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dimanche 6 mars 2016

Le rapport Rogemont et la nomination des présidents de l'audiovisuel public

Le rapport d'information présenté à l'Assemblée nationale, le 21 janvier 2016, par Marcel Rogemont (député PS - Ille et Vilaine) est passé largement inaperçu. On peut le regretter car il porte sur l'application, par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), de la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public. Il dresse donc le premier bilan de cette loi récente. Il le dresse sans complaisance, même si les propositions de changement demeurent très modestes. 

La loi du 15 novembre 2013 avait pour objet, on s'en souvient, de mettre fin à l'invraisemblable dispositif de la loi du 5 mars 2009 qui donnait  au Président de la République le pouvoir de nomination des présidents de France Télévision, Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France. La loi du 15 novembre 2013 rend au CSA la compétence de désignation de ces présidents. Le rapport examine donc la situation depuis novembre 2013. Son champ est très large et il étudie l'ensemble du fonctionnement du CSA. Le plus important demeure cependant l'analyse qui est faite de la procédure de nomination des présidents de l'audiovisuel public.

Le rapporteur examine avec soin les deux nominations intervenues depuis novembre 2013, celle de Mathieu Gallet désigné à l'unanimité des membres du CSA à la Présidence de Radio France en février 2014, et celle de Delphine Ernotte nommée en avril 2015 à la tête de France Télévisions. Force est de constater que les deux procédures révèlent des dysfonctionnements réels.

Le législateur de 2013 a prévu, et c'est une innovation par rapport au système antérieur à 2009, que les candidatures seraient désormais évaluées par le CSA sur la base d'un projet stratégique développé par les candidats. Au moment du débat parlementaire, il avait d'abord été question d'un contrat d'objectifs et de moyens, formulation remplacée par celle de projet stratégique par un amendement de la ministre de la culture de l'époque, Aurélie Filipetti. Le problème est que le candidat ne bénéficie d'aucune lettre de mission, d'aucun contact avec l'autorité de tutelle, pour élaborer ce projet stratégique. Ce dernier demeure donc un pur exercice de style, totalement abstrait et détaché de la réalité de l'entreprise. 


Mathieu Gallet 



Non sans malice, le rapporteur rappelle ainsi que le projet de Mathieu Gallet a suscité l'enthousiasme du CSA qui a affirmé qu'il était "porté par une vision claire de la gouvernance de l'entreprise, de la politique de ressources humaines et du dialogue social". En mars 2015, un an après la désignation de son Président, Radio France a pourtant été touché par la plus longue grève de son histoire, grève qui a duré presque un mois. Le dialogue social sur le terrain n'était peut-être pas aussi parfait que dans le projet stratégique. 

Le rapporteur reconnaît néanmoins qu'au moment où il le rédigeait, Mathieu Gallet ignorait tout des difficultés financières de l'entreprise. Il reconnaît aussi que la ministre de la culture de l'époque, autorité de tutelle de Radio France, n'avait défini aucun cadre à ce projet, déclarant tout simplement faire confiance au CSA. Pour résumer le rapport, on peut dire que la désignation de M. Gallet est le résultat de l'ignorance du candidat, de l'indifférence du ministre, et de la légèreté du CSA.


Candidat élaborant son projet stratégique
Raymond Savignac. Affiche publicitaire Océanic. 1959 

Delphine Ernotte


L'analyse de la nomination de Delphine Ernotte est sans doute encore plus accablante, dès lors que les principaux acteurs entendaient tirer les leçons de cette malheureuse première expérience. D'une part, le CSA a demandé un bilan quadriennal des résultats de France Télévisions pour exercer son pouvoir de nomination en pleine connaissance de la situation de l'entreprise. D'autre part, l'autorité de tutelle a présenté une feuille de route définissant ses objectifs à l'horizon 2020.

Mais cette fois c'est la confidentialité de la procédure qui a été violemment critiquée. On se souvient que le CSA a choisi de ne pas divulguer le nom des candidats auditionnés, dans le but avoué de ne pas décourager les candidatures de personnalités exerçant déjà des fonctions dans une entreprise publique ou privée. Le problème est que cette confidentialité a entrainé des soupçons d'irrégularités, de pressions diverses, voire tout simplement de partialité. Ces soupçons étaient d'autant plus forts que les auditions ont eu lieu à huis clos et que les projets stratégiques n'ont pas été publiés.

Le résultat de cette procédure est qu'elle a suscité un certain nombre d'actions contentieuses. Le recours déposé par plusieurs syndicats contre le décret de nomination de Delphine Enrotte s'appuyait surtout sur le manque d'impartialité du CSA. Il a été rejeté par le Conseil d'Etat le 3 février 2016. La Haute Juridiction se borne à affirmer que le principe d'impartialité n'est pas violé, dès lors que le dossier ne laisse pas apparaître que le Président du CSA ou l'un de ses membres ait pris position en faveur ou en défaveur de l'un des candidats. Cette analyse très courte du principe d'impartialité tiendrait-elle devant celle plus exigeante développée par le Cour européenne des droits de l'homme ? On peut, à tout le moins en douter, dès lors que la juridiction européenne exige que l'instance et la procédure suivie aient l'apparence de l'impartialité. Le moins que l'on puisse dire est qu'une procédure secrète et opaque ne donne pas l'apparence de l'impartialité.

D'autres actions, de caractère pénal cette fois, ont été engagées par des syndicats pour abus d'autorité et trafic d'influence. Même si elles ont peu de chances d'aboutir, leur existence même contribue à semer le doute sur la rigueur des procédures suivies par le CSA.

Le rapport Rogemont s'efforce de trouver des solutions pour rétablir une procédure satisfaisante. Il écarte la proposition extrême formulée par certains, qui consisterait à retirer au CSA la compétence de nomination pour ne lui laisser que celle de la régulation du secteur. En effet, cela reviendrait à rendre au pouvoir politique la compétence de nomination et à rattacher l'audiovisuel public à l'Exécutif. Ce serait donc un retour à la pratique sarkozyste mise en oeuvre dans la loi de 2009. 

Le rapporteur suggère donc des modifications moins radicales et il évoque des "ajustements". Le premier consiste à se recentrer sur les compétences du candidat, en écartant la notion de projet stratégique, projet qui ne peut être élaboré sérieusement par un candidat qui ne bénéficie pas de l'ensemble des données relatives à l'entreprise. C'est si vrai qu'après les nominations intervenues, le CSA, la tutelle et l'entreprise elle-même ne se réfèrent plus à ce projet, considéré comme un "exercice hors sol" dont il est d'ailleurs difficile de savoir s'il n'a pas été élaboré par un consultant extérieur. Quant à la confidentialité de la procédure, le rapporteur la qualifie de "mal nécessaire", dans l'intérêt du service public, afin de permettre aux profils les plus variés de se porter candidats. Sur ce point, la lecture du rapport laisse une impression étrange. Après un constat extrêmement sévère, le rapport se limite à prendre acte de la situation et à proposer quelques ajustements à la marge. Une telle modestie dans les propositions suscite d'autres soupçons... Pourrait-on imaginer que le rapport parlementaire ménage un président du CSA qui serait un ami politique ?





1 commentaire:

  1. "Les républiques démocratiques mettent l'esprit de cour à la portée du plus grand nombre et le font pénétrer dans toutes les classes à la fois. C'est un des principaux reproches qu'on peut leur faire". Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1835-1840).

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