Deux cours administratives d'appel (CAA) ont rendu, à cinq jours d'intervalle, deux décisions contradictoires sur l'installation de crèches de Noël dans des lieux publics. Celle de Paris, le 8 octobre 2015, déclare illégale la crèche de Melun, installée dans la Cour de l'hôtel de ville. Celle de Nantes, le 13 octobre suivant, considère comme légale la crèche installée dans le hall de l'Hôtel du département de Vendée.
La question de droit posée au Conseil
La contradiction est flagrante, et, sur ce point, on peut regretter que la juridiction parisienne, à laquelle était pourtant adressée une demande en ce sens, ait refusé de renvoyer la question pour avis au Conseil d'Etat sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative. Cette procédure a notamment pour objet d'éviter les contradictions dans la jurisprudence des juges du fond, et c'est bien le problème posé par ces deux décisions.
Ce refus était cependant prévisible, dès lors qu'une telle demande n'est recevable que si la question est nouvelle en droit, si elle présente une difficulté sérieuse et se pose dans de nombreux litiges.
Ce refus était cependant prévisible, dès lors qu'une telle demande n'est recevable que si la question est nouvelle en droit, si elle présente une difficulté sérieuse et se pose dans de nombreux litiges.
En l'espèce, la question se pose précisément dans de nombreux litiges, des associations laïques ayant systématiquement entrepris de contester l'installation des crèches dans les bâtiments publics ou sur le domaine public. Après celles de Melun et Poitiers évoquées dans les deux arrêts rendus cette semaine, il est fort probable qu'une décision d'appel interviendra à la suite du jugement du tribunal administratif de Montpellier qui, le 16 juillet 2015, a admis la légalité de la crèche installée par le maire de Béziers, Robert Ménard, dans le hall de l'hôtel de ville.
La CAA considère-t-elle que la question n'est pas "nouvelle" ou qu'elle ne présente pas de "difficulté sérieuse" ? Elle reste muette sur les motifs de son refus d'accéder à la demande de
saisine du Conseil d'Etat pour avis, se bornant à rendre sa décision "sans qu'il soit besoin" de se pencher sur cette question. Cette absence de motif pourrait trouver son origine dans une volonté, sans doute partagée ou initiée par le Conseil d'Etat, de faire en sorte qu'il se prononce sur ce sujet par la voie contentieuse plutôt que par la voie consultative. Plus visible, l'arrêt du Conseil d'Etat s'impose sans doute avec davantage de force à des élus réticents.
La définition de "l'emblème religieux"
En attendant l'arrêt du Conseil d'Etat, on ne peut que prendre acte des divergences de jurisprudences. Elles sont liées aux différences d'interprétation de la notion d'"emblème religieux".
La loi de séparation des églises et de l'Etat du 9 décembre 1905, dans son article 28, interdit "d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux
sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit,
à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture
dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou
expositions". A Poitiers comme à Melun, les crèches litigieuses sont installées dans l'enceinte d'un bâtiment public, soit le hall de l'hôtel de ville, soit la cour qui permet d'y accéder. Aucun de ces espaces n'est évidemment affecté au culte.
Dès lors, l'analyse repose sur la réponse à la question suivante : Une crèche de la nativité est-elle un "emblème religieux" au sens de ces dispositions ? C'est sur ce point que les Cours divergent. Pour la CAA de Paris, "une crèche de Noël,
dont l'objet est de représenter la naissance de Jésus, installée au
moment où les chrétiens célèbrent cette naissance, doit être regardée
comme ayant le caractère d'un emblème religieux (...) et non comme une
simple décoration traditionnelle". A l'inverse, la CAA de Nantes estime que "compte tenu de sa faible taille, de sa situation non ostentatoire et de l'absence de tout autre élément religieux", l'installation s'inscrit "dans le cadre d'une tradition relative à la préparation de la fête familiale de Noël". Elle ne revêt donc pas la nature d'un "signe ou emblème religieux".
On observe qu'aucune des deux juridictions ne reprend le raisonnement développé par le tribunal administratif de Montpellier à propos de la crèche de Béziers. Dans son jugement du 15 juillet 2015, il a considéré que ne présente pas le caractère d'un "emblème religieux" l'installation qui ne symbolise pas "la revendication d'opinions religieuses". Cette décision définit ainsi l'"emblème religieux" comme celui qui répond à une finalité de prosélytisme religieux.
J.S. Bach. Oratorio de Noël BWV 248 "Jauchzet, frohlocket"
Monteverdi Choir. Englist Baroque Soloists. Direction : John Eliott Gardiner
L'absence du critère du prosélytisme
On observe qu'aucune des deux juridictions ne reprend le raisonnement développé par le tribunal administratif de Montpellier à propos de la crèche de Béziers. Dans son jugement du 15 juillet 2015, il a considéré que ne présente pas le caractère d'un "emblème religieux" l'installation qui ne symbolise pas "la revendication d'opinions religieuses". Cette décision définit ainsi l'"emblème religieux" comme celui qui répond à une finalité de prosélytisme religieux.
Sur ce point, elle constitue la suite logique de la décision du 30 avril 2015 rendue par le tribunal administratif de Rennes à propos de la statue de Jean-Paul II à Ploërmel. Le tribunal se réfère en effet directement au prosélytisme, lorsqu'il estime que le
monument surmonté d'une croix de huit mètres de haut présente un
caractère ostentatoire qui témoigne d'une volonté de promouvoir la
religion catholique. On observe à ce propos que la taille de l'installation constitue l'un des éléments pris en considération par les juges pour apprécier ce prosélytisme. La croix de Ploërmel mesure huit mètres de hauteur, alors que la crèche de Poitiers a "une faible taille".
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
Il ne fait aucun doute que le Conseil d'Etat, lorsqu'il sera saisi de cette question, devra s'interroger sur la disparition de ce critère du prosélytisme, écarté par les deux Cours administratives d'appel. Il est évidemment impossible de savoir dans quel sens il prendra sa décision. La thèse nantaise qui refuse de considérer la crèche comme un "emblème religieux" peut néanmoins directement s'appuyer sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Dans son arrêt du 18 mars 2011 Lautsi c. Italie, elle a été saisie de la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme du droit italien qui autorise la présence de crucifix dans les écoles
publiques. La Cour admet certes que le crucifix est un
symbole religieux, mais elle fait observer que les Etats conservent une
large marge d'appréciation dans le domaine des traditions qu'ils jugent
important de perpétuer. En l'espèce, les autorités italiennes affirment
que le crucifix symbolise un système de valeurs communes, et la Cour
prend acte du fait que cette présence ne s'accompagne d'aucune forme
d'endoctrinement, les enfants n'étant pas contraints à une pratique
religieuse et pouvant arborer les signes d'autres religions. Elle en
déduit que le crucifix posé sur un mur est "un symbole essentiellement passif
" dont l'influence sur les élèves est pour le moins réduite. La liberté de conscience n'a donc fait l'objet d'aucune
atteinte. Par analogie, on pourrait ainsi considérer que la crèche de
Noël est un "symbole passif", dès lors que sa présence ne
s'accompagne d'aucune forme d'endoctrinement et que son influence proprement
religieuse sur les passants est certainement très limitée.
Derrière une terminologie un peu différente, cette distinction opérée par la Cour européenne des droits de l'homme repose sur cette même notion de prosélytisme, celle-là même que les deux Cours administratives d'appel françaises ont écarté.
On doit maintenant attendre que le Conseil d'Etat se prononce sur la question, mettant fin à un contentieux quelque peu ridicule. Car ce type de recours donne de la laïcité une image déformée et caricaturale que ses ennemis, et ils sont nombreux, ne manquent pas d'exploiter. Quant au combat en faveur de la laïcité, il devrait sans doute se consacrer à des urgences plus immédiates que les crèches de Noël.
Sur la laïcité et l'installation des crèches de Noël : Chap 10, section 1 § 2, B du manuel de libertés publiques.
Sur la laïcité et l'installation des crèches de Noël : Chap 10, section 1 § 2, B du manuel de libertés publiques.
Madame,
RépondreSupprimerJe passe mon grand oral du CRFPA demain, et je tenais à vous dire à quel point vos articles m'auront été d'une aide précieuse.
Vous m'avez conforté dans mon ambition, et je vous en suis reconnaissant, merci à vous.