Pendant que le débat sur la révision constitutionnelle et la déchéance de nationale occupe les médias, le projet de loi "Police et sécurité : lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement" est discuté à petit bruit devant la Commission des lois de l'Assemblée nationale.
Si l'on en croit le compte effectué par le site Vie Publique, le texte actuellement débattu est la vingt-sixième loi anti-terroriste depuis celle du 9 septembre 1986. Déjà, celle-ci adaptait le droit pénal en prévoyant des peines plus lourdes lorsque l'infraction était liée au terrorisme ainsi que la création d'un corps spécialisé de juges d'instruction et de procureurs. Déjà, elle prévoyait des procédures spécifiques avec un allongement de la garde à vue et un accroissement des règles gouvernant les perquisitions. Trente ans plus tard, les préoccupations du législateur sont identiques.
Après l'état d'urgence
Le texte actuellement débattu est néanmoins plus ambitieux, car il porte à la fois sur le droit pénal et la procédure pénale, mais aussi sur les compétences de l'administration préfectorale et des forces de police. Sans prétendre à l'exhaustivité, car les innovations introduites dans notre système juridique sont fort nombreuses, on peut dégager un certain nombre de principes qui constituent le socle de ce projet.
Observons d'emblée que les conséquences de ce texte sur les libertés seront beaucoup plus importantes que celles induites par l'état d'urgence. D'une part, il crée des dispositions pérennes, dispositions qui succéderont à l'état d'urgence lorsque celui-ci sera levé. D'autre part, il englobe dans une même approche la répression et la prévention, alors que l'état d'urgence n'avait qu'une finalité préventive.
Aspects répressifs et rôle du procureur
L'aspect répressif apparaît d'abord dans des dispositions relativement classiques visant à rendre plus efficace la lutte contre le financement du terrorisme. C'est ainsi qu'une infraction particulière est créée pour sanctionner la vente de biens culturels en provenance des zones contrôlées par des mouvements terroristes. De même, les compétences de Tracfin sont élargies avec la possibilité de prévenir les établissements bancaires sur certains de leurs clients présentant "des risques élevés", afin qu'ils mettent en oeuvre des "mesures de vigilance renforcées". Le dispositif juridique de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme est ainsi approfondi. Il en est de même de la lutte contre les trafics d'armes et la cybercriminalité.
Le projet de loi s'efforce aussi de renforcer l'efficacité de la procédure judiciaire. Il s'agit d'abord d'assurer une meilleure protection des témoins en matière de terrorisme et de criminalité organisée. Ils pourront témoigner à huis-clos, voire "sous X", lorsque leur sécurité est particulièrement menacée. Un nouvel article 706-62-2 du code de procédure pénale devrait permettre d'offrir à ces personnes une nouvelle identité ainsi que le bénéfice de mesures de protection et de réinsertion. On ne peut qu'approuver ces dispositions qui devraient, du moins on l'espère, assurer la sécurité de ceux qui ont le courage de dénoncer des terroristes. On songe en particulier à cette jeune femme qui a dénoncé Abdelhamid Abaaoud et qui a été contrainte d'alerter les médias sur les dangers de sa situation.
Sur le plan de la procédure, le projet envisage un élargissement de la possibilité de recourir aux perquisitions de nuit, dans le cadre du terrorisme et de la criminalité organisée. Elles pourront être décidées, soit à l'initiative du juge d'instruction, soit à celle du procureur au stade de l'enquête préliminaire. L'évolution est, sur ce point, très sensible. Dans l'état actuel du droit en effet, les perquisitions de nuit dans les locaux d'habitation ne sont possibles qu'au stade de l'instruction, dans des cas limités, par exemple en cas de risque immédiat de disparition de preuve ou en cas de crime ou de délit flagrant. En revanche, au stade de l'enquête préliminaire, les perquisitions de nuit ne sont autorisées que dans des locaux qui ne sont pas des locaux d'habitation, après décision du juge des libertés et de la détention (JLD) saisi par le procureur.
De la même manière, les instruments d'interception des données comme l'IMSI Catcher, les outils de repérage ou de sonorisation peuvent désormais être utilisés au stade de l'instruction ou dès l'enquête préliminaire. Il s'agit en fait de donner au pouvoir judiciaire des instruments identiques à ceux dont disposent déjà les services de renseignement depuis la loi du 24 juillet 2015. Là encore, c'est le procureur qui est compétent pour autoriser l'emploi de ces technologies au stade de l'enquête préliminaire.
S'il est vrai que le juge d'instruction bénéficie de nouvelles prérogatives, on doit noter un net renforcement du rôle du procureur au stade de l'enquête. Ce choix va résolument à l'encontre de l'évolution récente qui conduisait plutôt à écarter le procureur au profit du JLD, mouvement visant à limiter les risques de censure de la Cour européenne des droits de l'homme. Aux yeux de cette dernière en effet, les liens existant entre les magistrats du parquet et l'exécutif interdisent de les considérer comme des magistrats indépendants.
Les aspects répressifs du projet de loi ne doivent pas cacher ses aspects préventifs, beaucoup plus importants, et dont la finalité est d'accroître les prérogatives des forces de police.
Les aspects répressifs du projet de loi ne doivent pas cacher ses aspects préventifs, beaucoup plus importants, et dont la finalité est d'accroître les prérogatives des forces de police.
Facette préventive : contrôle d'identité et rétention
Les pouvoirs des forces de police se voient offrir la possibilité de fouiller les bagages, y compris dans les véhicules, sur simple autorisation du procureur. Il s'agit de mettre fin aux effets d'une ancienne jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 15 octobre 1984, avait assimilé la fouille d'un portefeuille à une perquisition. La fouille d'un bagage, comme celle d'un portefeuille, ne pouvait donc intervenir qu'à l'occasion d'une enquête préliminaire ou de flagrance, ou encore durant une instruction judiciaire.
Elle peut désormais se produire lors des contrôles d'identité, contrôles qui sont eux-mêmes élargis. Ils peuvent en effet s'accompagner d'une retenue administrative qui ne doit pas dépasser quatre heures. Elle ne doit pas être confondue avec la vérification d'identité qui a la même durée et qui concerne des personnes qui ne sont pas en mesure de prouver immédiatement leur identité. Dans l'actuel projet de loi, la retenue concerne des personnes qui ont une pièce d'identité mais dont les forces de police veulent vérifier la situation administrative. Ils vont donc utiliser cette période pour consulter le Fichier des personnes recherchées et, le cas échéant, pour demander aux services de renseignement s'ils disposent d'informations justifiant une enquête.
La question de la retenue administrative va, de toute évidence, susciter de nouveaux débats.
Le premier réside dans le fait que, par hypothèse, elle ne donne pas lieu à autorisation du juge judiciaire. Or, l'article 66 de la Constitution garantit le principe de sûreté en ces termes : "Nul ne peut être arbitrairement détenu". Il ajoute immédiatement que l'autorité judiciaire "assure le respect de ce principe". La jurisprudence du Conseil constitutionnel interprète cependant l'article 66 avec une grande souplesse. Dans une décision QPC du 8 juin 2012 Mickaël D., le Conseil constitutionnel a ainsi admis la rétention en cellule de dégrisement en cas d'ivresse publique.
Le second sujet de débat se trouve dans les motifs de cette retenue administrative, qui visera des personnes "dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’elles représentent une menace pour la sûreté de l’Etat ou qu’elles sont en relation directe et non fortuite avec de telles personnes". Il appartiendra au juge de vérifier que ces "raisons sérieuses" ne conduiront pas à rétablir les contrôles au faciès, sanctionnés par la Cour d'appel de Paris le 24 juin 2015.
Chacal. Fred Zinnemann 1973. Edward Fox. |
La question de la retenue administrative va, de toute évidence, susciter de nouveaux débats.
Le premier réside dans le fait que, par hypothèse, elle ne donne pas lieu à autorisation du juge judiciaire. Or, l'article 66 de la Constitution garantit le principe de sûreté en ces termes : "Nul ne peut être arbitrairement détenu". Il ajoute immédiatement que l'autorité judiciaire "assure le respect de ce principe". La jurisprudence du Conseil constitutionnel interprète cependant l'article 66 avec une grande souplesse. Dans une décision QPC du 8 juin 2012 Mickaël D., le Conseil constitutionnel a ainsi admis la rétention en cellule de dégrisement en cas d'ivresse publique.
Le second sujet de débat se trouve dans les motifs de cette retenue administrative, qui visera des personnes "dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’elles représentent une menace pour la sûreté de l’Etat ou qu’elles sont en relation directe et non fortuite avec de telles personnes". Il appartiendra au juge de vérifier que ces "raisons sérieuses" ne conduiront pas à rétablir les contrôles au faciès, sanctionnés par la Cour d'appel de Paris le 24 juin 2015.
Usage des armes et état de nécessité
Enfin, dernier point qui doit être envisagé, celui de l'usage des armes par les forces de police. Observons que le texte ne donne pas une satisfaction pleine et entière au syndicat de police Alliance qui réclamait la reconnaissance juridique d'une "présomption de légitime défense". Le projet élargit certes la possibilité de recours aux armes, dans la mesure où la notion de légitime défense est peu adaptée à l'hypothèse dans laquelle le policier se trouve confronté à un tueur de masse ou à des terroristes qui déambulent dans la rue sans menacer personne, jusqu'au moment où ils sortent leur arme pour tuer l'ensemble des consommateurs installés à une terrasse. Cette extension se traduit par le maintien de la condition de légitime défense, assortie d'une exception reposant sur l'état de nécessité. Cela signifie que le policier pourra faire usage de son arme, même s'il n'est pas directement menacé, lorsque, par exemple, il s'agira de neutraliser un individu identifié comme ayant déjà commis un acte terroriste et qui se prépare à en commettre un ou plusieurs autres.
Cette mesure a pour effet d'unifier les règles d'usage des armes, dès lors que les gendarmes peuvent déjà agir dans les mêmes conditions, sur la base de l'article L 2338-3 du code de la défense. Leur statut militaire ainsi que leur participation régulière aux
opérations extérieures les conduit à dispenser une excellente formation dans le domaine particulier de l'usage des armes. Il restera à s'assurer que les policiers bénéficieront d'une formation aussi solide.
Le projet de loi "police et sécurité" comporte des dispositions qui bouleversent à la fois la police administrative et la police judiciaire. Considéré sous cet angle, il montre que les thèses sur la "réponse pénale" demeurent pleinement d'actualité. On se souvient qu'elles avaient été particulièrement développées durant le quinquennat Sarkozy par Alain Bauer et quelques pseudo-crimonologues affidés. On parlait alors de "réponse pénale" et de "chaîne pénale", formules témoignant d'un refus de dissocier l'activité judiciaire et l'activité policière, la seconde étant subordonnée à la première. On aurait pu penser que cet amalgame pernicieux serait abandonné après l'alternance, mais c'était sans doute trop demander. Les mêmes pseudo-criminologues imposent leurs thèses avec la même vigueur au gouvernement d'aujourd'hui. Même si, en soi, chacune des réformes envisagées peut être juridiquement défendue, ce lien entre les approches judiciaires et policières suffit à susciter l'inquiétude.
Le principe de la "légitime défense" déjà applicable aux policiers ne saurait se voir augmenter d'un "état de nécessité" sans en devenir redondant:
RépondreSupprimerCar L.122-5 C.pén. vise d'ores et déjà toute "atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui".
Aurait-on oublier de lire "ou autrui" ?