La seconde contribution du débat, ouvert par LLC, sur la révision constitutionnelle relative à l'état d'urgence est rédigée par Serge Sur, Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas.
A la suite des massacres du 13 novembre et des réactions qu’ils ont suscitées, deux questions d’ordre constitutionnel ont été immédiatement soulevées. D’abord, l’état d’urgence aussitôt mis en œuvre sur une base simplement législative doit-il acquérir un statut constitutionnel en étant formellement inscrit dans le texte du pacte fondamental ? Ensuite, le moment est-il opportun pour procéder à une révision constitutionnelle, dans une situation de crise qui pourrait fermer le débat ? Il s’agit là de questions de politique juridique, liées à la recherche d’une efficacité maximale contre le terrorisme sans pour autant sacrifier outre mesure les protections juridiques des droits et libertés individuelles.
A la suite des massacres du 13 novembre et des réactions qu’ils ont suscitées, deux questions d’ordre constitutionnel ont été immédiatement soulevées. D’abord, l’état d’urgence aussitôt mis en œuvre sur une base simplement législative doit-il acquérir un statut constitutionnel en étant formellement inscrit dans le texte du pacte fondamental ? Ensuite, le moment est-il opportun pour procéder à une révision constitutionnelle, dans une situation de crise qui pourrait fermer le débat ? Il s’agit là de questions de politique juridique, liées à la recherche d’une efficacité maximale contre le terrorisme sans pour autant sacrifier outre mesure les protections juridiques des droits et libertés individuelles.
Le droit des circonstances exceptionnelles, droit banal
Observons d’abord que tous les
systèmes juridiques connaissent, de façon préconçue ou non, des régimes de
circonstances exceptionnelles qui permettent de porter atteinte à la légalité ordinaire.
C’est vrai en droit international : légitime défense, compétences et
pouvoirs du Conseil de sécurité correspondent à un droit d’exception. C’est le
cas également des différents registres du droit interne : circonstances
exceptionnelles du droit administratif, force majeure, état de nécessité du
droit privé… C’est vrai aussi du droit constitutionnel, avec pour la France l’article 16 et l’article 36
relatif à l’état de siège. Au fond, la légalité ordinaire est un droit du petit
temps, des jours paisibles, de la vie simple et tranquille, et ces droits
d’exception un droit du gros temps, de la tempête.
Un trait commun de tous ces
régimes est qu’ils ont pour but et pour objet de permettre un retour aussi
rapide que possible au droit commun, qu’ils mettent provisoirement de côté, au
moins partiellement, mais pour mieux le rétablir. Il faut donc les concevoir
non comme un échec du droit, mais bien au contraire comme un mécanisme de
sauvegarde qui tend à son rétablissement. Naturellement, politique juridique
encore, un équilibre doit être assuré, une adéquation entre les situations, les
mesures prises et le maintien dans toute la mesure possible des règles
ordinaires. Convenablement organisé et mis en œuvre, ce droit d’exception n’est
nullement une porte ouverte à l’arbitraire. Il peut même être la meilleure
manière de conserver un cadre juridique organisé et de revenir à l’ordre des
jours.
Ces prémisses étant rappelées,
quel est l’intérêt de prévoir formellement l’état d’urgence dans la
Constitution française ? Et comment le faire ?
Trois situations, trois régimes
Deux articles concernent déjà des
situations exceptionnelles, le célèbre article 16, pour certains la négation de
l’ordre constitutionnel et pour d’autres son couronnement, et l’article 36 sur
l’état de siège. Il semble logique d’y adjoindre un troisième régime, celui de
l’état d’urgence. Les trois répondent en effet à des situations différentes et
leur apportent des solutions distinctes : le premier concerne la survie
même de l’Etat, le second l’hypothèse d’une guerre classique menaçant ou
occupant le territoire. L’état d’urgence correspond quant à lui à des atteintes
à la société civile, qui mérite de bénéficier des mêmes protections que l’Etat
ou le territoire.
L’article 16 permet au président
de concentrer tous les pouvoirs de la République dans des conditions de gravité
extrême, où la décomposition de l’Etat, son existence même sont en jeu. On sait
que l’effondrement de l’Etat en 1940 en est l’origine. Même si le risque
aujourd’hui semble abstrait, pourquoi se priver de cette clause ultime de
sauvegarde ? Même la Cour internationale de Justice a reconnu, dans un
avis consultatif du 8 juillet 1996, que le droit à la vie des Etats pouvait ne
pas exclure que l’on écarte les garanties fondamentales du droit humanitaire.
L’article 36 sur l’état de siège,
qui organise le transfert des pouvoirs civils aux autorités militaires est une
sorte de réplique de l’état de guerre impliquant des armées et des combats
traditionnels. Il est tout à fait inadapté au terrorisme et autres atteintes
aux sociétés civiles – ce qui ne veut pas dire que les forces armées n’aient
pas leur rôle à jouer, mais toujours sous autorité civile, puisque l’on a
affaire à une criminalité politique qui appelle des stratégies sécuritaires
élargies.
A cela répond l’état d’urgence,
qui permet d’investir l’autorité politique de responsabilités accrues et de
pouvoirs de décision renforcés. Reste sans doute à les articuler avec des
contrôles adaptés, notamment avec un rôle spécifique du parlement. Mais ce
serait une erreur que de vouloir réunir ces trois régimes, avec
l’arrière-pensée d’un assassinat par enthousiasme de l’article 16 et d’un
désarmement sournois de la constitution. Aussi bien la confusion que l’hyper
réglementation juridique seraient contre productives : pas davantage que
le terrorisme n’est soluble dans les larmes, la politique n’est soluble dans le
droit.
Chappatte. International New York Times. 19 novembre 2015 |
Immuniser internationalement les régimes constitutionnels d’exception
L’un des grands avantages de la constitutionnalisation
est de faire échapper ces régimes aux contraintes des traités internationaux.
On oppose souvent les règles relatives aux droits de l’homme, celles notamment
de la Convention européenne, à toute législation d’exception. Mais en droit français
le droit international ne s’applique qu’en vertu de la Constitution et ne
saurait donc lui être supérieur. Tout juge qui ferait prévaloir une décision
internationale sur la constitution commettrait une forfaiture. L’article 54 de
la Constitution subordonne en outre formellement les traités aux règles
constitutionnelles.
Alors on opposera la sagesse des
juridictions internationales à l’arbitraire étatique : mais quid de l’arbitraire de ces juridictions ? Pourrait-on
modifier la constitution par la voie de traités internationaux ? Qui
contrôle ces tribunaux ? Quels sont les recours ? Où est leur
légitimité par rapport à l’ordre constitutionnel démocratique ? Quelles sont
leur connaissance et leur capacité d’appréciation de situations qui leur sont étrangères ?
Il est de bonne politique juridique que l’état d’urgence constitutionnalisé
bénéficie du même privilège de juridiction que l’article 16 et l’article 36,
puisque son contrôle efficace ne relèvera que de juridictions internes. Il
appartiendra à la loi organique prévue de concilier des exigences qui ne sont
qu’apparemment contradictoires.
Pour une révision constitutionnelle rapide
Il s’agit de politique juridique,
non de spéculation doctrinale : la question de l’opportunité, ou du choix
du moment d’une telle réforme est primordiale. Un argument souvent invoqué
contre l’idée d’une réforme rapide est qu’un tel changement du pacte
fondamental appelle une réflexion approfondie, des commissions, des débats, des
controverses, la recherche d’un consensus. On ne réforme pas dans la
précipitation et la rupture. Là encore, toute l’expérience nationale va contre
cette idée, qui revient à étouffer les réformes, tout comme sur un autre plan la
soumission aux traités internationaux enfermerait ces régimes dans un
labyrinthe dont rien ne pourrait sortir.
La Constitution de 1958 ne
sort-elle pas d’une crise, reprenant nombre de projets que la IVe République ne
pouvait faire aboutir ? La réforme
de 1962 conduisant à l’élection du président au suffrage universel direct
n’est-elle pas le fruit d’un attentat ? Lorsque, en 1971, le Conseil
constitutionnel décide de contrôler le fond des lois par rapport au Préambule
de la Constitution, ne modifie-t-il substantiellement l’équilibre des pouvoirs
publics constitutionnels sans délibération collective préalable ?
Contre épreuve, les modifications
concertées et réfléchies ont-elle été si heureuses ? Quid du quinquennat,
dont on est loin d’avoir mesuré conséquences et inconvénients ? Et la
réforme de 2008, issue de la Commission Balladur, qui affaiblit le Premier
ministre en permettant aux ministres évincés de reprendre automatiquement leur
siège au Parlement tout en limitant le recours à l’article 49 § 3 ? Qui ne
dit rien de la place des règles internationales dans l’ordre interne, question
s’il en est qui appellerait une clarification ? Qui institue certes la QPC
mais ne modifie ni la composition ni la procédure du Conseil
constitutionnel ?
En
bref et puisqu’il faut conclure, la réforme constitutionnelle est non seulement
opportune mais aussi urgente. Il faut saisir le momentum. Si elle n’intervient pas avant Noël, elle sera gravement
compromise. Et pour être aussi efficace que visible, elle doit être
simple : conférer à l’état d’urgence le même statut qu’à l’article 16 et à
l’article 36, sans les confondre.
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