La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 8 janvier 2016 était très attendue. Elle porte en effet sur la conformité à la Constitution du délit de contestation de l'existence de certains crimes contre l'humanité. Cette infraction a été introduite dans notre système juridique par la célèbre loi Gayssot du 13 juillet 1990 et figure aujourd'hui dans l'article 24 bis de la loi sur la presse du 29 juillet 1881. A l'époque, la loi Gayssot n'avait pas été déférée au Conseil constitutionnel.
Vincent R., a été condamné à un an de prison ferme pour avoir fait circuler sur internet une vidéo mettant en cause l'existence des chambres à gaz durant la seconde guerre mondiale. Déjà condamné pour des faits similaires en 2007, à une époque où la QPC n'existait pas, il saisit aujourd'hui le Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l'occasion de son pourvoi cassation. Il n'obtient pas satisfaction et le Conseil constitutionnel lève ainsi les doutes sur la constitutionnalité de ces dispositions.
La Cour de cassation avait estimé, dans sa décision de renvoi du 6 octobre 2015, que la question posée par le requérant présentait "un caractère sérieux". Encore faut-il distinguer clairement les différents moyens invoqués.
La liberté d'expression
Le moyen reposant sur la violation de la liberté d'expression garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 peut sembler puissant. Le droit français considère pourtant que la liberté d'expression peut faire l'objet de restrictions. L'article 24 bis de la loi de 1881 punit ainsi la contestation de l'existence de certains crimes contre l'humanité, considérée comme un abus de la liberté d'expression.
Quant au Conseil constitutionnel, il affirme dans sa décision du 10 juin 2009 que "la liberté d'expression et de
communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une
condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des
autres droits et libertés", mais c'est pour ajouter immédiatement "que les atteintes
portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées
et proportionnées à l'objectif
poursuivi.". Autrement dit, le législateur peut porter atteinte à la liberté d'expression, et il appartient au Conseil constitutionnel d'apprécier que cette atteinte est proportionnée à l'objectif poursuivi.
Dès sa décision du 13 mars 2003, le Conseil avait admis l'introduction dans le droit positif d'une infraction nouvelle d'outrage au drapeau tricolore ou à l'hymne national, la liberté d'expression cédant alors devant des considérations d'ordre public. Dans sa décision du 28 février 2012, le Conseil se prononce ensuite sur la loi réprimant la contestation de l'existence de crimes de génocide "reconnus comme tels par la loi française" et il déclare cette formulation inconstitutionnelle. Dans ce cas, le législateur avait, en quelque sorte, tout organisé lui-même. Il avait commencé par reconnaître le génocide arménien, avant, dans un second texte, de punir sa contestation. Pour le juge constitutionnel, une loi ayant pour unique objet de "reconnaître" un génocide est
dépourvue de contenu normatif, ce qui entraine, en quelque sorte par
ricochet, l'inconstitutionnalité des dispositions sanctionnant ensuite sa
contestation. Il n'est pas donc contesté que la négation d'un génocide puisse constituer un abus de la liberté d'expression, dès lors que la reconnaissance de ce génocide n'est pas le seul fait du législateur française.
Il n'est donc pas étonnant que le Conseil, dans sa décision du 8 janvier 2016, estime finalement que la contestation de crime contre l'humanité s'analyse comme un autre cas d'abus de la liberté d'expression. On observe d'ailleurs, sur ce point, une proximité entre sa jurisprudence et celle de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans l'arrêt Garaudy c. France du 1er février 2000, elle considère en effet que le négationnisme remet en cause "les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l'antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l'ordre public". Encore faut-il, principe établi par l'arrêt Perincek c. Suisse du 15 octobre 2015, que les propos tenus s'analysent comme une incitation à la haine, à la violence et à l'intolérance. Tel n'est pas le cas d'un conférencier turc qui estime que les massacres intervenus en Arménie en 1915 ne s'analysent pas comme un génocide, sans pour autant appeler à quelque discrimination que ce soit à l'égard de la communauté arménienne.
Jean Ferrat. Nuit et brouillard. 1963. Enregistrement de 1980
En revanche, et c'est le point essentiel de la présente décision, le requérant pose une question nouvelle d'égalité devant la loi.
L'égalité devant la loi
Il soutient en effet que la loi Gayssot porte atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. En effet, seule la négation de la Shoah est pénalement réprimée et que celle des autres crimes contre l'humanité ne l'est pas. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 2016, est ainsi conduit à opérer une distinction entre "la négation de faits qualifiés de crime contre l'humanité par la décision d'une juridiction française ou d'une juridiction internationale reconnue par la France" et "la négation de faits qualifiés de crime contre l'humanité par une juridiction autre ou par la loi".
Cette distinction est déjà connue en matière de génocide. La Cour de cassation avait refusé, dans une
décision du 7 mai 2010,
le renvoi d'une QPC portant déjà sur la loi Gayssot, au motif précisément que,
dans le cas de la Shoah, la qualification de génocide résulte d'une convention
internationale, l'Accord de Londres du 8 août 1945, et d'un certain
nombre de décisions de justice rendues à la fois par le Tribunal de
Nüremberg et les juridictions françaises. La loi Gayssot s'appuie ainsi
sur la spécificité de la Shoah, dont la reconnaissance ne repose pas sur
la loi française.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 8 janvier 2016, affirme, de la même manière, la spécificité du crime contre l'humanité commis à l'égard des juifs durant la seconde guerre mondiale. Mais ce raisonnement ne résout rien, car la différence de situation juridique concerne le crime contre l'humanité et non pas sa négation. Une décision du 16 octobre 2015 semble, mutatis mutandis, valider cette distinction à propos d'une infraction comparable, le délit d'apologie de crime de guerre ou de crime contre l'humanité. Le Conseil y observe que "le législateur n'a pas prévu une répression pénale différente pour l'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, selon que ces crimes ont été commis ou non pendant la seconde guerre mondiale". Il en déduit que l'exercice des droits de la partie civile ne peut être limité aux seules associations défendant les intérêts moraux de la Résistance.
Le Conseil est finalement conduit à affirmer la spécificité de la négation des crimes contre l'humanité commis durant la seconde guerre mondiale. A ses yeux, elle a "par elle-même, une portée raciste et antisémite", d'autant que ces crimes font partie de notre histoire puisqu'ils "se sont déroulés en partie sur le territoire national". Il en déduit donc que la loi Gayssot "a traité différemment des agissements de nature différente", affirmation qui lui permet d'écarter le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité devant la loi.
La décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier 2016 présente l'avantage de mettre fin au débat sur la constitutionnalité du délit de négation de crime contre l'humanité. Les négationnistes ne pourront sans doute plus se présenter comme des martyrs de la liberté d'expression. Il n'en demeure pas moins que l'ensemble jurisprudentiel ainsi construit manque quelque peu de lisibilité.
et il le mérite
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