L'Assemblée nationale a voté, le 10 juin 2014, le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines. Sur le fondement de l'article 45 al. 2 de la Constitution, le gouvernement a décidé que le texte ferait l'objet d'une procédure accélérée, ce qui signifie qu'il sera adopté après une seule lecture dans chaque assemblée. Il doit donc maintenant être adopté par le Sénat qui en a préparé l'examen par un certain nombre d'auditions.
Comme dans bien d'autres domaines, le débat sur cette réforme est surtout d'ordre politique, quand il n'est pas marqué par une animosité personnelle. On a parfois le sentiment que les vaincus de la bataille du mariage pour tous voient dans cette discussion parlementaire un moyen de relancer les critiques à l'égard de Christiane Taubira, accusée de vouloir introduire une politique particulièrement laxiste en matière pénale. Or, jusqu'à présent, la politique pénale n'est ni réellement sécuritaire ni réellement laxiste. Elle est seulement incohérente.
Qui vide les prisons ?
Notre pays demeure très attaché à la peine en milieu fermé, mais les peines en milieu ouvert sont les plus nombreuses. Le nombre de personnes placées sous la main de la justice pour effectuer une peine en milieu ouvert a dépassé le nombre de personnes incarcérées au milieu des années soixante-dix. Au 1er janvier 2013, on comptait 51 252 condamnés sur 67 075 détenus, et 175 200 condamnés effectuant leur peine en milieu ouvert. Cette situation est mal connue, et on préfère affirmer devant l'opinion à quel point on est attaché à l'exemplarité de l'incarcération.
Reste que la tentation de vider les prisons ne date pas de la réforme Taubira. La surpopulation carcérale devient un problème ingérable. Le rapport Raimbourg affirme ainsi qu'au 1er janvier 2014, on dénombre 57 516 places en détention pour 67 075 détenus. Le résultat est que la densité carcérale dépasse parfois 200 %. Les conditions de vie dans certaines prisons françaises, marquées par la promiscuité et l'insalubrité, ont même été qualifiées de traitement inhumain et par la Cour européenne des droits de l'homme, par exemple dans l'arrêt récent Canali c. France du 25 avril 2013.
Devant une telle situation, la tentation de vider les prisons existe bel et bien. La loi du 27 mars 2012, loi votée à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, avait déjà introduit une nouvelle rédaction de l'article 721 du code de procédure pénale (art. 721 cpp). Dans l'état actuel du droit positif, un "crédit de réduction de peine" est octroyé à chaque condamné, "automatiquement calculé en fonction de la durée de la condamnation prononcée". Il se détermine de la façon suivante : trois mois pour la première année d'emprisonnement, deux mois pour les années suivantes, et sept jours par mois pour la partie de peine inférieure à une année. Autrement dit, une personne condamnée à trois ans et demi de prison bénéficiera automatiquement de trois mois de réduction de peine la première année, quatre mois pour les deux années suivantes, et quarante-deux jours pour les six mois restants. A cela s'ajoutent les réductions de peine lorsque le détenu se conduit bien, travaille en détention, passe des diplômes ou s'efforce d'indemniser sa ou ses victimes.
La politique carcérale du précédent quinquennat reposait ainsi sur une certaine forme d'acrobatie : affirmer une volonté sécuritaire et un attachement à l'incarcération... et mettre en place un système fort libéral de réduction de peine.
La réforme Taubira a le mérite de mettre fin à l'hypocrisie. Elle affirme haut et clair son refus du "tout carcéral"et donne une définition téléologique de la peine : "Afin d'assurer la protection effective de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner le condamné ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion" (futur art. 130-1 c. pén.). On pourrait évidemment s'interroger sur le caractère normatif, ou non, de ces dispositions qui ressemblent davantage à un exposé des motifs qu'à une règle juridique. Il n'en demeure pas moins que cette définition est à l'origine de mesures très concrètes.
La contrainte pénale vise à restaurer la crédibilité des peines effectuées en milieu ouvert. Elle consiste, pour le condamné, sous le contrôle du juge d'application des peines, à respecter en milieu ouvert des obligations et interdiction pendant une période de six mois à cinq ans. Elle peut être prononcée pour tous les délits assortis d'une peine d'au maximum cinq années d'emprisonnement, mais devrait être étendue à l'ensemble des délits, c'est à dire tous les délits en 2017 (c'est à dire à toutes les peines inférieures à dix années d'emprisonnement).
Les obligations auxquelles le condamné peut être astreint sont extrêmement variées, allant de l'interdiction de fréquenter certains lieux ou de s'approcher de sa victime, à l'obligation de l'indemniser en passant par des obligations de suivre une formation, un traitement médical ou d'effectuer des travaux d'intérêt général. La peine est donc en lien direct avec l'infraction, ce qui facilite sa compréhension. Elle se déroule au sein de la société, dans le but d'éviter qu'un petit délinquant se transforme en grand délinquant après son passage en prison. Enfin, la contrainte pénale doit s'accompagne d'un suivi socio-éducatif individualisé de nature à favoriser la réinsertion. Il est bien difficile de ne pas être d'accord avec ces mesures. On doit cependant s'interroger sur la réalité de ce suivi, si l'on considère le nombre de dossiers que chaque juge d'application des peines a en charge.
Les promoteurs de la réforme affirment que la principale innovation de la contrainte pénale réside dans le fait qu'elle est totalement dissociée de la peine d'emprisonnement. En cela, elle s'oppose au sursis avec mise à l'épreuve, la peine actuellement la plus prononcée en France (160 000 par an). Dans ce cas en effet, le juge prononce une peine d'emprisonnement, dont il décide de surseoir à l'exécution en plaçant le condamné sous le régime de la mise à l'épreuve. Il est vrai que la condamnation à une contrainte pénale ne mentionne aucune peine d'emprisonnement. Ceci dit, le condamné qui refuse de se plier aux obligations qui lui sont imposées risque tout de même de se retrouver en prison, pour une durée égale ou inférieure à la moitié de sa peine de contrainte pénale.
Reste que la contrainte pénale ne se substitue pas au sursis avec mise à l'épreuve qui demeure dans l'ordre juridique. Il appartiendra aux juges de définir les critères du choix entre les deux peines. Pour le moment, force est de constater que la distinction est peu lisible pour le justiciable. Tôt ou tard, il est probable que l'une des deux peines devra disparaître.
L'accent mis sur l'individualisation de la peine se traduit par la suppression des peines-plancher, réforme issue d'une promesse électorale de François Hollande. On peut les définir comme des peines minimales que le juge doit impérativement prononcer si telle ou telle condition est remplie. La loi du 10 août 2007 avait ainsi imposé des peines plancher dans les cas de condamnés en état de récidive légale. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 août 2007, n'y a vu aucun atteinte au principe d'individualisation de la peine, qui trouve son fondement dans l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Cette réforme de 2007 avait été présentée comme l'élément majeur d'une politique nouvelle, plus sévère et destinée à lutter efficacement contre la récidive. Après sept années d'application, le résultat est cependant plus que décevant.
La notion de récidive légale est évidemment distincte de la réitération, dans la mesure où cette dernière renvoie à l'hypothèse simple où une personne définitivement condamnée pour une infraction en commet une autre. La récidive, quant à elle, est soumise à des conditions liées à la nature de l'infraction, et son régime juridique est extrêmement complexe. Le rapport Raimbourg constate ainsi que l'auteur d'un trafic de stupéfiants (dix ans d'emprisonnement) qui comment ensuite un vol simple (trois ans) est en état de récidive légale. En revanche, si l'ordre des délits est inversé, vol simple puis trafic de stupéfiants, il ne l'est plus. La constatation s'impose : les peines-plancher, trop complexes, trop attentatoires au principe d'individualisation des peines, ne sont pas parvenues à s'imposer.
La réforme Taubira doit encore être votée par le Sénat avant d'entrer en vigueur. Les expériences menées par certains pays étrangers, notamment scandinaves, montrent que ce type de réforme peut parfaitement réussir, c'est à dire conduire à une diminution de la récidive et à une meilleure réinsertion des personnes qui ont purgé leur peine. Elle impose cependant un investissement à fois financier et humain considérable pour assurer un suivi réellement individualisé des personnes condamnées. Sur ce point, les débats parlementaires ne nous ont malheureusement guère éclairé.
Hubert Robert. 1733-1808
La visite au marquis de Travanet lors de sa détention à la prison de St Lazare
Définition de la peine
La réforme Taubira a le mérite de mettre fin à l'hypocrisie. Elle affirme haut et clair son refus du "tout carcéral"et donne une définition téléologique de la peine : "Afin d'assurer la protection effective de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner le condamné ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion" (futur art. 130-1 c. pén.). On pourrait évidemment s'interroger sur le caractère normatif, ou non, de ces dispositions qui ressemblent davantage à un exposé des motifs qu'à une règle juridique. Il n'en demeure pas moins que cette définition est à l'origine de mesures très concrètes.
La contrainte pénale
La contrainte pénale vise à restaurer la crédibilité des peines effectuées en milieu ouvert. Elle consiste, pour le condamné, sous le contrôle du juge d'application des peines, à respecter en milieu ouvert des obligations et interdiction pendant une période de six mois à cinq ans. Elle peut être prononcée pour tous les délits assortis d'une peine d'au maximum cinq années d'emprisonnement, mais devrait être étendue à l'ensemble des délits, c'est à dire tous les délits en 2017 (c'est à dire à toutes les peines inférieures à dix années d'emprisonnement).
Les obligations auxquelles le condamné peut être astreint sont extrêmement variées, allant de l'interdiction de fréquenter certains lieux ou de s'approcher de sa victime, à l'obligation de l'indemniser en passant par des obligations de suivre une formation, un traitement médical ou d'effectuer des travaux d'intérêt général. La peine est donc en lien direct avec l'infraction, ce qui facilite sa compréhension. Elle se déroule au sein de la société, dans le but d'éviter qu'un petit délinquant se transforme en grand délinquant après son passage en prison. Enfin, la contrainte pénale doit s'accompagne d'un suivi socio-éducatif individualisé de nature à favoriser la réinsertion. Il est bien difficile de ne pas être d'accord avec ces mesures. On doit cependant s'interroger sur la réalité de ce suivi, si l'on considère le nombre de dossiers que chaque juge d'application des peines a en charge.
Les promoteurs de la réforme affirment que la principale innovation de la contrainte pénale réside dans le fait qu'elle est totalement dissociée de la peine d'emprisonnement. En cela, elle s'oppose au sursis avec mise à l'épreuve, la peine actuellement la plus prononcée en France (160 000 par an). Dans ce cas en effet, le juge prononce une peine d'emprisonnement, dont il décide de surseoir à l'exécution en plaçant le condamné sous le régime de la mise à l'épreuve. Il est vrai que la condamnation à une contrainte pénale ne mentionne aucune peine d'emprisonnement. Ceci dit, le condamné qui refuse de se plier aux obligations qui lui sont imposées risque tout de même de se retrouver en prison, pour une durée égale ou inférieure à la moitié de sa peine de contrainte pénale.
Reste que la contrainte pénale ne se substitue pas au sursis avec mise à l'épreuve qui demeure dans l'ordre juridique. Il appartiendra aux juges de définir les critères du choix entre les deux peines. Pour le moment, force est de constater que la distinction est peu lisible pour le justiciable. Tôt ou tard, il est probable que l'une des deux peines devra disparaître.
Les peines plancher
L'accent mis sur l'individualisation de la peine se traduit par la suppression des peines-plancher, réforme issue d'une promesse électorale de François Hollande. On peut les définir comme des peines minimales que le juge doit impérativement prononcer si telle ou telle condition est remplie. La loi du 10 août 2007 avait ainsi imposé des peines plancher dans les cas de condamnés en état de récidive légale. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 août 2007, n'y a vu aucun atteinte au principe d'individualisation de la peine, qui trouve son fondement dans l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Cette réforme de 2007 avait été présentée comme l'élément majeur d'une politique nouvelle, plus sévère et destinée à lutter efficacement contre la récidive. Après sept années d'application, le résultat est cependant plus que décevant.
La notion de récidive légale est évidemment distincte de la réitération, dans la mesure où cette dernière renvoie à l'hypothèse simple où une personne définitivement condamnée pour une infraction en commet une autre. La récidive, quant à elle, est soumise à des conditions liées à la nature de l'infraction, et son régime juridique est extrêmement complexe. Le rapport Raimbourg constate ainsi que l'auteur d'un trafic de stupéfiants (dix ans d'emprisonnement) qui comment ensuite un vol simple (trois ans) est en état de récidive légale. En revanche, si l'ordre des délits est inversé, vol simple puis trafic de stupéfiants, il ne l'est plus. La constatation s'impose : les peines-plancher, trop complexes, trop attentatoires au principe d'individualisation des peines, ne sont pas parvenues à s'imposer.
La réforme Taubira doit encore être votée par le Sénat avant d'entrer en vigueur. Les expériences menées par certains pays étrangers, notamment scandinaves, montrent que ce type de réforme peut parfaitement réussir, c'est à dire conduire à une diminution de la récidive et à une meilleure réinsertion des personnes qui ont purgé leur peine. Elle impose cependant un investissement à fois financier et humain considérable pour assurer un suivi réellement individualisé des personnes condamnées. Sur ce point, les débats parlementaires ne nous ont malheureusement guère éclairé.
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