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dimanche 7 août 2016

Déclaration de patrimoine : ça n'arrive qu'aux autres

La lutte contre la corruption est une route semée d'obstacles, et la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 juillet 2016 en offre un nouvel exemple. En l'espèce, le Conseil était saisi par le Premier ministre de la loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature. Rappelons en effet que toutes les lois organiques sont obligatoirement déférées au Conseil constitutionnel. 

Sur le fond, l'essentiel de la loi est déclaré conforme à la Constitution. Seules quelques dispositions  ont été invalidées, en particulier les règles relatives à la fin de la période de détachement des magistrats que le Conseil censure au motif qu'elles établissaient des régimes de réintégration différents selon les catégories de magistrats concernés. Autant dire que les dispositions annulées ont été présentées comme marginales. 

Tel n'est pas le cas pourtant de la déclaration d'inconstitutionnalité du régime gouvernant les déclarations patrimoniales des membres du Conseil constitutionnel et des hauts magistrats. Dans les deux cas, le Conseil fait en sorte d'écarter l'obligation posée, en pratiquant deux méthodes différentes, l'opposition frontale lorsque la règle est imposée aux membres du Conseil constitutionnel, l'assassinat par enthousiasme lorsqu'elle vise les hauts magistrats.

Les membres du Conseil constitutionnel : un cavalier qui surgit hors de la nuit


Confronté à une loi organique qui a l'audace d'imposer une déclaration de patrimoine à ses propres membres, le Conseil opère une censure directe. Il utilise en effet la méthode éprouvée de la sanction du cavalier législatif.

Il observe que cette obligation a été introduite en première lecture à l'Assemblée nationale par la voie d'amendement. Or une telle obligation ne peut trouver son origine constitutionnelle dans une autre norme que celle prévue par l'article 63 de la Constitution qui énonce qu'une "loi organique détermine les règles d'organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel (...)". Le législateur devait donc se fonder sur l'article 63 de la Constitution, et modifier l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel. Or le texte sur lequel le Conseil est appelé à statuer repose sur les articles 13 (compétence de nomination aux emplois civils et militaires), 64 (exigence d'une loi organique pour définir le statut des magistrats) et 65 de la Constitution (Conseil supérieur de la magistrature).

Dans la mesure où aucune des ces trois dispositions ne vise le statut des membres du Conseil constitutionnel, il en déduit que l'amendement leur imposant une déclaration de patrimoine s'analyse comme un cavalier législatif. Ces dispositions, affirme-t-il, "ne présentent pas de lien, même indirect, avec les disposition sud projet de loi organique". En d'autres termes, les membres du Conseil constitutionnel ne sont pas des magistrats et ne sont donc pas concernés par la loi.

Le raisonnement est incontestable, si ce n'est que le Conseil n'a pas toujours été aussi exigeant, loin de là. Dans une décision du 19 juin 2001, il a ainsi admis, dans la loi organique modifiant le statut des magistrats, un amendement modifiant la procédure civile, pénale et administrative, disposition ne relevant pas du domaine de la loi organique. De même a-t-il accepté, le 19 juillet 2010, un amendement supprimant la formation spéciale de la Cour de cassation en matière de question prioritaire de constitutionnalité dans une loi organique portant sur le Conseil supérieur de la magistrature.

Il est vrai que le Conseil se montre parfois beaucoup plus formaliste, sanctionnant par exemple un amendement portant le statut de la Nouvelle-Calédonie (art. 77 de la Constitution) le dans une loi organique relative à la Polynésie (décision du 28 juillet 2011). Aujourd'hui, le Conseil semble généraliser cette exigence d'une habilitation constitutionnelle parfaitement précisée dans la loi organique et qu'il est impossible d'étendre par la voie d'amendement. On ne doute pas que le Président Fabius aura à coeur de maintenir cette rigueur jurisprudentielle dans un domaine autre que celui des déclarations patrimoniales des membres du Conseil. Dans le cas contraire, les mauvais esprits pourraient penser que le Conseil a surtout cherché à échapper à cette obligation.


 Zorro. Série télévisée. 1957. Générique

Les magistrats : l'assassinat par enthousiasme



Dans le cas des magistrats, le Conseil constitutionnel adopte la méthode de l'assassinat par enthousiasme. Il relève que la loi organique impose une déclaration patrimoniale aux seuls premier président et présidents de chambre de la Cour de cassation, procureur général et premiers avocats généraux près la Cour de cassation, premiers présidents des cours d'appel et procureurs généraux près les cours d'appel, présidents des tribunaux de première instance et procureurs de la République près les tribunaux de première instance, le législateur organique a traité différemment ces magistrats des autres magistrats exerçant des fonctions en juridiction. Mais cette liste n'est pas suffisante aux yeux du Conseil, tant il est vrai que cette déclaration patrimoniale "a pour objectif de renforcer les garanties de probité et d'intégrité de ces personnes. Elle est ainsi justifiée par un motif d'intérêt général".

Enthousiasme donc, au point que le Conseil constitutionnel refuse de considérer que les hauts magistrats sont dans une situation différente de celle de l'ensemble des magistrats exerçant leurs fonctions au sein d'une juridiction. Il considère, et on peut parfaitement soutenir ce point de vue, que cette finalité de probité et d'intégrité existe à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire. Certes, on objectera que le Conseil, dans sa décision du 9 octobre 2013 sur la loi relative à la transparence de la vie politique, avait parfaitement admis que la déclaration de patrimoine ne soit imposée qu'aux seuls fonctionnaires d'autorité, ceux en particulier occupant des emplois à la discrétion du gouvernement. Quoi qu'il en soit, dans sa décision du 28 juillet 2016, le Conseil sanctionne pour violation du principe d'égalité la disposition limitant la déclaration patrimoniale aux magistrats les plus élevés dans la hiérarchie judiciaire.

Devant une telle situation, le législateur a donc le choix entre deux solutions. La première et la plus logique serait d'étendre l'obligation à l'ensemble des magistrats. Rappelons que ces déclarations, dans l'état actuel du droit tel qu'il résulte de la loi du 11 octobre 2013, sont déposées auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui a mission de les contrôler. L'ensemble des magistrats devraient donc remettre une déclaration personnelle, dans les deux mois qui suivent l'installation dans leurs fonctions, puis dans les deux mois qui suivent leur cessation. Cette déclaration devrait être renouvelée à chaque changement de fonctions, afin de permettre à la HATVP de détecter d'éventuelles évolutions inexpliquées du patrimoine.

Tout cela est fort intéressant, sur le papier. Mais les seuls magistrats de l'ordre judiciaire représentent déjà plus de 8 000 personnes, soit 8000 déclarations de patrimoine, renouvelées fréquemment au fil des avancements et des mutations. La HATVP est composée d'un collège de huit membres et d'une trentaine d'agents. Autant dire que l'afflux des déclarations risque de noyer une institution qui n'a pas été conçue pour analyser une telle masse de données. Devant une telle situation, le législateur a le choix entre deux solutions. La première, et la plus souhaitable, serait de muscler la HATVP, en accroissant de manière substantielle ses moyens, afin de répondre à cet afflux. La seconde, et la plus probable, est qu'il renoncera à imposer la déclaration de patrimoine aux magistrats, les plus élevés comme les moins élevés. La déclaration de patrimoine serait ainsi victime d'un assassinat par enthousiasme. En la généralisant, on la tue. Il sera intéressant de voir quelle sera la voie choisie par le législateur. Les paris sont ouverts.

1 commentaire:

  1. Cette affaire, aussi sérieuse soit-elle sur le plan du strict droit positif (que vous analysez de façon remarquable), constitue le miroir parfait du mal français dans ses multiples dérives.

    1. Une Dérive sociétale

    La France étouffe sous la chape de plomb de l'inflation normative (lois cataplasmes) ; de la déontologie à tout va et à géométrie variable ("Une morale pour les aigles, une morale pour les autres" pour reprendre le titre de l'excellent ouvrage de l'ex-procureur Eric de Montgolfier); une crise de l'institution judiciaire et, plus généralement, une crise sociétale de grande ampleur.

    2. Une dérive institutionnelle

    Comment parler d'un authentique état de droit dans un pays où la loi que vous évoquez qualifie les hauts fonctionnaires de la plus haute juridiction administrative de "membres du Conseil d'Etat" (ils ne seraient donc pas de véritables magistrats mais jugeraient tout de même, y compris sur des questions touchant à nos libertés fondamentales !) ? Comment, de la même façon, se satisfaire d'une institution judiciaire dont la CEDH a condamné, à deux reprises en 2010 de manière vigoureuse la France, motif pris que tous les membres du parquet ne pouvaient être qualifiées de "juges indépendants et impartiaux" au sens de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'Homme (il s'agirait d'une sorte de magistrature rampante devant l'exécutif au titre de la séparation des pouvoirs) ?

    3. Une dérive humaine

    Après avoir exclu les oeuvres d'art du calcul de l'ISF, c'est au tour des membres du Conseil constitutionnel - censés en théorie du moins être exemplaires et irréprochables - de s'exonérer de la corvée de la déclaration du patrimoine. Hasard ou calcul, on retrouve toujours le même personnage à la manoeuvre, Laurent Fabius, le porte-parole de la République exemplaire.

    Toutes ces dérives, qui expliquent en grande partie la grave crise morale que traverse la démocratie française, en sapent les fondements. En définitive, cette affaire qui a agité le microcosme parisien l'espace d'un matin, n'est que tempête dans un dé à coudre... sauf si elle débouchait sur une réforme de fond de toute l'architecture institutionnelle française. Mais, il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages.

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