Le Monde a
publié dans son édition du jeudi 9 juin 2016 une opinion des professeurs
Jean-Noël Luc, de Paris-Sorbonne, et
Serge Sur, de Panthéon-Assas, au sujet de la réforme du doctorat par un arrêté
du 25 mai 2016.
Liberté, libertés chéries reproduit ici de larges extraits du texte original, avec
renvoi pour l’intégralité au site internet du Monde….
Le doctorat
pour les nuls
Voulez-vous devenir
docteur ? Foin de la thèse ! La réforme du 25 mai 2016 vous évite des
travaux surannés. Fini les recherches approfondies, les méditations prolongées,
l’effort de rédaction soignée d’un ouvrage qui atteste la qualité de votre
formation. Qu’a la société à faire de votre savoir, l’université de votre
talent, la connaissance de votre apport ? Il vous suffira bientôt, à côté
d’un mémoire hâtif, d’un « portfolio » exaltant vos « activités »,
comme la validation de « modules professionnalisants », dont le
terme, mais pas l’idée, a été retiré de l’arrêté. Vous ne possédiez pas de
master, gage d’une initiation à la recherche ? Peu importe. Le tampon
« VAE » (validation des acquis de l’expérience) vous a ouvert
l’inscription en doctorat par dérogation. Autre tampon – « docteur »
– en fin du cursus, et l’affaire est bouclée ! Vive les réseaux, les
copinages, les influences, qui couronneront votre habileté conviviale.
Voilà un texte qui
s’applique à merveille à des élus, des énarques, sans parler de syndicalistes professionnels.
Bienheureux hasard ! Aujourd’hui tous avocats, demain tous docteurs – ou
plutôt pseudo-docteurs. Seuls les besogneux, amis de l’effort intellectuel et
des vastes corpus documentaires de première main continueront à préparer de
véritables thèses. Or d’une thèse, on ne sort pas comme y on est entré. Elle
comporte une valeur intellectuelle ajoutée, elle apprend à rechercher, à
construire, à rédiger, elle est un capital pour la vie entière, fruit d’une
concentration exigeante et austère dont tous tirent le bénéfice, enseignants,
chercheurs ou actifs d’autres professions.
Et le directeur de
thèse ? Voilà l’ennemi ! N’est-il pas, et le texte le dit bien, un
harceleur en puissance, qu’il faut contrôler ? En tout directeur de thèse,
un DSK sommeille. Un « comité de suivi individuel du doctorant » le
tiendra à l’œil. De même, ne participera-t-il plus à la délibération du jury de
soutenance. Sa connaissance du sujet, du candidat, de la thèse, n’est elle pas
dangereuse pour l’évaluation ? Ne risquerait-il pas d’influencer ses
collègues, incapables de se faire une opinion ? La délibération elle-même
est-elle utile ? Comme on supprime les mentions pour les remplacer par un
simple « admis-refusé », il suffira là encore d’un tampon. Et l’on
voit mal comment une thèse admise à soutenance pourrait être refusée.
Deux mandarins fâchés.
Chine. Paire de figurines en or représentant des signes du zodiaque.
Dynastie Song (Xè-XIIIè s.)
Lire la suite sur : http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/06/08/reforme-du-doctorat-en-route-vers-la-mediocrite-generalisee_4942163_3232.html
Initiative tout à fait louable que cette reprise de la tribune publiée dans le Monde par Jean-Noël Luc et Serge Sur. Une piqûre de rappel est toujours utile si ce n'est indispensable pour stigmatiser cette énième réforme de l'université qui donne froid dans le dos à tous les "docteurs" et autres adeptes de la connaissance. Horresco referens !
RépondreSupprimerCette réforme du doctorat est malheureusement révélatrice - a minima - de quatre dérives de notre société.
1.L'enterrement sans fleurs ni couronnes du système de la méritocratie à la française au profit d'un système de courtisanerie et de copinage des plus abjects. La promotion Voltaire de l'ENA en constitue l'exemple le plus significatif, d'autant plus regrettable qu'il vient du plus haut sommet de l'Etat. Le recours à cette pratique est bien loin de la République exemplaire.
2. L'abandon masqué de la sélection - mot devenu aussi grossier qu'incongru de nos jours - comme en témoignent les débats dont la presse se fait régulièrement l'écho. Pauvres étudiants, pauvres chérubins, pauvres angelots qui ne supportent plus d'être notés, appréciés, classés par ordre de mérite. Heureusement, nous ne sommes pas encore dans le monde des bisounours. Ce sont leurs employeurs potentiels (administration grâce à des concours de plus en plus sélectifs ou entreprise avec des critères particulièrement drastiques) qui s'en chargeront sans le moindre état d'âme.
3. La déresponsabilisation rampante des étudiants. Qu'advient-il, si par un malheureux hasard, ils obtiennent une mauvaise note, une mauvaise appréciation, une réprimande bien méritée ? La faute (nous sommes déjà dans le présomption de culpabilité) en revient automatiquement à l'enseignant. Au mieux, il est incompétent, au pire il est un harceleur, moral, sexuel, voire les deux. Comment pourrait-il en aller autrement dans notre société manichéenne ?
4. La tyrannie de la complaisance (pour ne pas dire de la médiocrité) se substitue lentement mais sûrement à l'impératif d'exigence. Fini le respect de l'orthographe, des règles de grammaire et de la syntaxe ! Au diable, l'apprentissage continu des connaissances littéraire, historique, juridique ! En un mot, l'inculture tient le haut du pavé, reléguant la culture au musée d'un passé révolu et honni. A quoi bon étudier alors qu'on trouve tout sur Google en accès libre sur son smartphone, sa tablette, son ordinateur portable... sauf le jour de l'examen ?
Quand la règle n'est plus appliquée à la lettre, elle se vide de sens, l'arbitraire n'est plus très loin.