La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 2 novembre 2016, donne quelques précisions sur la définition de la géolocalisation. Aux termes de l'article 230-32 du code de procédure pénale (cpp), cette pratique a pour objet de surveiller les déplacements d'une personne à son insu. Ces dispositions autorisent l'utilisation de "tout moyen technique destiné à la localisation, en temps réel, d'une personne". Cette localisation peut être effectuée au moyen d'un véhicule ou de "tout autre objet", sans le consentement de son propriétaire, à la condition que cette intrusion dans la vie privée des personnes soit justifiée par les nécessités d'une enquête.
Dans le cas présent, l'objet utilisé est tout simplement un téléphone mobile qui permet d'identifier les déplacements d'une personne. Ce téléphone appartient à un individu qui fait l'objet d'une enquête confiée par le procureur de la République à la police de Toulon. Il est soupçonné du délit de non-justification de ressources correspondant à son train de vie, infraction réprimée par l'article 321-6 du code pénal (c. pén.). Comme bien souvent dans ce type d'affaire, le train de vie de l'intéressé fait soupçonner l'existence d'un trafic de stupéfiants. Quoi qu'il en soit, après une surveillance d'un mois et demi et une perquisition qui a permis la saisie d'un téléphone crypté au nom de sa maman, l'intéressé en mis en examen le 30 juin 2015.
Géolocalisation et intervention d'un magistrat indépendant
Par une requête déposée en décembre 2015, il sollicite l'annulation de la géolocalisation réalisée pendant l'enquête de police, sur instruction du procureur. Il s'appuie en effet sur l'article 230-33 cpp qui énonce que la géolocalisation durant une enquête de flagrance ou une enquête préliminaire ne saurait durer plus de quinze jours. Une prolongation est cependant possible, imposant cette fois l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD).
Cette procédure mise en place par la loi du 28 mars 2014 trouve son origine dans une décision de cette même Chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dans deux arrêts du 22 octobre 2013, dont l'un portait précisément sur un trafic de stupéfiants, avait annulé les procédures. Invoquant
l'article 8 de la Convention européenne, elle avait alors considéré que la
géolocalisation impliquait une ingérence dans la vie privée et qu'à ce
titre, son utilisation dans l'enquête préliminaire devait être autorisée
par un juge indépendant.
La géolocalisation du requérant a donc duré un mois et demi, et a été diligentée avec l'autorisation du seul procureur de la République.
L'exigence du "temps réel"
La Chambre criminelle refuse pourtant d'accueillir le moyen développé par le requérant, tout simplement parce que le repérage dont il a fait l'objet n'entre pas dans le champ d'application de l'article 230-32 cpp. La Cour fait observer que les enquêteurs n'ont pas effectué un "suivi dynamique", ce qui signifie qu'ils n'ont pas géolocalisé l'individu "en temps réel", condition exigée par le code de procédure pénale. Après avoir saisi deux téléphones portables lors d'une perquisition, ils se sont bornés à réquisitionner les fadettes auprès des opérateurs, ce qui leur a permis de "tracer" les trajets de l'intéressé pendant les quatre mois précédents. Quant à l'appareil de la mère de l'intéressé, ils ne l'ont pas saisi, mais ont demandé à l'opérateur de lui communiquer les fadettes quotidiennes. Les enquêteurs savaient donc chaque soir ce que Maman avait fait durant sa journée, qui elle avait appelé, y compris son grand fils, et où elle s'était rendue. Là encore, il ne s'agissait pas d'une géolocalisation "en temps réel", mais d'un repérage a posteriori.
Par voie de conséquences, les interceptions ainsi réalisées n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 230-2 cpp qui définit la géolocalisation comme étant nécessairement "en temps réel". Il s'ensuit logiquement que l'article 230-33 cpp qui définit la procédure à mettre en oeuvre pour autoriser la géolocalisation n'est pas davantage applicable. L'exigence de l'intervention d'un magistrat indépendant disparaît, on l'on se retrouve dans le cadre de l'article 77-1-1 cpp qui autorise le procureur de la République, ou tout officier de police judiciaire agissant à sa demande, à requérir des informations intéressant l'enquête, y compris des données nominatives.
La notion de géolocalisation
L'arrêt est donc très clair, sauf peut-être une petite incertitude terminologique. En effet, la Cour de cassation affirme que la procédure dont le requérant et sa mère ont fait l'objet s'analyse comme une "géolocalisation en temps différé", notion dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle manque de clarté. Si le code de procédure pénale définit la géolocalisation comme un suivi dynamique "en temps réel", il paraît délicat d'employer le terme de géolocalisation pour désigner la communication a posteriori de données, même s'il s'agit techniquement de données de géolocalisation. En d'autres termes, la définition juridique semble plus étroite que la définition technique, et la Cour de cassation emploie finalement les deux. Admettons que c'est un détail que des décisions ultérieures permettront sans doute de préciser.
Le décryptage des critères retenus par la chambre criminelle de la Cour de cassation pour apprécier la légalité de la procédure de géolocalisation (auquel vous procédez avec précision) est aussi rassurant qu'inquiétant, surtout en période d'état d'urgence permanent.
RépondreSupprimer- Rassurant en ce qu'il permet le contrôle de la géolocalisation à travers une série de critères objectifs - même a posteriori quand le mal est fait - par un juge judiciaire, garant de la protection des libertés publiques dans notre pays. C'est en soi une bonne nouvelle que n'aurait pas désavouée Montesquieu attaché à la séparation, à l'équilibre des pouvoirs mais aussi et surtout à l'existence de contre-pouvoirs effectifs et efficaces.
- Inquiétant en ce qu'il laisse une place importante au procureur de la République. Et, c'est là que le bât blesse ! Procureur dont on sait depuis deux arrêts de 2010 de la CEDH condamnant la France qu'il n'est pas juridiquement "un juge indépendant et impartial" au sens de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe ("droit à un procès équitable"). Procureur dont les praticiens savent combien certains de leurs réquisitoires écrits pêchent par leur indigence (sur les faits mais ce qui est plus grave encore sur le droit) et de leurs réquisitoires oraux qui frisent l'excès et donc l'insignifiant, pour reprendre la formule célèbre de Talleyrand. Les récentes aventures gabonaises du procureur général tendraient à accréditer la thèse d'un trop grande proximité entre l'exécutif et le parquet ("Le procureur général Marin se fracasse sur l'écueil gabonais", Michel Deléan, www.mediapart.fr , 5 décembre 2016).
En définitive, "la justice est toujours le résultat d'une tension entre le pouvoir et les libertés" (Dominique de Villepin, Mémoire de paix pour temps de guerre", 2016, page 96).
La localisation est vraiment rassurante en tant que parent.. J'ai trouvé un site de localisation portable qui me permet de localiser ma fille après validation du sms :)
RépondreSupprimer