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vendredi 7 avril 2017

La crèche de Pâques ou les quatre critères de l'Apocalypse

La période de Pâques est sans doute la plus propice à une réflexion sereine sur les crèches de Noël. C'est certainement ce qu'a pensé la Cour administrative d'appel (CAA) de Marseille en rendant une décision le 3 avril 2017 déclarant illégale la crèche installée, durant la période de Noël 2016, dans les locaux de la mairie de Béziers.

L'installation était très controversée, en particulier parce que la décision d'installer la crèche émanait du maire de Béziers Robert Ménard, personnalité toujours encline à mettre dans ses propos comme dans ses actes une certaine dose de provocation. Mais l'intérêt de la décision de la CAA est ailleurs. Il réside tout entier dans le fait qu'elle applique une jurisprudence récente, remontant à deux arrêts rendus par le Conseil d'Etat le 9 novembre 2016, concernant  des crèches des Nöel installées, l'une dans l'enceinte de l'hôtel de ville de Melun, l'autre dans celle de l'hôtel du département. en Vendée.

Libéralisme des conditions de recevabilité


Observons que la CAA de Marseille se montre très compréhensive sur la recevabilité du recours. En l'espèce l'installation de la crèche ne relevait d'aucun acte administratif formalisé dont on pourrait retrouver la trace dans le registre des délibérations du Conseil municipal ou dans le recueil des actes municipaux. Une telle situation, très fréquente, ne constitue pas un obstacle à la recevabilité du recours, dès lors que l'existence de l'acte administratif est révélée par un fait matériel. Autrement dit, pour le juge administratif, l'installation de la crèche suffit à prouver que le maire a pris une telle décision et le délai de recours  Cette jurisprudence n'a rien de nouveau et le Conseil d'Etat l'a rappelée en 1986 dans une affaire qui le concernait directement. Il a alors considéré que l'installation des Colonnes de Buren dans la cour du Palais-Royal n'avait pu être réalisée qu'après autorisation du ministre de la culture, acte lui-même susceptible de recours.

De la même manière, la CAA de Marseille estime que la seule qualité d'usager des services publics est suffisante pour fonder l'intérêt à agir du requérant M. G. Là encore, il s'agit de la mise en oeuvre de la jurisprudence très libérale issue de l'arrêt du 21 décembre 1906 Syndicat des copropriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli.

L'intérêt à agir de la Ligue des droits de l'homme qui s'est jointe au recours est finalement reconnu à l'issue d'une évolution jurisprudentielle. En principe en effet, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial (en l'espèce la seule commune de Béziers) rend irrecevable le recours d'une association ayant un ressort national comme la Ligue des droits de l'homme. Mais la jurisprudence a nuancé cette jurisprudence, précisément à propos d'un recours de la Ligue des droits de l'homme contre un arrêté du maire de La Madeleine interdisant la fouille des poubelles. Après bien des hésitations, le recours de l'association a été déclaré recevable par le Conseil d'Etat le 4 novembre 2015. Il a alors considéré que le recours d'une association nationale contre un acte purement local peut être recevable si ce dernier a des implications qui excèdent les seules circonstances locales, "notamment dans le domaine des libertés publiques". Tel est évidemment le cas en matière de laïcité, puisque la solution donnée au problème de la crèche de Béziers pourra éventuellement s'appliquer à d'autres communes.

Analysant la décision sur le fond, la CAA de Marseille applique la récente jurisprudence du Conseil d'Etat et traite une question de principe liée à la définition même de la laïcité comme une affaire locale ou une querelle de clocher.

 J.S. Bach. Oratorio de Pâques BWV 249. Kommt, eilet une laufet
Collegium Vocale. Direction : Philippe Herreweghe



Une querelle de clocher

 

La question de droit réside exclusivement dans l'interprétation de l'article 28 de la  loi de séparation des églises et de l'Etat du 9 décembre 1905.  Il interdit "d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions". Une crèche est-elle un "emblème religieux" au sens de ce texte ?

Le tribunal administratif de Montpellier, lorsqu'il s'était prononcé sur la crèche biterroise, avait opté pour un critère assez simple et déjà largement utilisé en matière de la laïcité, celui du prosélytisme : un emblème religieux est un objet ou illustration qui "symbolise la revendication d'opinions religieuses". Dans le cas d'une crèche de Noël, le tribunal avait certes estimé qu'une telle installation avait "une signification religieuse parmi la pluralité qu'elle est susceptible de revêtir", mais il avait estimé que les habitants de la ville étaient libres de la considérer comme un symbole de foi ou comme une simple animation du centre ville. Pour ces motifs, il avait refusé d'y voir un symbole religieux, dans la mesure où la crèche n'emportait aucune revendication religieuse particulière.

Hélas, le Conseil d'Etat a repris à son compte la formule bien connue : Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Les deux décisions du 9 novembre 2016 affirment que, pour être considérée comme n'étant pas un emblème religieux, la crèche doit présenter un" caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse". Il donne ensuite quatre critères permettant aux élus et aux juges du fond d'apprécier la conformité de l'installation au principe de laïcité. Bonne élève, la CAA de Marseille les applique tant bien que mal.

Les quatre critères de l'Apocalypse


Le premier critère est le "contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme", formule qui ne s'accompagne d'aucune définition, contrairement à ce qu'avait fait le tribunal administratif de Montpellier. Le second réside dans les "conditions particulières de cette installation". La formule est encore plus énigmatique. A quelles "conditions particulières" fait-on référence ? La décision de la CAA Marseille ne permet en aucun cas de répondre à ces questions. Elle se borne en effet à reprendre fidèlement la formulation de ces deux critères employée par le Conseil d'Etat, sans davantage d'explication.

Le troisième critère est celui de "l'existence ou de l’absence d’usages locaux", ce qui semble signifier qu'une crèche sera légale si et seulement si elle relève d'une tradition solidement établie. Nul ne conteste qu'il n'existe aucune tradition de ce type à Béziers, la crèche étant au contraire une innovation introduite par Robert Ménard. Doit-on pour autant en déduire qu'un élu ne peut pas introduire une pratique nouvelle dans ce domaine, si les deux premiers sont respectés, c'est à dire si l'installation est dépourvue de tout élément de prosélytisme et si aucune mystérieuse "condition particulière" ne semble s'y opposer ? La réponse à cette question devra, elle aussi, attendre, car le CAA Marseille se concentre sur le quatrième et dernier critère.

Le quatrième et dernier critère est celui du lieu de l'installation, et c'est incontestablement le plus obscur. Le Conseil d'Etat opère en effet une distinction si subtile entre le bâtiment public et l'emplacement public... qu'il éprouve le besoin d'en donner le mode d'emploi. 

Le bâtiment public est défini comme celui qui est le siège d'une d’une collectivité publique ou d’un service public. Dans ce cas, l'installation d'une crèche porte en principe atteinte au principe de neutralité. Mais cette présomption d'illégalité peut être renversée si "des circonstances particulières" permettent de reconnaître à cette crèche "un caractère culturel, artistique ou festif". Il ne suffira donc pas d'affirmer que la crèche présente l'une de ces caractéristiques, il sera nécessaire de le démontrer en faisant état de circonstances particulières. Lorsque la crèche est sur un "emplacement public", notion pas plus définie que les précédentes, la présomption est inversée. Dans ce cas, elle est supposée conforme à la loi de 1905, à la condition qu'elle ne recèle aucun élément de prosélytisme.

La crèche de Béziers était placée dans le hall de l'hôtel de ville, bâtiment public par excellence. La CAA de Marseille se borne donc à faire remarquer que l'installation n'est accompagnée "d'aucun autre élément marquant son inscription dans un environnement culturel, artistique ou festif". Les "circonstances particulières" exigées par la jurisprudence du Conseil d'Etat ne sont donc pas réunies et la crèche de Béziers est illégale.

Dont acte. On attend avec impatience la jurisprudence ultérieure qui promet d'être pittoresque. Nul doute en effet que les élus vont déployer des trésors d'imagination pour inscrire leur crèche "dans un environnement culturel, artistique ou festif". Les crèches vont ainsi attirer les expositions diverses, la vente de barbe à papa, les concerts d'artistes locaux, ou les avaleurs de feu.

Comme souvent en matière de laïcité, la jurisprudence administrative refuse de poser un principe général, préférant des décisions au cas par cas qui lui permettent de ménager tout le monde. Pas question de considérer que la crèche installée dans un espace public constitue, en soi, une atteinte au principe de neutralité. Certains auraient immédiatement affirmé que le juge administratif traitait plus  mal les catholiques que les musulmans. L'interdiction du port du burkini n'est-elle pas, elle aussi, gérée au cas par cas, en fonction de l'atteinte éventuellement portée à l'ordre public ? Pas question, à l'inverse, d'appliquer la jurisprudence Lautsi c. Italie de la Cour européenne des droits de l'homme, qui considère que le crucifix suspendu dans les salles de classe des écoles publiques italienne n'est qu'un "symbole passif" qui n'emporte aucune revendication religieuse et donc aucune atteinte au principe de laïcité. Dans ce cas, ce sont les musulmans qui auraient pu se plaindre que les catholiques étaient mieux traités qu'eux.. Devant une situation aussi cruelle, la juridiction administrative préfère cultiver l’ambiguïté, au détriment du principe de laïcité qui ne peut exister que si les règles sont clairement définies et compréhensibles par tous.



Sur la laïcité et l'installation des crèches de Noël : Chap 10, section 1 § 2, B du manuel de libertés publiques.


1 commentaire:

  1. Je vous remercie de nous avoir guidés, avec pédagogie et humour, dans ce dédale inextricable de règles plus ou moins approximatives, de jurisprudences plus ou moins cohérentes et fluctuantes, de fariboles plus ou moins détendantes. Eternels élèves, que serions-nous et que ferions-nous sans nos maîtres favoris !

    Quel superbe embrouillamini juridico-linguistique que cette jurisprudence administrative qui démontre une fois de plus que l'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment. Comme le soulignait si justement Simone de Beauvoir : "Il ne faut pas confondre la notion d'ambiguïté et celle d'absurdité". Dans le cas de figure, on s'interroge pour savoir si c'est l'ambiguïté qui le dispute à l'absurde ou bien le contraire.

    Tout ceci révèle un réel talent du vice-président du Conseil d'état, grand maître de cérémonie, déjà brillant expert en communication ! Ce qui devrait, sans conteste, lui valoir le titre envié de « régent iconodule et grammatophylaque du Collège de Pataphysique » après le décès récent de son fondateur, Michel Arrivé. Il fut l'expert incontesté d'Alfred Jarry et de son roi Ubu comme vient de nous rappeler le quotidien Le Monde de ce milieu de semaine.

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