Depuis le débat du PenelopeGate, certains juristes pratiquent d'incroyables torsions sur l'analyse juridique pour la mettre au service de leur militantisme. Ils affirment ainsi, de manière péremptoire, que les poursuites diligentées contre François Fillon devraient être repoussées à une date postérieure aux élections présidentielles. Il existerait donc une sorte de "trêve judiciaire" qui durerait pendant toute la campagne électorale, et durant laquelle il serait impossible de poursuivre un candidat.
L'un des soutiens de cette thèse est Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, qui vient de publier dans Le Monde un article délicieusement intitulé "La machine à éliminer Fillon rappelle les procès staliniens". L'excès même du propos peut faire sourire, d'autant qu'une lecture attentive montre que l'auteur fait allègrement d'une pierre deux coups. Non seulement il s'efforce d'expliquer que François Fillon devrait être à l'abri des poursuites, mais il cherche également à salir le juge judiciaire. L'idée générale est, en effet, que le Conseil d'Etat, "protecteur-des-libertés", met en oeuvre la trêve électorale, pendant que le vilain juge judiciaire la viole allègrement et bafoue les libertés. La finalité de l'article est donc double, soutenir François Fillon et vanter l'ineffable perfection de la Haute Juridiction administrative.
Le problème est que cette trêve électorale n'existe pas vraiment devant le juge administratif.
Frédéric Rolin, dans son article sur "La retenue du juge administratif en période électorale", montre que quelques affaires anciennes ont effectivement pu être traitées avec une sage lenteur. Le seul cas cité remonte à presque trente années. Le Conseil d'Etat avait alors été confronté, avant le referendum qui a suivi les accords de Nouméa, à un recours du Front Calédonien contre l'arrêté fixant la liste des partis politiques autorisés à participer à la campagne référendaire, liste dans laquelle il ne figurait pas. A l'époque le Conseil d'Etat avait effectivement refusé de statuer avant la consultation. Ensuite, dans un arrêt du 10 mai 1989, il avait rendu une décision de non-lieu, l'affaire ne présentant plus aucun intérêt dès lors que le referendum avait eu lieu le 6 novembre 1988. Frédéric Rolin reprend la formule courtoise de René Chapus qui évoque à ce propos "un non-lieu d'expédient". Disons-le franchement, il s'agit de laisser pourrir un contentieux pour ne plus avoir à le traiter. C'est sans doute ce que souhaite J. E. Schoettl à propos de l'affaire Fillon. On doit néanmoins se réjouir que le juge judiciaire se refuse à de telles pratiques qui s'analysent comme un déni de justice.
Au demeurant, cette possibilité est aujourd'hui exclue, même devant le juge administratif pourtant si prêt à temporiser et à rendre la justice quand elle ne présente plus aucun intérêt. Depuis la loi du 30 juin 2000, les procédures d'urgence ont été considérablement développées devant la juridiction administrative. Aujourd'hui, le Front Calédonien pourrait tout simplement déposer un référé et contraindre ainsi le juge à statuer rapidement...
Observons tout de même que le contentieux de la campagne électorale, le seul qui soit de la compétence du juge administratif, n'a vraiment rien à voir avec celui auquel est confronté le juge pénal. Le premier apprécie l'élection, la régularité de la campagne, l'égalité entre les candidats et le respect du pluralisme. Le second juge l'individu et les infractions qu'il est susceptible d'avoir commis. Il est alors particulièrement important que les électeurs puissent être informés avant le scrutin de faits susceptibles d'éclairer son vote.
Du côté du juge judiciaire, les choses sont encore plus simples. La prétendue trêve judiciaire n'existe pas et on ne lui trouve aucun fondement juridique. Dans le cadre de cette torsion de l'analyse juridique déjà évoquée, certains ont mentionné l'article L 110 du code électoral, selon lequel "aucune poursuite contre un candidat, en vertu des article L 106 et L 108, ne pourra être exercée (...) avant la proclamation du scrutin". Ils en ont déduit qu'il existait bien une "règle écrite" imposant la trêve judiciaire. On peut tout de même regretter que d'aussi fins juristes ne soient pas allés lire les articles L 106 et L 108 du code électoral. Ils auraient eu la surprise de découvrir que cette trêve ne s'applique pas au cas de François Fillon. L'article L 106 sanctionne les dons ou libéralités offerts à des électeurs pour tenter d'influencer leur vote. L'article L 108 réprime les mêmes faits au sein d'un conseil municipal. Dans les deux cas, il s'agit de punir un candidat qui distribue de l'argent à des électeurs. Dans le cas des faits reprochés à François Fillon, la situation est inversée, puisqu'il s'agit d'enrichir le candidat lui-même, ou sa famille. In fine, on constate l'absence totale de fondement juridique susceptible de justifier une telle trêve.
Aux yeux de J. E. Schoettl, la retenue judiciaire n'emporterait aucune atteinte à l'égalité devant la loi, dès lors qu'il reste possible de poursuivre François Fillon après l'élection s'il est battu, et à la fin de son mandat s'il est élu. Belle conception du principe d'égalité qui repousse les poursuites pénales selon le bon vouloir de celui qui en est l'objet ! Un chef d'entreprise qui a créé un emploi fictif risque aussi d'être poursuivi pour abus de biens sociaux, de voir sa crédibilité mise en cause auprès du personnel de son entreprise, de ses actionnaires ou de ses banquiers. Pourquoi ne pourrait-il pas, lui aussi, invoquer une trêve judiciaire ? Dans l'affaire Fillon elle-même, la trêve serait-elle étendue au bénéfice de Pénélope Fillon et de ses enfants ? L'auteur ne nous livre sur ce point aucune analyse juridique.
De la même manière considère-t-il que le parquet national financier a fait du zèle en demandant l'ouverture d'une instruction quelques jours avant la publication de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription. Il convient pourtant de rappeler que le rôle du procureur est précisément de poursuivre, de défendre l'intérêt de la loi, et non pas celui de l'accusé. Il est parfaitement dans son rôle en s'efforçant, en toute légalité, de couvrir l'ensemble d'une affaire, en décidant l'ouverture de l'instruction avant la publication d'une loi dont l'une des dispositions a été votée par les parlementaires pour étendre la prescription des infractions liées à la corruption. L'auteur regrette que cette loi ne soit pas applicable au cas de François Fillon, mais c'est tout de même une piètre défense que celle qui consiste à vouloir effacer les faits illicites par une prescription de complaisance...
D'une manière générale, toute l'analyse repose sur une bien curieuse conception de la séparation des pouvoirs. On comprend que, dans l'esprit de l'auteur, le juge judiciaire ne doit pas intervenir dans les petits arrangements entre amis qui caractérisent la gestion du parlement. Mais la séparation des pouvoirs vise seulement à interdire aux juges toute intervention dans le coeur de l'activité parlementaire que sont le vote de la loi et le contrôle du gouvernement. Elle ne s'applique en aucun cas aux infractions pénales détachables de la fonction législative. Au contraire, la séparation des pouvoirs devrait être invoquée pour permettre au juge judiciaire d'exercer sa mission dans la sérénité, sans être poursuivi par des propos haineux qui l'accusent de "procès staliniens", alors même qu'aucun procès n'est encore prévu. Cette mission du juge judiciaire est précisément au coeur de l'Etat de droit... une notion que J. E. Schoetll ne peut tout de même avoir totalement oubliée.
La trêve électorale devant le juge administratif
Le problème est que cette trêve électorale n'existe pas vraiment devant le juge administratif.
Frédéric Rolin, dans son article sur "La retenue du juge administratif en période électorale", montre que quelques affaires anciennes ont effectivement pu être traitées avec une sage lenteur. Le seul cas cité remonte à presque trente années. Le Conseil d'Etat avait alors été confronté, avant le referendum qui a suivi les accords de Nouméa, à un recours du Front Calédonien contre l'arrêté fixant la liste des partis politiques autorisés à participer à la campagne référendaire, liste dans laquelle il ne figurait pas. A l'époque le Conseil d'Etat avait effectivement refusé de statuer avant la consultation. Ensuite, dans un arrêt du 10 mai 1989, il avait rendu une décision de non-lieu, l'affaire ne présentant plus aucun intérêt dès lors que le referendum avait eu lieu le 6 novembre 1988. Frédéric Rolin reprend la formule courtoise de René Chapus qui évoque à ce propos "un non-lieu d'expédient". Disons-le franchement, il s'agit de laisser pourrir un contentieux pour ne plus avoir à le traiter. C'est sans doute ce que souhaite J. E. Schoettl à propos de l'affaire Fillon. On doit néanmoins se réjouir que le juge judiciaire se refuse à de telles pratiques qui s'analysent comme un déni de justice.
Au demeurant, cette possibilité est aujourd'hui exclue, même devant le juge administratif pourtant si prêt à temporiser et à rendre la justice quand elle ne présente plus aucun intérêt. Depuis la loi du 30 juin 2000, les procédures d'urgence ont été considérablement développées devant la juridiction administrative. Aujourd'hui, le Front Calédonien pourrait tout simplement déposer un référé et contraindre ainsi le juge à statuer rapidement...
Observons tout de même que le contentieux de la campagne électorale, le seul qui soit de la compétence du juge administratif, n'a vraiment rien à voir avec celui auquel est confronté le juge pénal. Le premier apprécie l'élection, la régularité de la campagne, l'égalité entre les candidats et le respect du pluralisme. Le second juge l'individu et les infractions qu'il est susceptible d'avoir commis. Il est alors particulièrement important que les électeurs puissent être informés avant le scrutin de faits susceptibles d'éclairer son vote.
La Trêve de Dieu |
La trêve électorale devant le juge judiciaire
Du côté du juge judiciaire, les choses sont encore plus simples. La prétendue trêve judiciaire n'existe pas et on ne lui trouve aucun fondement juridique. Dans le cadre de cette torsion de l'analyse juridique déjà évoquée, certains ont mentionné l'article L 110 du code électoral, selon lequel "aucune poursuite contre un candidat, en vertu des article L 106 et L 108, ne pourra être exercée (...) avant la proclamation du scrutin". Ils en ont déduit qu'il existait bien une "règle écrite" imposant la trêve judiciaire. On peut tout de même regretter que d'aussi fins juristes ne soient pas allés lire les articles L 106 et L 108 du code électoral. Ils auraient eu la surprise de découvrir que cette trêve ne s'applique pas au cas de François Fillon. L'article L 106 sanctionne les dons ou libéralités offerts à des électeurs pour tenter d'influencer leur vote. L'article L 108 réprime les mêmes faits au sein d'un conseil municipal. Dans les deux cas, il s'agit de punir un candidat qui distribue de l'argent à des électeurs. Dans le cas des faits reprochés à François Fillon, la situation est inversée, puisqu'il s'agit d'enrichir le candidat lui-même, ou sa famille. In fine, on constate l'absence totale de fondement juridique susceptible de justifier une telle trêve.
Aux yeux de J. E. Schoettl, la retenue judiciaire n'emporterait aucune atteinte à l'égalité devant la loi, dès lors qu'il reste possible de poursuivre François Fillon après l'élection s'il est battu, et à la fin de son mandat s'il est élu. Belle conception du principe d'égalité qui repousse les poursuites pénales selon le bon vouloir de celui qui en est l'objet ! Un chef d'entreprise qui a créé un emploi fictif risque aussi d'être poursuivi pour abus de biens sociaux, de voir sa crédibilité mise en cause auprès du personnel de son entreprise, de ses actionnaires ou de ses banquiers. Pourquoi ne pourrait-il pas, lui aussi, invoquer une trêve judiciaire ? Dans l'affaire Fillon elle-même, la trêve serait-elle étendue au bénéfice de Pénélope Fillon et de ses enfants ? L'auteur ne nous livre sur ce point aucune analyse juridique.
De la même manière considère-t-il que le parquet national financier a fait du zèle en demandant l'ouverture d'une instruction quelques jours avant la publication de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription. Il convient pourtant de rappeler que le rôle du procureur est précisément de poursuivre, de défendre l'intérêt de la loi, et non pas celui de l'accusé. Il est parfaitement dans son rôle en s'efforçant, en toute légalité, de couvrir l'ensemble d'une affaire, en décidant l'ouverture de l'instruction avant la publication d'une loi dont l'une des dispositions a été votée par les parlementaires pour étendre la prescription des infractions liées à la corruption. L'auteur regrette que cette loi ne soit pas applicable au cas de François Fillon, mais c'est tout de même une piètre défense que celle qui consiste à vouloir effacer les faits illicites par une prescription de complaisance...
D'une manière générale, toute l'analyse repose sur une bien curieuse conception de la séparation des pouvoirs. On comprend que, dans l'esprit de l'auteur, le juge judiciaire ne doit pas intervenir dans les petits arrangements entre amis qui caractérisent la gestion du parlement. Mais la séparation des pouvoirs vise seulement à interdire aux juges toute intervention dans le coeur de l'activité parlementaire que sont le vote de la loi et le contrôle du gouvernement. Elle ne s'applique en aucun cas aux infractions pénales détachables de la fonction législative. Au contraire, la séparation des pouvoirs devrait être invoquée pour permettre au juge judiciaire d'exercer sa mission dans la sérénité, sans être poursuivi par des propos haineux qui l'accusent de "procès staliniens", alors même qu'aucun procès n'est encore prévu. Cette mission du juge judiciaire est précisément au coeur de l'Etat de droit... une notion que J. E. Schoetll ne peut tout de même avoir totalement oubliée.
Romain Rambaud dans son billet de blog n'a pas fait état de l'applicabilité au cas de Fillon des trêves spécifiques mentionnées dans le code électoral.
RépondreSupprimerVisiblement vous n'avez pas lu attentativement son billet de "fin juriste".
Comme non-juriste, je vois confirmé ce qu'intuitivement j'imaginais. Merci!
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