Le 10 mars 2016, a été votée en première lecture par l'Assemblée nationale la proposition de loi déposée par Alain Tourret et Georges Fenech réformant la prescription en matière pénale. Les médias ne s'intéressent pas, ou peu, à un texte considéré comme un toilettage de la procédure pénale. Ils se trompent, car des règles les procédures élaborées avec soin sont souvent plus efficaces pour protéger les libertés que des proclamations incantatoires.
Dès 2007, un rapport d'information réalisé par les sénateurs Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung appelait de ses voeux un droit de la prescription "moderne et cohérent". Il formulait dix-sept propositions concrètes tant en matière civile qu'en matière pénale. La loi du 17 juin 2008 est intervenue ensuite pour réformer la prescription en matière civile, mais le chantier n'a jamais été réellement ouvert en matière pénale. C'est maintenant chose faite avec la présente proposition de loi. Elle ne comporte que trois articles, qui viennent clarifier un système juridique qui avait grand besoin d'une intervention législative
L'apparence de la simplicité
Certes, tous les étudiants en droit savent que la prescription de l'action publique est de un an, trois ans et dix ans pour les contraventions, les délits et les crimes (articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale). Quant à la prescription des peines, elle est respectivement de trois ans, cinq ans et vingt ans (articles 133-2, 133-3 et 133-4 code de procédure pénale). En principe, le point de départ du délai de prescription est le jour de l'infraction pour l'action publique et la décision de condamnation définitive pour la peine.
Ces règles n'ont que l'apparence de la simplicité. Elles ont été bouleversées au fil des ans par des interventions législatives et jurisprudentielles qui ont fait du droit de la prescription un ensemble normatif complexe et peu lisible.
La loi est intervenue, à de multiples reprises, pour établir des régimes dérogatoires. Il s'agit, le plus souvent, d'allonger les délais de prescription de l'action publique. C'est ainsi que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, que le délai est allongé à trente ans en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants. S'il demeure fixé à vingt ans pour les infractions commises sur les mineurs, il ne commence à courir qu'à partir de la majorité de la victime. Celle-ci peut donc porter plainte jusqu'à son trente-huitième anniversaire. A l'inverse, les délits de presse figurant dans la loi du 29 juillet 1881 bénéficient d'un délai de prescription abrégé, soit trois mois à compter de la publication, délai porté à un an pour les infractions liées à la discrimination.
De leur côté, les juges n'ont pas contribué à simplifier le régime juridique de la prescription. S'agissant des infractions dissimulées par leurs auteurs, ils ont repoussé le point de départ du délai au jour où les faits délictueux ont été constatés. De même, ils ont adopté une jurisprudence de plus en plus souple sur les actes susceptibles d'interrompre le délai de prescription. Dans un arrêt du 7 novembre 2014 l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a ainsi admis la suspension du délai en matière d'infanticide lorsqu'un "obstacle insurmontable" rend les poursuites impossibles. Tel est le cas lorsque les grossesses d'une femme ont été masquées par son obésité, qu'elle n'ont pas été déclarées et que ses accouchements ont eu lieu dans la clandestinité. Le point de départ du délai de prescription a donc été repoussé au jour de la découverte, dans son congélateur, des cadavres des nouveaux-nés.
La loi est intervenue, à de multiples reprises, pour établir des régimes dérogatoires. Il s'agit, le plus souvent, d'allonger les délais de prescription de l'action publique. C'est ainsi que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, que le délai est allongé à trente ans en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants. S'il demeure fixé à vingt ans pour les infractions commises sur les mineurs, il ne commence à courir qu'à partir de la majorité de la victime. Celle-ci peut donc porter plainte jusqu'à son trente-huitième anniversaire. A l'inverse, les délits de presse figurant dans la loi du 29 juillet 1881 bénéficient d'un délai de prescription abrégé, soit trois mois à compter de la publication, délai porté à un an pour les infractions liées à la discrimination.
De leur côté, les juges n'ont pas contribué à simplifier le régime juridique de la prescription. S'agissant des infractions dissimulées par leurs auteurs, ils ont repoussé le point de départ du délai au jour où les faits délictueux ont été constatés. De même, ils ont adopté une jurisprudence de plus en plus souple sur les actes susceptibles d'interrompre le délai de prescription. Dans un arrêt du 7 novembre 2014 l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a ainsi admis la suspension du délai en matière d'infanticide lorsqu'un "obstacle insurmontable" rend les poursuites impossibles. Tel est le cas lorsque les grossesses d'une femme ont été masquées par son obésité, qu'elle n'ont pas été déclarées et que ses accouchements ont eu lieu dans la clandestinité. Le point de départ du délai de prescription a donc été repoussé au jour de la découverte, dans son congélateur, des cadavres des nouveaux-nés.
Toutes ces évolutions répondent à des finalités incontestables. Ne s'agit-il pas d'empêcher que des infraction graves demeurent impunies ? Il n'empêche que le résultat global est une certain confusion, d'autant que les critères développés par les juges ne sont pas toujours d'une grande limpidité.
La proposition de loi Tourret vise à clarifier le droit, d'une part en renforçant les droits des parties civiles par un allongement, au moins partiel, des délais de prescription, d'autre part en donnant des définitions claires des notions utilisées pour fixer le point de départ du délai ou sa suspension.
Maarten Baas. Horloge du Rijksmuseum. Amsterdam
Allongement de certains délais
Le texte prévoit l'allongement de dix à vingt ans du délai de prescription de l'action publique en matière criminelle, et de trois à six ans en matière délictuelle. Dans une volonté de clarté, le législateur procède à l'alignement du délai de prescription des peines, ce qui conduit à allonger de cinq à six ans celui visant les délits.
En matière criminelle, ce doublement de la durée de prescription de l'action publique vise à offrir aux parties civiles l'assurance que la recherche du coupable sera poursuivie aussi longtemps qu'il est nécessaire. Il tient compte surtout des progrès considérables de la preuve scientifique. C'est ainsi que des traces ADN qui n'étaient pas exploitables au moment des faits peuvent le devenir vingt ans après.
D'une manière générale, la loi ne touche pas aux délais dérogatoires, si ce n'est qu'ils figurent désormais clairement dans le texte et ne sont donc plus disséminés entre le code pénal et le code de procédure pénale. Dans une préoccupation d'égalité, le texte original de la proposition affirmait l'imprescriptibilité des crimes de guerre, au même titre que les crimes contre l'humanité. Le Conseil d'Etat, sollicité pour avis, a estimé que l'imprescriptibilité devait rester exceptionnelle, d'autant que tous les crimes de guerre ne présentent pas le même caractère de gravité. Le texte voté en première lecture est donc d'une portée plus modeste : seuls sont imprescriptibles les crimes de guerre connexes à un ou plusieurs crimes contre l'humanité.
Sécurité juridique
La proposition de loi renforce la sécurité juridique en précisant clairement le point de départ du délai de prescription, pour chaque infraction ou catégorie d'infractions.
Elle donne d'abord une définition claire des infractions "occultes ou dissimulées" pour lesquelles le délai de prescription commence à la date de leur constatation. Un nouvel article 9 al 2 du code de procédure pénale définit l'infraction occulte comme celle qui "en raison
de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime, ni
de l’autorité judiciaire". Quant à l'infraction dissimulée, c'est celle "dont
l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en
empêcher la découverte". Ces définitions sont celles données par la Cour de cassation et elles auront désormais un incontestable fondement législatif.
De la même manière, la proposition précise les conditions d'interruption de la prescription. Une telle démarche est fort utile, et on se souvient que les juges ont parfois été contraints de prendre des décisions quelque peu tirées par les cheveux pour éviter l'extinction de l'action publique. Dans la célèbre affaire des disparues de l'Yonne, ils ont ainsi considéré qu'un "soit transmis" du parquet adressé à la DDASS avait interrompu la prescription. Or, il s'agissait d'un acte administratif et non pas judiciaire. Cette approximation a tout de même permis, in fine, le procès et la condamnation d'Emile Louis.
Tenant compte de cette situation, la proposition de loi adopte une définition large de ces conditions d'interruption. Est ainsi susceptible d'interrompre la prescription "tout acte d'enquête, d'instruction ou de poursuite tendant effectivement
à la constatation des infractions ou à la recherche, à la poursuite ou
au jugement de leurs auteurs". Ils peuvent émaner des autorités judiciaires et notamment du juge d'instruction mais aussi des parties civiles. Si ces dernières sont suffisamment actives, elles peuvent donc relativement facilement interrompre la prescription.
Dans l'arrêt du 7 novembre 2014, les cadavres des enfants n'ont pas été découverts dans le congélateur, mais dans des sacs poubelles, dans le jardin des parents de la condamnée...
RépondreSupprimerDe plus, l'Assemblée plénière n'a pas décidé que le point de départ du délai de prescription avait été repoussé au jour de la découverte des corps, mais a explicitement dit que le délai courrait dès la consommation de l'infraction, tout en étant suspendu jusqu'à la découverte des cadavres.
La différence pratique est inexistante, mais la différence juridique est de taille (elle permet d'ailleurs de ne pas "contredire" l'arrêt de la Chambre criminelle rendu dans cette même affaire avant résistance des juges du fond).