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samedi 27 septembre 2014

Nicolas Sarkozy, l'UMP et le Conseil constitutionnel

Nicolas Sarkozy est désormais officiellement candidat à la présidence de l'UMP et il entend bien faire entendre sa voix. L'opération de communication n'a surpris personne, pas plus que le discours donnant au téléspectateur l'impression que le temps s'était arrêté en 2012. Au plan juridique, l'annonce présente cependant un intérêt car Nicolas Sarkozy, en sa qualité d'ancien Président de la République, est "membre de droit et à vie" du Conseil constitutionnel (art. 56 al. 2 de la Constitution). A ce titre, il est soumis à certaines obligations bien peu compatibles avec les fonctions de responsable d'un parti politique.

L'obligation de réserve


L'article 7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 interdit aux membres du Conseil de prendre une position publique "sur des questions ayant fait ou susceptibles de faire l'objet de décisions du Conseil constitutionnel". Cette prohibition a été conçue à une époque où le Conseil n'exerçait que son contrôle a priori des textes votés par le parlement, avant leur entrée en vigueur. Cette obligation de réserve était donc limitée à la période du débat législatif, période qui avait un début (le dépôt du projet ou de la proposition de loi) et une fin (la publication du texte au Journal officiel). 

L'interprétation de l'article 7 de l'ordonnance de 1958 est différente depuis la révision de 2008 mettant en oeuvre la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Désormais n'importe quelle disposition législative, même entrée en vigueur depuis très longtemps, demeure susceptible d'être déférée au Conseil constitutionnel par la voie de la QPC. Le fait qu'elle ait déjà fait préalablement l'objet de contrôle de constitutionnalité n'est pas un élément suffisant pour qu'un membre du Conseil reprenne, à son propos, sa liberté de parole. En effet, il arrive au Conseil de reprendre l'examen en QPC d'une loi déjà contrôlée avant sa promulgation, lorsqu'il estime qu'il y a eu, depuis cette date, un changement de circonstances de fait ou de droit. Le résultat de cette évolution est que l'obligation de réserve s'exerce désormais sur une durée indéterminée, une QPC pouvant intervenir à tout moment sur un texte ancien.

Les incompatibilités


L'article 7 de l'ordonnance de 1958 a été complété par un décret du 13 novembre 1959 relatif aux obligations des membres du Conseil. Son article 2 précise ainsi que "les membres du Conseil constitutionnel s'interdisent "d'occuper au sein d'un parti ou groupement politique tout poste de responsabilité ou de direction et, de façon plus générale, d'y exercer une activité inconciliable" avec l'obligation de réserve à laquelle ils sont astreints. Voilà qui est bien dérangeant pour Nicolas Sarkozy, car la présidence de l'UMP est, de toute évidence, l'un de ces "postes à responsabilité".

"J'ai deux neurones". Montage satirique. 22 septembre 2014

Un pouvoir de sanction neutralisé

 
Pour garantir l'indépendance de l'institution, il est acquis depuis l'origine que le Conseil constitutionnel est le seul juge du respect par ses membres des obligations qui s'imposent à eux. A ses yeux, et il l'a affirmé avec netteté dans sa décision du 7 novembre 1984, "les membres de droit du Conseil constitutionnel sont (...) soumis aux mêmes obligations que les autres membres du Conseil constitutionnel". La seule exception est le serment dont ils sont dispensés par l'article 3 de l'ordonnance de 1958. Observons que cette décision est intervenue à propos de la candidature de Valéry Giscard d'Estaing aux élections législatives de 1984. Le Conseil a alors appliqué l'article 4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 qui prévoit une incompatibilité entre toute fonction élective et la qualité de membre du Conseil. Il a donc estimé que Valéry Giscard d'Estaing pouvait parfaitement être candidat, mais qu'une fois élu, il devait choisir entre ses fonctions au Conseil et son mandat de député du Puy-de-Dome. C'est ce qu'a fait l'intéressé qui n'est revenu siéger au Conseil qu'après la fin de ses différents mandats électifs.

En cas de manquement d'un membre de droit à l'obligation de réserve ou à l'interdiction d'exercer des fonctions de responsabilité au sein d'un parti, le pouvoir de sanction du Conseil est pourtant neutralisé. Certes, l'article 10 de l'ordonnance de novembre 1958 offre au Conseil la possibilité de constater la démission d'office d'un membre ayant exercé une activité ou accepté une fonction ou un mandat électif incompatible avec sa qualité. Le problème est que cette disposition ne peut s'appliquer aux membres de droit, puisque l'article 56 de la Constitution précise qu'ils sont membres "à vie".

Pour le moment, le droit repose donc sur le libre arbitre des intéressés, leur volonté ou non de se plier aux obligations liées à leur qualité de membre du Conseil constitutionnel. 

Sur ce plan, la pratique est plus moins fluctuante. C'est ainsi que Valéry Giscard d'Estaing, encore lui, a participé à la campagne du référendum de 2005 sur la Constitution européenne, après avoir présidé la Convention qui l'avait rédigée. A l'époque, il n'a pas estimé nécessaire de se mettre en retrait du Conseil. A l'inverse, Simone Veil s'est mise en congé pour soutenir la candidature de Nicolas Sarkozy en 2007. Quant à Nicolas Sarkozy, il a déclaré, le 4 juillet 2013, qu'il "démissionnait" du Conseil constitutionnel après que ce dernier ait rejeté son compte de campagne. 

La formule révèle sans doute une certaine ignorance du droit positif, car l'ancien Président ne peut pas "démissionner" du Conseil. Il peut se mettre en retrait, renoncer à siéger, mais un membre "à vie" ne peut pas démissionner. Rien ne lui interdit donc en principe de revenir siéger. Reste que si l'ordonnance de 1958 ne confère aucun pouvoir de sanction au Conseil à l'égard des membres de droit, rien ne lui interdit d'organiser la police de la séance, par exemple en refusant de siéger si un membre de droit viole ses obligations.

Une révision inachevée


Il serait évidemment absurde d'imposer à un ancien Président de la République le silence total, sous le prétexte qu'il est membre de droit du Conseil constitutionnel. Rien ne lui interdit de réinvestir le débat politique, en renonçant à siéger, et c'est exactement ce que fait Nicolas Sarkozy. Mais il le fait sur la base d'un fondement juridique incertain et de précédents fluctuants.

Sa situation met en évidence le caractère inachevé de la révision de 2008 qu'il avait lui-même initiée. En introduisant la QPC dans le contrôle de constitutionnalité, le Constituant aurait dû, en même temps, faire du Conseil une vraie juridiction, dotée de règles et de procédures garantissant son indépendance et son impartialité. La présence des membres de droit est, à cet égard, un véritable désastre juridique. Nicolas Sarkozy n'était-il pas membre du Conseil lorsqu'il déposait devant ce même Conseil un recours contre l'invalidation de son compte de campagne ? Il est peut être temps que le Constituant se saisisse de la question, avant que le Cour européenne déclare que le contrôle de constitutionnalité français n'est pas impartial.

1 commentaire:

  1. Au-delà du cas de l'ancien Président de la République, ette affaire constitue le symptôme clinique de deux maux (parmi d'autres) du système français.

    1. La France est, sous bien des aspects, une "monarchie républicaine". En son sein, suirvivent souvent, prospèrent parfois des privilèges de l'Ancien régime. Il n'y a qu'à suivre régulièrement la chronique de cette rentrée politique par nos folliculaires préférés pour s'en convaincre. Peut-être, est-ce une des raisons de la défiance croissante des citoyens vis-à-vis de leurs réprésentants !

    2. La France est, à bien des égards une "République partiale". Prenons deux exemples concrets qui questionne l'impartialité du Conseil d'Etat au sens de l'article 6 ("droit à un procès équitable") de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

    - le dépassement du délai raisonnable de jugement par le Conseil d'Etat. Le justiciable, qui s'estime lésé, s'adresse au Garde des Sceaux dans le cadre d'une réclamation préalable de demande indemnitaire. La réponse est quasiment acquise d'avance : décision de rejet (implicite ou explicite). A l'issue d'un délai de deux mois, ce même justiciable peut faire appel de cette décision devant le Conseil d'Etat... qui est juge et partie à la même cause ! On imagine le sens de sa décision.

    - le statut du "magistrat" (il serait plus juste de parler de haut fonctionnaire) du Conseil d'Etat. Il peut arriver que, le même juge des référés qui a rejeté la requête en urgence d'un justiciable, se retrouve associé à la formation de jugement au fond. Entre les deux décisions, l'intéressé a successivement occupé les fonctions suivantes : d'abord, juge des référés ; ensuite directeur de cabinet du Garde des Sceaux ; enfin de retour au Palais-Royal comme président de Section. Il ne lui viendrait pas à l'idée de se déporter au nom d'une certaine déontologie dont il est censé être le gardien.

    La "République exemplaire", ce n'est pas encore maintenant tant le grotesque le dispute parfois au ridicule. Comme disait Beaumarchais, on aimerait en rire ou en faire des chansons.

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