Dans un jugement du 30 avril 2015, le tribunal administratif (TA) de Rennes annule le refus du maire de Ploërmel de "faire disparaître de tout emplacement public le monument consacré au pape Jean-Paul II, érigé Place Jean-Paul II à Ploërmel".
Il prononce également une injonction ordonnant à l'élu de procéder,
dans un délai de six mois, au retrait du monument de son emplacement
actuel.
Un chemin de croix contentieux
Contrairement
à ce qui a parfois été dit, cette décision de justice n'est pas le
fruit d'un recours isolé et militant de la Fédération morbihannaise de
la libre pensée. Le tribunal a été saisi de deux autres recours
d'habitants de la ville, les trois ayant finalement été joints. La
décision n'est pas davantage le résultat d'une prise de conscience
tardive, la statue ayant été érigée en 2006.
Depuis
2006, les opposants à la statue se sont engagés dans une sorte de
chemin de croix contentieux, dont la présente décision n'est que la
dernière station. Mais ce n'est sans doute pas l'ultime, car le maire de
Ploërmel, Patrick Le Diffon (UMP) a déjà annoncé sa volonté de demander
un sursis à exécution avant de faire appel de la décision.
Dans un premier jugement du 31 décembre 2011,
le TA de Rennes avait annulé la délibération du 20 octobre 2006 du
conseil général du Morbihan accordant une subvention de 4500 € à la
Communauté de communes de Ploërmel pour financer le socle de l'oeuvre,
c'est à dire une arche surmontée d'une croix, l'ensemble faisant huit
mètres de haut. La statue elle-même avait été cédée par l'artiste, le
sculpteur russe Zourab Tseretli. La convention entre la commune et
l'artiste mentionnait d'ailleurs une "volonté de défendre les intérêts généraux de la religion catholique",
formulation un peu surprenante dans un contrat de doit public. Quoi
qu'il en soit, dans son jugement de 2011, le tribunal avait considéré
que cette croix présentait, par ses dimensions mêmes, un caractère
ostentatoire méconnaissant à la fois les dispositions de la Constitution
et celle de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des
Eglises et de l'Etat.
A
la suite du jugement de 2011, la subvention a été remboursée par la
Communauté de communes. Les requérants ont alors fait un recours
gracieux auprès du maire pour que la statue soit retirée du domaine
public. Ils n'ont obtenu aucune réponse et ont donc de nouveau saisi le
tribunal administratif, contestant cette fois la décision de rejet
implicite qui leur avait été opposée.
La
décision du 30 avril 2015 ne fait donc que reprendre les motifs de
celle du 31 décembre 2011. Ils sont d'ailleurs assez simples, puisqu'ils
reposent sur le respect du principe de laïcité.
La laïcité
Le jugement s'appuie d'abord sur l'article 1er de la Constitution qui énonce que "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale". Dans sa décision du 19 novembre 2004, le Conseil constitutionnel considère ainsi que le principe de laïcité, qui a valeur constitutionnelle, "interdit
à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour
s'affranchir des règles communes régissant les relations entre
collectivités publiques et particuliers". Le tribunal s'appuie aussi sur l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 qui interdit "à l'avenir" d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur "quelque emplacement public que ce soit", à l'exception des édifices servant au culte, des cimetières ainsi que des musées ou expositions.
En
l'espèce, le tribunal administratif refuse de se prononcer sur la
représentation même du pape défunt. Ne pourrait-il être considéré comme
un leader d'opinion, indépendamment de toute approche religieuse ? Le
tribunal n'a pas besoin d'entrer dans le débat. Il lui suffit de
constater l'existence d'une croix érigée postérieurement à la loi de
1905, croix qui, par ses dimensions mêmes, présente un caractère
"ostentatoire". L'atteinte à l'article 1er de la Constitution et aux
dispositions de l'article 28 de la loi de 1905 est donc confirmée, dans
un raisonnement qui reprend à la lettre la décision antérieure de 2011.
Le Pardon de Ploërmel. Mayerbeer.
Ombre légère. Nathalie Dessay
Les précédents
Dans une décision du 30 novembre 2011,
le tribunal administratif d'Amiens avait déjà considéré comme non
conforme à la loi de 1905 l'installation d'une crèche de Noël sur la
place d'un village. Aux yeux du juge, une telle installation méconnaît à
la fois "la liberté de conscience assurée à tous les citoyens par la
République et la neutralité du service public à l'égard des cultes". Le 14 novembre 2014,
dans une décision très médiatisée, le tribunal de Nantes avait
sanctionné pour les mêmes motifs l'installation d'une crèche de Noël
dans les locaux du Conseil général de Vendée.
Dans
le cas des crèches, on doit sans doute s'interroger sur la maladresse
d'élus qui ont préféré affirmer une sorte de militantisme catholique
plutôt qu'invoquer le caractère provisoire d'une installation qui
pouvait être considérée comme une "exposition" au sens de la loi de
1905. Pour la statue de Ploërmel, la loi de 1905 s'impose à l'évidence.
En effet, la statue n'a aucune caractère provisoire et il apparaît dans
le dossier que des cultes ont été célébrés devant elle, sur une place
qui désormais a été rebaptisée en "Place Saint Jean-Paul II".
Et la Cour européenne ?
Le
maire annonce qu'il fera appel, démarche peut-être un peu téméraire car
ses chances de succès sont modestes. La jurisprudence de la Cour
européenne ne lui offre guère de perspective favorable.
Certes l'arrêt Lautsi c. Italie du 18 mars 2011 estime que le crucifix suspendu au mur des classes des écoles publiques italiennes ne porte pas atteinte à la liberté de conscience des élèves. Mais la Cour ajoute que cette tolérance repose sur le fait que ce crucifix est "un symbole essentiellement passif " qui ne s'accompagne d'aucune forme d'endoctrinement et n'impose aux élèves aucune pratique religieuse. Son influence est donc pour le moins réduite, pour ne pas dire inexistante.
Il y a pourtant bien peu de chances que la jurisprudence Lautsi
soit applicable au cas de la statue de Ploërmel. D'une part, entre un
crucifix sur un mur d'école et une croix de huit mètres de haut, il
existe une différence d'échelle. Le caractère ostentatoire de la croix
et de la statue qu'elle surplombe interdit de la considérer comme "un symbole essentiellement passif
". D'autre part, l'Italie est un Etat concordataire, et la révision du Concordat intervenue en 1984 affirme que "les principes du catholicisme font partie du patrimoine historique du
peuple italien". La France, en revanche, a fait du principe de
laïcité un élément essentiel du régime républicain. Les rapports entre
l'Etat et la religion sont donc d'un autre ordre et, d'une manière
générale, la Cour européenne s'interdit tout intervention dans ces choix
de société. Les Etats membres conservent ainsi une très large latitude
dans la définition du statut des religions.
Le
jugement du 30 avril 2015 a donc bien peu de chances d'être annulé. Il
s'inscrit dans une jurisprudence constante qui permet, au fur et à
mesure des décisions, de définir le cadre de l'application actuelle de
la loi de 1905. Reste au maire de Ploërmel à envisager le déplacement de
la statue, puisqu'il paraît que le socle et la croix ne sont pas
dissociables de l'effigie du pape. Celle-ci pourra être placée sur une
propriété religieuse, église ou couvent par exemple. Quant aux propriétaires de terrains privés proches de la Place Saint Jean-Paul II, ils ont d'ores et déjà fait connaître leur refus, jugeant l'oeuvre trop "inesthétique".
Au moment où le débat religieux réinvestit l'espace public, il n'est
pas sans saveur de voir que le juge interdit d'afficher la religion sur
la place publique.
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