La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu, le 18 novembre 2014 un arrêt portant sur le contrôle de la "nécessité" de la garde à vue, contrôle qu'elle définit comme extrêmement réduit. L'affaire à l'origine de cette décision est d'une grande banalité. La prévenue a été arrêtée en état d'ébriété lors d'un contrôle routier le 25 mai 2013, infraction pour laquelle elle était en situation de récidive. Convoquée cinq jours plus tard, le 30 mai, par la gendarmerie, elle est placée en garde à vue à 7 h 45. Après son audition, elle est déférée à 9 h au procureur de la République qui décide son renvoi en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel.
L'interdiction de toute rigueur non nécessaire
Avant toute défense au fond, un peu délicate car elle est en état de récidive, la prévenue demande la nullité de la garde à vue dont elle a fait l'objet. Elle obtient satisfaction d'abord devant le juge du fond puis devant la Cour d'appel qui prononcent cette nullité, entraînant évidemment l'abandon des poursuites.
La Cour d'appel s'appuie essentiellement sur les dispositions de l'article 62-2 du code de procédure pénale (cpp). Il énonce que la garde à vue peut être décidée "lorsqu'elle constitue l'unique moyen de permettre l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne, ou de garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête". Selon la Cour d'appel, l'enquête était achevée dès le 25 mai 2013, dès lors que l'imprégnation alcoolique de la prévenue était avérée. La comparution immédiatement aurait donc pu être envisagée le jour même. Si on souhaitait la repousser de quelques jours, la mesure de garde à vue n'était, en tout état de cause, pas nécessaire, dès lors que l'intéressée s'était présentée volontairement à la gendarmerie cinq jours après les faits.
Cette analyse s'appuie sur le principe d'interdiction de toute rigueur non nécessaire, principe qui trouve son fondement dans l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et dont le Conseil constitutionnel a affirmé la valeur constitutionnelle dans sa décision du 11 août 1993. En matière de garde à vue, ce principe figure dans l'article 63 cpp qui subordonne le placement en garde à vue aux "nécessités de l'enquête". La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 novembre 2009, a ainsi décidé que le placement en garde à vue d'un étranger en situation irrégulière n'est pas nécessaire, dès lors que l'intéressé a reconnu cette irrégularité et que le rôle de la police se borne à le placer sous le contrôle des autorités administratives en vue d'une reconduite à la frontière. Aucune enquête de nature à justifier une garde à vue n'est dans ce cas nécessaire. Observons cependant qu'il s'agit là d'une décision de la 1ère Chambre civile, compétente en matière de contentieux de la reconduite à la frontière.
Dans son arrêt du 18 novembre 2014, la Chambre criminelle se montre nettement moins libérale, ou plus soucieuse de laisser les autorités de police une certaine latitude dans l'organisation concrète de la comparution immédiate.
La prévention routière. Fernand Raynaud
Maintenir une personne à la disposition de la justice
Revenant à la lettre de l'article 62-2 cpp, elle affirme que la garde à vue peut être décidée dans le seul but de "garantir la présentation de la personne" devant le procureur. Ce sont donc les seules nécessités du défèrement qui justifient alors la garde à vue. Rappelons en effet que, selon l'article 803-2 cpp toute personne ayant fait l'objet d'un défèrement à l'issue de sa garde à vue comparaît le jour même devant le procureur ou, en cas d'ouverture d'une instruction, devant le juge d'instruction. En cas de nécessité et par dérogation, la personne peut être déférée le jour suivant et retenue dans des locaux spécialement aménagée pour une durée inférieure ou égale à vingt heures (art. 803-3 cpp). En cas de non respect de ces délais, l'intéressé est immédiatement remis en liberté.
La rétention se distingue évidemment de la garde à vue. La première a lieu dans les locaux du tribunal, alors que la seconde peut intervenir dans ceux des forces de police ou de gendarmerie.
Dans sa décision du 17 décembre 2010, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de la procédure de rétention prévue par l'article 803-3 cpp. Il affirme ainsi que le principe de présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration de 1789 "ne fait pas obstacle à ce que l'autorité judiciaire soumette à des mesures restrictives ou privatives de liberté, avant toute déclaration de culpabilité, une personne à l'encontre de laquelle existent des indices suffisants quant à sa participation à la commission d'un délit ou d'un crime". Le Conseil précise cependant que cette privation de liberté ne peut intervenir que pour certains motifs limitativement énumérés, parmi lesquels les nécessités de la manifestation de la vérité, mais aussi "le maintien de la personne à la disposition de la justice".
On observe que le Conseil se garde bien de mentionner expressément la procédure de rétention dans son considérant de principe, qui peut tout aussi bien s'appliquer à la garde à vue. En l'espèce, la Cour d'appel avait retenu que la garde à vue de la requérante ne reposait pas sur les nécessités de l'enquête, les faits étant avérés. Mais elle a omis de se prononcer sur la nécessité de tenir la personne à la disposition de la justice. Et c'est précisément le motif de la censure prononcé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
Derrière les motifs juridiques apparaissent évidemment des contraintes matérielles. Le défèrement immédiat n'est pas toujours possible pour des questions d'horaire ou d'éloignement entre la brigade de gendarmerie et le tribunal, ou encore pour des motifs liés au nombre de personnes déférées. Pour le Conseil constitutionnel, la mesure de rétention ne peut intervenir qu'"en cas de nécessité", mais cette condition est remplie lorsque survient l'une ou l'autre de ces contraintes matérielles. Sur ce point, la Cour de cassation, dans sa décision du 18 novembre 2014, ne fait qu'appliquer la jurisprudence constitutionnelle au cas de la garde à vue, élargissement qui était inscrit "en creux" dans la décision du Conseil de décembre 2010.
La Cour adopte ainsi une vision réaliste de la procédure, à la recherche d'un équilibre entre les droits de la défense et les nécessités du fonctionnement du service public de la justice. A une époque où les forces de police et de gendarmerie sont de plus en plus regroupées dans certaines zones, au détriment du maillage du territoire, il n'est pas toujours possible d'emmener immédiatement un prévenu au tribunal pour un défèrement ou une rétention. En même temps, les comparutions immédiates sont toujours plus nombreuses, au point qu'elles apparaissent désormais comme le droit commun du procès pénal. Pour toutes ces raisons, la jurisprudence de la Cour de cassation apparaît, elle aussi, relever de la simple nécessité.
La rétention se distingue évidemment de la garde à vue. La première a lieu dans les locaux du tribunal, alors que la seconde peut intervenir dans ceux des forces de police ou de gendarmerie.
Dans sa décision du 17 décembre 2010, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de la procédure de rétention prévue par l'article 803-3 cpp. Il affirme ainsi que le principe de présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration de 1789 "ne fait pas obstacle à ce que l'autorité judiciaire soumette à des mesures restrictives ou privatives de liberté, avant toute déclaration de culpabilité, une personne à l'encontre de laquelle existent des indices suffisants quant à sa participation à la commission d'un délit ou d'un crime". Le Conseil précise cependant que cette privation de liberté ne peut intervenir que pour certains motifs limitativement énumérés, parmi lesquels les nécessités de la manifestation de la vérité, mais aussi "le maintien de la personne à la disposition de la justice".
On observe que le Conseil se garde bien de mentionner expressément la procédure de rétention dans son considérant de principe, qui peut tout aussi bien s'appliquer à la garde à vue. En l'espèce, la Cour d'appel avait retenu que la garde à vue de la requérante ne reposait pas sur les nécessités de l'enquête, les faits étant avérés. Mais elle a omis de se prononcer sur la nécessité de tenir la personne à la disposition de la justice. Et c'est précisément le motif de la censure prononcé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
Le poids des contraintes matérielles
Derrière les motifs juridiques apparaissent évidemment des contraintes matérielles. Le défèrement immédiat n'est pas toujours possible pour des questions d'horaire ou d'éloignement entre la brigade de gendarmerie et le tribunal, ou encore pour des motifs liés au nombre de personnes déférées. Pour le Conseil constitutionnel, la mesure de rétention ne peut intervenir qu'"en cas de nécessité", mais cette condition est remplie lorsque survient l'une ou l'autre de ces contraintes matérielles. Sur ce point, la Cour de cassation, dans sa décision du 18 novembre 2014, ne fait qu'appliquer la jurisprudence constitutionnelle au cas de la garde à vue, élargissement qui était inscrit "en creux" dans la décision du Conseil de décembre 2010.
La Cour adopte ainsi une vision réaliste de la procédure, à la recherche d'un équilibre entre les droits de la défense et les nécessités du fonctionnement du service public de la justice. A une époque où les forces de police et de gendarmerie sont de plus en plus regroupées dans certaines zones, au détriment du maillage du territoire, il n'est pas toujours possible d'emmener immédiatement un prévenu au tribunal pour un défèrement ou une rétention. En même temps, les comparutions immédiates sont toujours plus nombreuses, au point qu'elles apparaissent désormais comme le droit commun du procès pénal. Pour toutes ces raisons, la jurisprudence de la Cour de cassation apparaît, elle aussi, relever de la simple nécessité.
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