Il y a quinze jours, François Fillon déclarait vouloir faire toute la lumière sur les accusations qui le visent et participer pleinement à l'enquête préliminaire diligentée à son encontre. Le lendemain de cette déclaration, on voyait un de ses avocats aller, dès potron-minet, déposer des documents au Parquet national financier (PNF), sans doute les preuves du travail de Pénélope comme collaboratrice parlementaire. Deux semaines plus tard, alors que le candidat Fillon s'effrite dans les sondages, le ton change et se fait plus tranchant. Ses avocats annoncent désormais vouloir dessaisir le PNF. Après la dénégation vertueuse, nous entrons donc dans une phase procédurière.
Passons rapidement sur cette demande de "dessaisissement" du procureur, formule étrange puisque, contrairement à un juge d'instruction, un procureur n'est pas juridiquement "saisi". Quoi qu'il en soit, l'idée générale est que le PNF n'est pas compétent pour trois motifs juridiques.
On écartera le premier reposant sur la violation du secret de l'instruction, argument quelque peu étrange si l'on considère qu'aucune instruction n'a encore été ouverte dans cette affaire. Quoi qu'il en soit, même s'il est vrai que le secret couvre aussi la phase d'enquête (article 11 du code de procédure pénale), il n'en demeure pas moins qu'une éventuelle violation du secret, dont on ignore l'origine, est sans influence sur la compétence du Parquet national financier.
Les autres arguments invoqués par les avocats de François Fillon méritent davantage d'attention. L'un repose sur l'idée que l'infraction de détournement de fonds publics ne serait pas applicable aux élus. L'infraction n'étant pas constituée, le PNF serait donc incompétent. L'autre consiste à affirmer que l'enquête engagée par le PNF entraine une atteinte à la séparation des pouvoirs. Le seul problème est que ces deux arguments juridiques, bien qu'affirmés d'un ton péremptoire, apparaissent bien fragiles.
Les autres arguments invoqués par les avocats de François Fillon méritent davantage d'attention. L'un repose sur l'idée que l'infraction de détournement de fonds publics ne serait pas applicable aux élus. L'infraction n'étant pas constituée, le PNF serait donc incompétent. L'autre consiste à affirmer que l'enquête engagée par le PNF entraine une atteinte à la séparation des pouvoirs. Le seul problème est que ces deux arguments juridiques, bien qu'affirmés d'un ton péremptoire, apparaissent bien fragiles.
Les avocats de François Fillon affirment que l'infraction de détournement de fonds publics ne serait pas applicable aux élus. Observons d'emblée que l'argument repose sur l'idée que nos élus peuvent allègrement gaspiller les fonds publics, sans aucun contrôle d'aucune sorte, argument qui risque de déplaire au contribuable moyen. Reconnaissons cependant que François Fillon a le droit de développer sa défense comme il l'entend et regardons les textes.
Bernardino di Betto, dit Pinturicchio. Retour d'Ulysse. circa 1500 |
Un parlementaire, personne dépositaire de l'autorité publique
L'analyse juridique sur ce point repose sur l'articulation entre deux dispositions du code pénal. L'article 432-15 du code pénal sanctionne "le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée
d'une mission de service public, un comptable public, un dépositaire
public ou l'un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire
un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces
ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en
raison de ses fonctions ou de sa mission (...)". Ce texte réprime le détournement de fonds publics et les avocats de François Fillon estiment qu'il n'est pas applicable aux parlementaires, puisqu'ils ne sont pas expressément mentionnés dans la liste des personnes susceptibles d'être poursuivies. Le raisonnement est simple, mais il est aussi très court. En effet, il faut encore se demander si un parlementaire n'est pas précisément une personne dépositaire de l'autorité publique à laquelle fait référence l'article 432-15 du code pénal.
Si l'on examine l'article 433-3 du code pénal, celui-ci punit "la
menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les
biens proférée à l'encontre d'une personne investie d'un mandat électif
public". Il s'agit cette fois de protéger une catégorie de personnes auxquelles le texte ajoute pêle-mêle les magistrats, les jurés, les avocats, les notaires, les gendarmes ou toute autre personne
dépositaire de l'autorité publique". Toutes les personnes citées, y compris celles investies d'un mandat électif public sont donc dépositaires de l'autorité publique. On imagine mal que cette notion soit interprétée différemment lorsqu'il s'agit de protéger le parlementaire et lorsqu'il s'agit d'engager sa responsabilité.
Ce raisonnement est déjà appliqué par les juges. Un maire, titulaire d'un mandat électif, est ainsi considéré par la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 juin 2016 comme une personne dépositaire de l'autorité publique et il peut être poursuivi pour détournement de fonds lorsqu'il a fait acquérir par le budget de sa commune des véhicules de luxe qu'il emploie à son usage personnel. Il en est de même pour le président d'un Conseil général et la Cour d'appel de Paris, dans une décision du 5 novembre 1999 admet que le titulaire d'un tel mandat soit poursuivi pour détournement de fonds publics. L'intéressé en effet, n'utilisait pas "ces fonds conformément à l’intérêt de la personne morale qu’il représentait (...) en versant à son épouse une rémunération sans contrepartie de « service fait". Toute ressemblance avec les faits reprochés à François Fillon serait évidemment le fruit de notre imagination. Quoi qu'il en soit, si un élu local est une personne dépositaire de l'autorité publique, on peut légitimement penser qu'il en est de même d'un parlementaire.
La séparation des pouvoirs
Pour François Fillon, le seul fait d'enquêter sur le caractère fictif ou non de l'emploi de collaborateur parlementaire de son épouse constitue, en soi, une atteinte à la séparation des pouvoirs. Là encore, l'argument repose sur l'idée que les parlementaires ont tous les droits, et que la séparation des pouvoirs interdit toute forme de contrôle.
Il n'en est rien pourtant, car le principe de séparation des pouvoirs n'autorise pas tout. Ce n'est pas la loi qui l'affirme mais la Constitution elle-même, dans son article 26 al 1 : "Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions". Selon les termes employés par Pierre Avril et Jean Gicquel dans leur manuel de droit parlementaire, cette protection traditionnelle "vise à assurer la liberté d'expression et de décision" du parlementaire. Il existe donc bien une irresponsabilité juridique des parlementaires, mais elle ne concerne que les actes directement rattachés à l'exercice du mandat, et pas ceux qui en sont détachables. Elle concerne dont les propos ou les votes tenus en séance, en commission, ce qui constitue le coeur de la fabrication de la loi.
Julien Aubert (LR Vaucluse) a été victime, bien malgré lui, de cette distinction. On se souvient qu'il avait été sanctionné d'un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal pour s'être adressée à Sandrine Mazetier en l'appelant "Madame le Président" alors qu'elle lui demandait de s'adresser à elle comme Madame la Présidente". Ayant voulu contester la sanction, qui le privait tout de même d'une partie de son indemnité parlementaire, il s'est heurté à une décision d'incompétence du tribunal administratif de Paris. Dans sa décision de juin 2015, celui-ci s'appuie précisément sur le principe de séparation des pouvoirs, estimant que Julien Aubert s'exprimait dans l'hémicycle, au coeur même du débat parlementaire indissociable de la procédure législative. Ses propos relevaient donc de la police de la séance et la légalité de la sanction ne pouvait être appréciée par un juge.
Dans le cas de François Fillon, la situation est bien différente. Les poursuites portent uniquement sur le travail, réel ou fictif, effectué par sa collaboratrice et les poursuites pour détournement de fonds publics dépendent de cette qualification. Ces poursuites ne visent donc pas directement son activité de parlementaire, les nombreuses séances auxquelles il a assisté, et les innombrables amendements qu'il a déposés.
La contre-offensive de François Fillon semble ainsi reposer sur une analyse juridique un peu sommaire et sans doute développée dans la précipitation. S'agit-il d'une simple posture destinée à montrer sa combativité et son refus d'un éventuel plan B ? S'agit-il d'une tentative un peu désespérée de gagner du temps ? Peut-être un peut de tout cela, et, au bout, l'immense espoir de l'inviolabilité attachée à la personne du Président de la République.
Votre point de vue est toujours incontournable sur des sujets où la bienpensance médiatique dit tout et n'importe quoi, parlant le plus souvent de ce qu'elle ne connait pas. Si votre analyse est plus que nécessaire, elle n'est peut-être pas entièrement suffisante.
RépondreSupprimer1. Une analyse plus que nécessaire : l'approche du droit positif
Alors que la confusion est générale dans l'emploi des termes, vous nous ramenez à la véritable définition des concepts juridiques consacrés : enquête préliminaire, instruction, séparation des pouvoirs, actes détachables, immunité... Grâce à vous, l'horizon juridique s'éclaircit pour tous ceux qui sont attachés à la compréhension d'un problème de nature juridiques à travers les grands principes du droit positif. Force est toutefois de constater que dans une affaire aussi complexe que le Penelopegate, d'autres facteurs entrent en ligne de compte.
2. Une analyse pas entièrement suffisante : l'approche juridico-politique
- Sur le plan juridique, les choses sont moins claires qu'il n'y parait en apparence tant le droit n'est pas une science exacte et qu'il prête à interprétations différentes. A y regarder de plus près, l'enquête préliminaire est à la fois discriminatoire (la personne mise en cause est parfois informée de son existence, parfois pas ; parfois rapide, parfois lente ; parfois secrète, parfois portée sur la place publique... comment expliquer ces différences de traitement ?) et partiale (conduite par le parquet dont on sait depuis deux arrêts de 2010 de la CEDH qu'il n'est pas autorité judiciaire au sens de l'article 5 para 3 de la convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'il ne présente pas les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties et qu'il est partie prenante). Les juridictions judiciaires ont parfois une interprétation surprenante de la notion d'acte détachable.
- Sur le plan politique, que doit faire une personne condamnée par le tribunal médiatique avant d'être jugée par les juridictions ordinaires pour se défendre avec un minimum d'égalité des armes dans une situation de totale asymétrie et de calvaire permanent pour lui et pour ses proches ? La réponse à cette question est toujours la même : mettre en évidence la partialité du magistrat (la CEDH lui fournit quelques arguments) ; attaquer, ce qui est la meilleure défense (vieux principe de stratégie militaire); retourner l'arme médiatique contre ceux qui l'ont utilisé à vos dépens (mettre en évidence le caractère fictif du contrat de travail de la fille du directeur du site en ligne qu'est Médiapart, actif à la manoeuvre). Tout cela et de bonne guerre, pourrait-on dire !
Le jour où les magistrats poursuivront avec fermeté tous ceux qui violent les grands principes du droit de la défense (présomption d'innocence, charge de la preuve, égalité des armes, secret de l'instruction...), il seront plus crédibles dans leur rengaine de la vertu outragée. Que les magistrats commencent à balayer devant leur porte, avant de crier au loup ! "Un jugement trop prompt est souvent sans justice" (Voltaire).
Madame le Professeur,
RépondreSupprimerComme toujours la pertinence et la rigueur de votre pensée dans l’articulation complexe de grands principes fondamentaux sont éclairantes sur le terrain du droit positif notamment quand il y a débat de procédure sur la compétence d’une institution.
Ce qui permet de mettre aussi en évidence un "Etat de droit inachevé" pour reprendre le titre d’un chapitre du livre d'Alain Minc - "Au nom de la loi" - qui avait, en tout cas, le mérite de dénoncer « la naissance d'une justice d’opinion, modalité spectaculaire de la démocratie d’opinion qui tend à se substituer à la démocratie représentative ».
Autant on peut se féliciter de voir les juges lutter avec plus de virulence et plus d'autonomie contre la corruption, autant il convient de se méfier de tout ce qui peut bafouer les droits de la défense.
Cela étant, s’agissant des avocats de M. Fillon le procédé de disqualification des institutions judiciaires en cause repose sur une stratégie de défense, certes, fragile en droit mais discutable car elle peut s’inscrire dans un débat très technique de la matière juridique voire académique qui échappe à une grande majorité du peuple.
L’effet recherché n’est donc pas tant de savoir si les stratèges de M. Fillon sont bien fondés en droit dans l’immédiat mais, en termes de communication politique pour leur client, de mettre la pression sur la justice dans un contexte où la présidentielle dans trois mois est un enjeu majeur de la vie politique française.
Pas entièrement convaincu par vos exemples comparatifs. Vous citez les cas d'un maire et d'un président de Conseil général : dans les deux cas il s'agit de l'exécutif d'une collectivité territoriale, non pas d'un simple membre de son assemblée délibérante. Il ne fait pas de doute qu'un ministre (exécutif) est titulaire de l'autorité publique. Mais un parlementaire ? Il faudrait pour un parallèle déterminant trouver un cas de conseiller municipal ou de conseiller départemental condamné pour détournement de fonds publics, me semble-t-il.
RépondreSupprimerLe Monde daté du 11 février 2017 cite, par exemple, le député polynésien Jean-Paul Tuaiva condamné pour détournement de fonds publics.
SupprimerCe député a été condamné pour avoir bénéficié des fonds qu'il attribuait, par la réserve électorale, à une association bidon créée pour ce faire.
SupprimerLes sommes de la réserve électorale sont des subventions inscrites au budget de l'Etat, pour lesquelles, par dérogation, c'est chaque député qui choisit les attributives. Il est bien par ce choix discrétionnaire investi d'une mission d'autorité publique ...
Le député polynésien Jean-Claude Tuaiva dans l'affaire dite de la réserve parlementaire a été condamné le 16 juin 2016 pour détournement de fonds publics ce qui n'a pas contrarié le principe de la séparation des pouvoirs.
RépondreSupprimerCes commentaires juridiques sont bien faibles.
RépondreSupprimer- Un député n'est pas du tout dépositaire de l'autorité publique, sauf à commettre un abus de langage. L'autorité s'exprime dans la capacité d'accomplir des actes revêtus de la force exécutoire. Quel acte revêtu du caractère exécutoire, cher au doyen Hauriou, un député peut-il prétendre pouvoir accomplir ?
Les finances publiques définissent les dépositaires de l'autorité publique, comme étant ceux des élus ou fonctionnaires investis de la capacité de faire des actes d'autorité ayant des conséquences publiques et juridiques. Gérer des fonds publics, de les manier, de les compter...
L'art. 16 du CPP institue les maires comme officiers de police judiciaire, donc dépositaires de l'autorité publique dévolue à la police judiciaire.
Un député s'il était dépositaire d'une quelconque autorité serait celui de faire la loi. Rien d'autre. Mais c'est une autorité collective, assez difficile à rattacher à la gestion -matérielle- des fonds.
- En matière de séparation des pouvoirs, le droit financier tire les conséquences du principe constitutionnel. L'organisation parlementaire, totalement autonome, ne relève en rien du Budget, une fois la dotation versée (art.7 ord 1958), Elle secrète ses propre règles, son organisation et ses contrôles. Et.. tous les députés ne sont pas questeurs. Il n'y en n'a que trois.
On peut poursuivre point par point, mais il me paraît extrêmement discutable que l'élu lambda soit investi, par quelque biais que ce soit, de l'autorité publique.
La suite est limpide. Pas d'autorité publique, pas d'art. 432-15 -détournement de fonds- mais, au mieux, un abus de confiance, lequel n'entre pas dans le champ de compétence du PNF.
On peut le regretter, mais c'est ainsi. Sauf à modifier les textes.
Tout à fait d'accord. L'argumentaire sur ce point est très faible.
SupprimerCe raisonnement conduirait à dire que les avocats et juré, visés également dans l'article du code pénal cité, sont également dépositaires de l'autorité publique....
Madame,
RépondreSupprimerS'agissant de la séparation des pouvoirs et de l'opportunité de l'emploi des fonds d'un parlementaire, ne pensez-vous pas qu'il y ait lieu de distinguer?
J'use ici d'une analogie issue de mes vieux souvenir de droit public: si aucun contrôle d'opportunité ne paraît souhaitable, un parlementaire peut-il aller jusqu'à "l'erreur manifeste" que constituerait l'emploi de fonds pour un salarié ne travaillant pas?
En d'autres termes, si le parlementaire emploie à sa guise les fonds mis à sa disposition, peut-il les employer sans emploi?
Il y a peut-être là, un écart que le droit pénal (que je pratique bien peu) pourrait combler dans le cadre du détournement de fond publics (indépendamment de la question des personnes visées par l'incrimination).