Le 26 février 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rendu une décision refusant de suspendre en urgence la décision d'évacuation de la zone sud de la Jungle de Calais.
Rappelons que la Jungle, puisque cette dénomination est désormais acquise, est apparue après la fermeture du centre de Sangatte, en septembre 2002. Les migrants, dont l'objectif demeure d'atteindre le territoire britannique, se sont alors installés une dizaine de kilomètres plus loin, sur le site de La Lande, à Calais. Durant l'année 2015, leur population a connu un accroissement considérable, passant d'environ 3000 à 6000 personnes. La partie nord comporte un centre d'accueil et d'hébergement, mais l'afflux des migrants a entrainé l'occupation de la partie sud, dans un habitat précaire particulièrement insalubre.
Le 19 février, la préfète du Pas de Calais a pris un arrêté décidant l'évacuation de toutes personnes et de tous biens situés dans la zone sud du camp. C'est précisément cet arrêté qui est l'objet de la demande de suspension en urgence, par un recours déposé par les migrants eux-mêmes, encadrés par neuf associations aussi bien locales que nationales. Cette suspension, conformément à l'article 521-1 du code de la justice administrative, ne peut être obtenue que si un recours en annulation a été déposé sur le fond (ce qui a probablement été fait), et si deux conditions sont réunies. La condition d'urgence est évidemment remplie, dès lors que l'arrêté préfectoral laisse aux migrants un délai d'une semaine pour quitter la zone. La condition de fond se révèle plus délicate, dès lors que les requérants doivent faire état d'un "moyen propre à créer un doute sérieux" sur la légalité de cet arrêté.
Ils n'y sont pas parvenus, sauf dans le cas très particulier du démantèlement de certains équipements collectifs. La décision du juge des référés, précédée d'une visite sur les lieux et très soigneusement motivée, ne se borne pas à rejeter le recours de manière globale. Elle envisage au contraire un certain nombre de cas particuliers avant d'écarter la demande de suspension à l'issue d'un contrôle de proportionnalité dont le moindre détail est exprimé dans le jugement.
Les mineurs isolés
Le cas particulier des 326 mineurs isolés présents sur le site est largement évoqué. On observe à ce propos que le juge reprend le chiffre donné par l'association France terre d'asile. Elle rappelle la visite du Défenseur des enfants, rattaché au Défenseur des droits, qui a déclaré le 22 février que ces enfants peuvent être pris en charge dans le centre d'accueil des familles de la zone nord. Dans cette même visite, le Défenseur des enfants déplorait le manque de visibilité des procédures existantes et demandait la création d'un dispositif immédiat de recensement de ces mineurs et de prise en charge sur le site.
Le juge des référés, quant à lui, apprécie la proportionnalité de la mesure d'évacuation des mineurs de la zone sud par rapport à l'article 3 al. 1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant, disposition qui affirme que toute décision concernant un enfant doit être prise avec comme "considération primordiale" son intérêt supérieur. Dans le cas présent, le juge des référés reprend les conclusions formulées par le Défenseur des enfants sur l'insuffisance de la prise en charge de ces mineurs isolés. Mais il ajoute, avec un certain bon sens, que leur maintien dans une zone sud particulièrement insalubre n'est pas nécessairement le meilleur moyen d'assurer une meilleure prise en charge. L'évacuation des mineurs est donc une mesure proportionnée à leur intérêt supérieur.
Le second cas particulier est celui, non plus des personnes, mais des "lieux de vie" qui, peu à peu, ont été installés. La formule est intéressante, car elle permet de ne pas évoquer le statut juridique de constructions construites par les migrants ou, le plus souvent, par des associations humanitaires. Mais pour illégales qu'elles soient, ces constructions présentent un caractère pérenne et offrent un certain nombre de services indispensables : bibliothèque, école, lieux de culte, espaces réservés aux femmes et aux mineurs, théâtre etc. Le juge des référés mentionne que lors de sa visite sur place, elle a pu constater que ces espaces sont "soigneusement aménagés et qu'ils répondent (...) à un besoin réel des exilés".
Dès lors, il apparaît que la destruction de ces "lieux de vie" est disproportionnée, dès lors que leur maintien ne porte pas atteinte à l'objectif général de sécurité publique. Le juge des référés en déduit d'autant plus volontiers l'existence d'un doute sérieux sur la légalité d'une telle destruction que la préfète du Pas-de-Calais a admis que ces équipements ne seraient pas détruits mais utilisés au profit des migrants de la zone nord. C'est le seul point sur lequel les requérants obtiennent satisfaction.
Le juge des référés, quant à lui, apprécie la proportionnalité de la mesure d'évacuation des mineurs de la zone sud par rapport à l'article 3 al. 1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant, disposition qui affirme que toute décision concernant un enfant doit être prise avec comme "considération primordiale" son intérêt supérieur. Dans le cas présent, le juge des référés reprend les conclusions formulées par le Défenseur des enfants sur l'insuffisance de la prise en charge de ces mineurs isolés. Mais il ajoute, avec un certain bon sens, que leur maintien dans une zone sud particulièrement insalubre n'est pas nécessairement le meilleur moyen d'assurer une meilleure prise en charge. L'évacuation des mineurs est donc une mesure proportionnée à leur intérêt supérieur.
Mineur isolé dans la jungle. Walt Disney. Le Livre de la Jungle. 1967. |
Le cas des "lieux de vie"
Le second cas particulier est celui, non plus des personnes, mais des "lieux de vie" qui, peu à peu, ont été installés. La formule est intéressante, car elle permet de ne pas évoquer le statut juridique de constructions construites par les migrants ou, le plus souvent, par des associations humanitaires. Mais pour illégales qu'elles soient, ces constructions présentent un caractère pérenne et offrent un certain nombre de services indispensables : bibliothèque, école, lieux de culte, espaces réservés aux femmes et aux mineurs, théâtre etc. Le juge des référés mentionne que lors de sa visite sur place, elle a pu constater que ces espaces sont "soigneusement aménagés et qu'ils répondent (...) à un besoin réel des exilés".
Dès lors, il apparaît que la destruction de ces "lieux de vie" est disproportionnée, dès lors que leur maintien ne porte pas atteinte à l'objectif général de sécurité publique. Le juge des référés en déduit d'autant plus volontiers l'existence d'un doute sérieux sur la légalité d'une telle destruction que la préfète du Pas-de-Calais a admis que ces équipements ne seraient pas détruits mais utilisés au profit des migrants de la zone nord. C'est le seul point sur lequel les requérants obtiennent satisfaction.
Contrôle de proportionnalité
Le juge exerce ensuite son contrôle de proportionnalité sur la décision d'évacuation des migrants majeurs et des familles, c'est-à-dire sur ce qui constitue l'essentiel de l'arrêté préfectoral. Sur ce point, la décision du juge des référés montre à quel point le contrôle de proportionnalité repose sur l'appréciation des faits.
Les requérants invoquent tout d'abord une atteinte aux articles 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. L'article 3 interdit les traitements inhumains et dégradants et l'article 8 garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Que l'on ne s'y trompe pas. Les requérants affirment, sérieusement, que l'évacuation des migrants d'un bidonville insalubre constitue un traitement inhumain et dégradant, ainsi qu'une atteinte à leur vie privée et familiale.
Le juge des référés leur répond que c'est plutôt leur maintien dans la Jungle qui constitue un traitement dégradant et une atteinte à la vie privée et familiale. De manière extrêmement détaillée, il décrit la situation de cette Jungle, en procédant en deux temps.
Il commence par une comparaison entre la zone sud et la zone nord. La première, seule concernée par l'arrêté d'évacuation, se caractérise par des "abris précaires". A l'exception de quelques bennes à ordures et de quelques latrines, elle ne dispose d'aucun aménagement. La seconde, la zone nord, se caractérise au contraire par une série d'aménagements, dont une structure hospitalière et un système de distribution de repas. Surtout, le juge fait observer que l'on dénombre 140 places disponibles sur les 200 que compte le centre réservé aux femmes et aux enfants ainsi que 405 autres places disponibles sur le territoire national.
Ensuite, le juge insiste sur les problèmes spécifiques de la zone sud, dans laquelle l'ordre public n'est pas assuré. C'est vrai pour les migrants eux-mêmes dont la sécurité n'est pas garantie, dès lors qu'aucun chemin n'est tracé pour permettre l'accès des véhicules de secours. C'est vrai aussi pour les riverains dont il n'est pas contesté qu'ils sont victimes de "dégradations de leurs biens". A cela s'ajoute, et il s'agit sans doute d'une discrète allusion à l'état d'urgence, qu'il est "impossible de mobiliser plus de forces de police" pour sécuriser la zone. Une manière élégante de dire qu'elles ont mieux à faire.
Compte tenu de toutes ces considérations, le juge des référés estime donc que la décision d'évacuation est proportionnée aux objectifs d'ordre public poursuivis.
Une bataille juridique perdue n'est qu'un élément dans un combat médiatique beaucoup plus large. Les requérants ont déjà annoncé un recours en cassation, qui leur est ouvert dans un délai de quinze jour. Les chances de succès seront modestes, car le juge des référés a rendu une décision qui n'offre que peu
de prise à la critique juridique. Il ne fait aucun doute que son déplacement sur place et la motivation extrêmement élaborée de la décision sont autant d'éléments destinés à verrouiller la décision, le recours en cassation étant évidemment prévisible. Il reste donc à attendre la décision du Conseil d'Etat.