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vendredi 12 juin 2015

Le droit à l'image de Vincent Lambert

Différents médias ont diffusé, ces jours derniers, une vidéo montrant Vincent Lambert sur son lit d'hôpital. Elle émane d'un "comité de soutien" dirigé par la mère de ce jeune tétraplégique en état végétatif depuis six années. La diffusion a évidemment pour objet de convaincre l'opinion que Vincent Lambert communique avec son entourage. Ce but est-il atteint ? On peut en douter, et le film ressemble plutôt à un constat d'impuissance. Dans un arrêt du 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a en effet déclaré conforme à la Convention la décision des médecins autorisant l'interruption de l'alimentation et de l'hydratation de Vincent Lambert, décision prise sur le fondement de la Loi Léonetti du 22 avril 2005. Lorsque les voies de droit se ferment, il ne reste plus qu'à agiter, ou tenter d'agiter, l'opinion publique.

La question posée aujourd'hui n'est pas celle du droit de Vincent Lambert de mourir dans la dignité. Elle est plus simplement celle de son droit à l'image.

Le droit à l'image, un droit autonome


Vincent Lambert, comme n'importe qui, est titulaire du droit à l'image. Rappelons que le droit à l'image trouve son origine dans le droit au respect de la vie privée, mais que le jurisprudence l'en a peu à peu détaché pour lui accorder une complète autonomie. Dans un arrêt du 12 décembre 2000 rendu à propos d'une action civile, la Cour de cassation affirmait déjà : "L'atteinte au respect dû à la vie privée et l'atteinte au droit de chacun sur son image constituent des sources de préjudice distinctes, ouvrant droit à des réparations distinctes".  Elle se montre encore plus claire dans une décision du 10 mai 2005 qui énonce que "le respect dû à la vie privée et celui dû à l'image constituent des droits distincts".

Ce droit n'a rien de récent. Sur le fondement de l'article 1382 du code civil, le tribunal civil de la Seine avait ainsi jugé, dès 1855 "qu'un artiste n'a pas le droit d'exposer un portrait, même au Salon des Beaux-Arts, sans le consentement et surtout contre la volonté de la personne représentée". Depuis cette date, on a inventé la photographie et le cinéma. Le principe n'a pourtant guère changé, même si le droit affirme plus clairement que l'atteinte au droit à l'image peut donner lieu aussi bien à des poursuites pénales (art. 226-1 du code pénal) qu'à une action en responsabilité civile (art. 9 du code civil). 

Dans les deux cas, le juge apprécie l'atteinte à l'image à travers trois critères cumulatifs. 

Photo de Guillaume Apollinaire à l'hôpital italien, après sa trépanation. 1916


Personne célèbre ou simple quidam

 

Le premier est la célébrité de la personne dont l'image est captée. D'une manière générale, les juges se montrent réticents à sanctionner pour manquement au droit à l'image les clichés d'une personne célèbre dans une activité publique. En exerçant une telle activité, l'intéressé est présumé consentir à la captation et à la diffusion de son image. La Cour européenne impose d'ailleurs une définition étroite de cette jurisprudence, considérant dans un arrêt du 24 juin 2004 von Hannover c. Allemagne que la princesse Caroline de Monaco qui n'exerce aucune fonction officielle dans la Principauté doit pouvoir bénéficier d'un droit au respect de son image lorsqu'elle y réside.

Pour le simple quidam  en revanche, et c'est bien le cas du malheureux Vincent Lambert qui n'a jamais cherché la moindre célébrité jusqu'à ce que sa famille se déchire à propos de sa fin de vie, le juge se montre plus intransigeant. Dans une décision du 8 mars 1985, la Cour d'appel de Paris a ainsi considéré que la photographie d'un enfant prise en présence de son père n'impliquait pas nécessairement que ce dernier ait consenti à la publication du cliché. 

Le lieu de la captation

 

Le second critère réside dans le lieu de la captation. En principe, la photographie d'une personne prise à l'occasion d'un évènement public n'est pas considérée comme une atteinte au droit à l'image. Dans un autre arrêt du 12 décembre 1990, la Cour de cassation consacre cependant une exception à ce principe. Elle considère en effet qu'il y a atteinte au droit l'image dans le cas de la photographie prise lors d'une fête folklorique se déroulant dans l'espace public, mais cadrée sur un enfant qui y participait.

La jurisprudence se montre plus rigoureuse dans le cas d'images captées dans un espace privé. Tel est le cas de la chambre mortuaire de l'ancien Président de la République, François Mitterrand, photographié sur son lit de mort (Crim. 20 octobre 1998). Tel est le cas aussi de la voiture personnelle, et un arrêt du 12 avril 2005 sanctionne pour atteinte au droit à l'image la publication de clichés pris par les paparazzi lors de l'accident mortel de la princesse Diana. Il en est de même enfin d'une chambre d'hôpital et, sur ce point, la situation de Vincent Lambert s'inscrit dans une jurisprudence constante. Une des toutes premières décisions consacrant le droit à l'image en tant que tel est l'affaire dite "du fils de Gérard Philipe". Elle portait précisément sur la diffusion par France Dimanche de clichés d'un enfant de neuf ans hospitalisé. Dans une décision du 12 juillet 1966, la 2è Chambre civile de la Cour de cassation ordonne la saisie du journal pour "publication de clichés non autorisés".

Le consentement


Cette jurisprudence conduit ainsi au troisième critère : celui du consentement de l'intéressé. Comme Lady Diana victime d'un accident mortel, ou comme le fils de Gérard Philippe âgé de neuf ans, Vincent Lambert n'a pas pu donné son consentement à la captation et à la diffusion de son image. Les juges se montrent habituellement très sévères à l'égard des clichés pris à l'insu des intéressés. Certes, ils sont présumés licites dans le cas des personnes célèbres photographiées dans le cadre de leurs activités publiques. En revanche, le consentement doit être exprès lorsqu'il s'agit d'une personne privée.

La mère de Vincent Lambert pouvait-elle se passer du consentement de Vincent Lambert au seul motif qu'il n'était pas en état de le donner ? Certainement pas, et la décision devait revenir à celle qui exerce la tutelle, c'est-à-dire en l'espèce l'épouse de Vincent Lambert. 

Le débat d'intérêt général


Reste évidemment la question du "débat d'intérêt général" auquel pourrait participer une telle diffusion. Dans sa décision von Hannover II, de février 2012, la Cour  européenne a considéré que les photos de la famille princière de Monaco aux sports d'hiver, en compagnie d'un prince âgé et très affaibli, constituaient une "contribution à un débat d'intérêt général", dès lors que les lecteurs se posaient des questions sur l'état de santé du prince. Cette décision avait alors été vivement critiquée, car il suffisait désormais d'invoquer l'intérêt général pour pouvoir étaler dans les journaux des informations sur l'état de santé d'une personne. La vie privée disparaissait, éclipsée par le droit d'être informé.

La mère de Vincent Lambert peut-elle s'appuyer sur cette jurisprudence? C'est bien peu probable. Vincent Lambert n'est pas une personne célèbre et il est peu probable que les juges français considèrent que la vidéo le montrant sur son lit d'hôpital apporte un éclairage utile au débat sur la fin de vie. Ils n'ont d'ailleurs pas repris la jurisprudence de la Cour européenne sur le "débat d'intérêt général", la conception française de la vie privée et du droit à l'image étant beaucoup plus rigoureuse que celle développée par les juges strasbourgeois.

On peut évidemment déplorer que certains médias aient cru bon de relayer une offensive médiatique bien éloignée des valeurs chrétiennes qu'ils prétendent défendre. Elle repose en effet sur un étrange paradoxe. La mère de Vincent Lambert affirme qu'il est conscient et communique avec son entourage et veut donc démontrer qu'il est un sujet de droit à part entière. En même temps, elle agit comme s'il était un objet dont l'image peut être captée et diffusée comme elle l'entend.

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