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jeudi 6 juillet 2017

GPA : la Cour de cassation ou le libéralisme contraint



La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a rendu, le 5 juillet 2017, quatre arrêts ouvrant la voie à une reconnaissance juridique des couples ayant eu recours à une gestation pour autrui (GPA). En effet, la Cour autorise désormais le membre du couple qui n'a pas de lien biologique avec l'enfant à procéder à une adoption simple. C'est un premier pas, mais certainement un grand pas pour la Cour de cassation qui a toujours témoigné de son rejet à l'égard de la GPA.

Celle-ci est et demeure formellement prohibée par le droit positif depuis la loi du 29 juillet 1994 qui énonce fermement que "toute convention portant sur (...) la gestation pour le compte d'autrui est nulle" (article 16 al. 7 du code civil). Bien qu'interdite, la GPA est cependant une technique courante et licite dans bon nombre d'Etats, situation qui incite des couples français à se rendre à l'étranger pour en bénéficier. Rappelons que la GPA a d'abord pour finalité de remédier à une forme de stérilité féminine liée à l'impossibilité de porter un enfant. Elle est aussi le seul recours des couples homosexuels masculins qui désirent fonder une famille. Bien entendu, cette technique peut s'articuler avec un don de gamètes lorsque le couple est à la fois dans l'impossibilité de concevoir et de porter un enfant. Les trois arrêts du 5 juillet 2017 ne concernent cependant que les GPA dans lesquelles l'un des parents d'intention est le père biologique de l'enfant.

Si l'on étudie précisément la GPA à partir de la situation du "couple d'intention", c'est-à-dire celui qui a recours à la GPA, on s'aperçoit que la situation du père ne pose pas de problème : il lui suffit de déclarer l'enfant à la naissance pour être son père légal. Il n'en est pas de même pour sa compagne ou son compagnon. En droit français, la mère d'un enfant est celle qui accouche, et la question posée est donc celle du statut juridique du parent qui n'est pas le parent biologique. Sur ce plan, les arrêts de la Cour de cassation répondent à deux situations bien distincte.

La transcription du nom de la mère d'intention


La première question est celle de la transcription à l'état civil français de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger par GPA. Si la transcription du père ne pose pas problème, il n'en est pas de même pour la mère. Dans la décision n° 824, M. et Mme Y. demandent ainsi la transcription de l'acte de naissance de leurs jumeaux nés à Whittier en Californie. Or l'état civil californien mentionne le nom de la mère biologique et celui de la mère d'intention, la première déclarant renoncer à tout droit juridique sur l'enfant, au profit de la seconde. Le procureur de la République, puis la Cour d'appel avaient également refusé la transcription de l'état civil américain des enfants. 
 
La Cour de cassation leur donne raison, en s'appuyant sur deux motifs essentiels, également discutables.

Le premier réside dans l'article 47 du code civil qui autorise la transcription d'un acte d'état civil faits en pays étranger, sauf "si les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité". Or l'état civil californien fait figurer le nom de la mère biologique comme celui de la mère d'intention, la première déclarant renoncer à tout droit juridique sur l'enfant, au profit de la seconde. Pour la Cour de cassation, cet état civil "ne correspond pas à la réalité", et il ne peut donc être transcrit tel quel sur les registres français. 

L'analyse peut surprendre. Les mentions figurant dans l'état civil californien correspondent en effet doublement à la réalité. Sur le plan des conditions de la naissance des enfants tout d'abord, puisque l'état civil reconnaît la double intervention d'une mère biologique et d'une mère d'intention. Sur le plan du droit applicable ensuite, puisque l'état civil des jumeaux est conforme au droit applicable en Californie. Quoi qu'il en soit, pour la Cour de cassation, le fait de déclarer une mère d'intention ne correspond pas à la "réalité", puisqu'elle n'a pas accouché.

Heureusement, la Cour se montre un peu plus mesurée dans son appréciation de la conformité de cette décision extrêmement brutale à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantir le droit de mener une vie familiale normale. Elle fait observer en effet que rien n'interdit de transcrire un état civil mentionnant le nom du père, ce qui garantit à l'enfant un lien de filiation et la nationalité française. Elle précise également que l'adoption permet de créer un lien de filiation entre l'enfant et la mère d'intention.

Observons que ce libéralisme a quelque chose de contraint. Il est la conséquence directe des arrêts  Mennesson c. France et Labassee c. France du 26 juin 2014. La Cour européenne des droits de l'homme avait alors affirmé que l'intérêt supérieur de l'enfant, même né par GPA, exigeait qu'il ait un état civil français, comme la famille par laquelle il est élevé. Aux yeux de la CEDH, cet état civil est un élément de l'identité. La Cour de cassation a fini par se rallier à cette jurisprudence par un arrêt un 3 juillet 2015, mais les juges du fond ont bien souvent continué à faire de la résistance, suscitant une nouvelle condamnation de la France par la Cour européenne, dans l'arrêt Foulon et Bouvet c. France du 21 juillet 2016
L'acceptation de cet état civil français a finalement suscité la décision de permettre la délivrance à ces enfants d'un certificat de nationalité, avec la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. Cette circulaire a vu sa légalité confirmée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 12 décembre 2014 Association des juristes pour l'enfance. Contrairement à la CEDH, le Conseil d'Etat ne s'appuie pas sur l'intérêt supérieur de l'enfant mais sur son droit à la vie privée, c'est à dire concrètement le droit de l'enfant à avoir la nationalité de ses parents considéré comme un élément essentiel de sa vie familiale.

Au regard de l'ensemble de cette jurisprudence, il était donc bien difficile de ne pas considérer que le droit à la vie familiale de l'enfant impliquait aussi la création d'un lien de filiation avec sa mère d'intention.

L'adoption de l'enfant par l'époux du père


La seconde question résolue par les arrêts du 5 juillet 2017 est plus simple. Elle porte sur l'adoption de l'enfant né par GPA à l'étranger par l'époux du père. L'arrêt 826 évoque ainsi le refus pur et simple opposé à l'époux du père d'un enfant également né en Californie. Pour le tribunal de grande instance, puis la cour d'appel de Dijon, le refus d'adoption reposait simplement sur l'irrégularité de la GPA en droit français. On se trouvait alors dans l'application brutale de l'adage Fraus omnia corrumpit qui signifie que tous les actes qui s'analysent comme un effet d'une convention illégale sont eux-mêmes illégaux. L'enfant né par GPA se trouvait ainsi affligé d'une sorte de péché originel l'empêchant d'avoir ensuite un statut juridique, une filiation et une nationalité identiques à celle d'un enfant issu d'un papa et d'une maman plus conformes à la tradition.

Ce raisonnement était exactement celui de la Cour de cassation avant que l'intérêt supérieur de l'enfant lui soit rappelé par la jurisprudence Mennesson. Depuis la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe, le code civil énonce qu'un lien de filiation peut être établi entre un enfant et deux personnes de même sexe. La loi n'énonce, sur ce point, aucune restriction attachée à la technique de procréation. Dans deux arrêts du 3 juillet 2015, la Cour de cassation accorde la transcription sur les registres de l'état civil de la filiation paternelle d'enfants nés par GPA. Encore faut-il que la reconnaissance de paternité repose sur un réalité biologique, au sens de l'article 47 du code civil. 

Comparés à la jurisprudence de la Cour de cassation traditionnellement très hostile à la GPA, les quatre arrêts du 5 juillet 2017 semblent témoigner d'un libéralisme tout à fait nouveau. En revanche, ces décisions risquent de susciter bien des difficultés. C'est ainsi que le refus de l'adoption plénière a pour conséquence de maintenir un lien juridique avec la mère biologique, alors même qu'elle a formellement renoncé à ses droits. Quel est l'intérêt d'une telle mesure ? Ne risque-t-elle pas de provoquer des contentieux ? En matière d'adoption, la mère biologique a renoncé à ses droits, et personne ne s'offusque de l'adoption plénière.. Il ne fait aucun doute que cette différence de traitement risque d'être mise en cause. 
Calvin et Hobbes. Bill Watterson

Définition de la parentalité


Surtout, la question posée est celle de la définition de la parentalité. Il est acquis, depuis bien longtemps, que la filiation paternelle peut être acquise par possession d'état. Autrement dit, le père est celui qui se comporte comme tel, qui élève l'enfant, pourvoit à ses besoins et à son éducation, lui donne son nom.. Le lien biologique est alors écarté au profit d'une conception sociale de la paternité. Aujourd'hui la Cour de cassation nous affirme que le conjoint ou la conjointe du père biologique ne peuvent pas bénéficier d'une adoption plénière. Or ils sont à l'origine du désir d'enfant avec leur conjoint. Ils se sont engagés aussi à l'élever, à pourvoir à ses besoins, et, le cas échéant à lui donner leur nom... Un enfant ne peut donc avoir un second père sans lien biologique avec lui, et ne peut davantage avoir une mère qui n'accouche pas. Ceux-là n'ont pas droit à se voir reconnaître une possession d'état. Au contraire, ils sont renvoyés à leur seule existence biologique. Comment osent-ils réclamer, puisqu'ils n'ont pas accouché ? 

Sur la GPA : chapitre 7, section 2 § 3-B  du manuel de libertés publiques sur internet.


2 commentaires:

  1. Un grand merci pour ce commentaire toujours très limpide.
    il me semble qu'il y a une coquille de date dans la première phrase de la partie "L'adoption de l'enfant par l'époux du père".

    => Arrêts de 2017 (et non 2016)

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    1. Merci beaucoup. Votre lecture attentive m'a permis de corriger cette coquille.
      Bien cordialement,

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