Journée des femmes s'inscrit donc dans une logique d'inégalité compensatrice.
Cette dernière est prévue par l'article 157 § 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) auquel la Chambre sociale se réfère expressément. Il énonce que "l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle". La Cour de justice de l'Union européenne admet donc les inégalités compensatrices en faveur des femmes. Dans un arrêt Badeck du 28 mars 2000, elle estime qu'une action visant à promouvoir prioritairement les femmes dans la fonction publique où elles sont sous-représentées est compatible avec le droit de l'Union. Cette préférence donnée aux candidates féminines ne doit cependant pas être automatique et inconditionnelle. Tous les candidats, quel que soit leur sexe, doivent ainsi faire l'objet d'une appréciation objective tenant compte de leur situation particulière. Ces principes sont ceux repris dans la directive du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.
Plantu. Le Monde. 8 mars 2014 |
Un accord d'entreprise
S'appuyant sur le droit européen, la Chambre sociale conclut donc que la demi-journée de repos "vise à établir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les femmes". Observons cependant que cette demi-journée de repos n'est pas offerte à toutes les femmes, et que la décision relève d'un accord d'entreprise. Sur ce point, l'arrêt se situe dans la continuité de la décision du 27 janvier 2015 qui affirme une présomption de conformité des accords collectifs au principe d'égalité de traitement. De manière plus générale, il semble anticiper sur l'actuelle réforme du code du travail, visant à redonner du poids aux accords entre partenaires sociaux au niveau de l'entreprise. Sans l'affirmer trop clairement, la Chambre sociale montre qu'elle est "en marche".
Une satisfaction symbolique
Il est probable que cette décision réjouira celles et ceux qui cherchent dans le féminisme des satisfactions symboliques. L'analyse juridique laisse tout de même une impression d'insatisfaction. Si l'on peut admettre des inégalités compensatrices, celles prévues par le droit de l'Union européenne, concernent directement la carrière des femmes : recrutement, avancement etc.. En quoi une demi-journée de congé apporte t-elle une inégalité compensatrice ? De deux choses l'une : soit les femmes bénéficient dans l'entreprise d'une égalité de traitement et elles n'ont pas vocation à obtenir un congé supplémentaire, soit elles demeurent moins bien rémunérées et moins bien traitées que leurs collègues masculins, et ce n'est pas une demi-journée de repos qui va compenser quoi que ce soit. La Chambre sociale est certainement consciente du problème comme en témoigne son communiqué de presse à propos de cet arrêt. Il y est affirmé, sérieusement, que les manifestations "de quelque forme qu’elles soient, le 8 mars, permettent de susciter une réflexion sur la situation spécifique des femmes au travail et sur les moyens de l’améliorer". Un lien est donc mis en avant "entre cette journée et les conditions de travail, légitimant cette mesure en faveur de l’égalité des chances". L'argument n'est guère convaincant, d'autant que l'on ne voit pas pourquoi les hommes n'iraient pas, eux aussi, participer aux manifestations du 8 mars en faveur de l'égalité des femmes. En offrant aux femmes une satisfaction symbolique, la Chambre sociale, une nouvelle fois sensible aux propos d'Emmanuel Macron, la Chambre sociale aurait-elle souhaité saupoudrer le principe d'égalité des femmes de "poudre de Perlimpinpin" ?
=== MERCI POUR CE MOMENT DE PERLIMPINPIN ===
RépondreSupprimerCette décision rendue par la fine fleur de la magistrature judiciaire française laisse songeur à maints égards. Elle soulève autant de questions qu'elle incite au rappel de certains principes essentiels.
1. Des questions
Outre qu'il prête le flanc à la critique alors qu'il devrait être incontestable, cet arrêt frise l'absurde, flirte avec la démagogie et fleure le baroque. Il soulève de multiples questions. Pense-t-on un seul instant que c'est avec ce genre de jurisprudence "bling bling" que l'on espère forcer la mise en oeuvre du principe d'égalité - réelle et non formelle - dans notre pays, principe si souvent bafoué au quotidien ? A trop vouloir faire la part belle à un féminisme de bon aloi va-t-on véritablement faire avancer la cause de la femme ? Rien n'est moins sûr !
2. Des principes
Plusieurs principes devraient guider l'action des magistrats de la Cour de cassation afin de fournir au citoyen un service public de la Justice de qualité :
- l'application du droit et rien que le droit à l'exclusion de toute forme de morale et autres farfeluteries de cet acabit.
- l'impartialité qui aille au-delà de l'apparence. Comment y prétendre lorsque l'on découvre dans le JORF du 14 juillet 2017 la promotion au grade de commandeur de la Légion d'honneur du procureur général près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin ? C'est cela que l'on qualifie vraisemblablement d'indépendance de la magistrature...
- l'humilité qui fait si souvent défaut à nos magistrats persuadés de leur omnipotence et de leur omniscience alors même que la Justice n'a jamais été et ne sera jamais une science exacte.
Le meilleur service que la Justice d'en haut pourrait rendre au citoyen français, qui est un délinquant qui s'ignore, serait, à titre d'hommage posthume et tardif au juge Jean-Michel Lambert dont on ne peut que regretter la fin tragique au nom d'une certaine idée de la conscience professionnelle et humaine, de s'inspirer du titre de son ouvrage passionnant paru en 2014 : "De combien d'injustices suis-je coupable ?"