Pendant un procès de Cour d'assises, un assesseur et l'avocat général échangent des tweets. Le premier demande : "Question de jurisprudence : un assesseur exaspéré qui étrangle sa présidente, ça vaut combien ?". Le second répond : "Je te renvoie l'ascenseur en cas de meurtre de la directrice du greffe ?". Et la conversation de continuer allègrement sur ce ton primesautier, évoquant la possibilité de gifler un témoin, la satisfaction d'en faire pleurer un autre, pour s'achever sur un aveu : "Je n'ai plus écouté à partir des deux dernières heures".
Tout cela s'est bien mal terminé pour ces joyeux magistrats dont le manège a été dévoilé par un journaliste. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), saisi dans le cadre de poursuites disciplinaires, propose le déplacement d'office pour l'avocat général et inflige une réprimande à l'assesseur.
Tout cela s'est bien mal terminé pour ces joyeux magistrats dont le manège a été dévoilé par un journaliste. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), saisi dans le cadre de poursuites disciplinaires, propose le déplacement d'office pour l'avocat général et inflige une réprimande à l'assesseur.
Deux modes de sanction
Cette différence de procédure ne doit pas surprendre. Pour les magistrats du parquet, le CSM, saisi en matière disciplinaire, fait une proposition de sanction, la décision définitive appartenant au Garde des Sceaux. En l'espèce, la décision du ministre concernant l'avocat général n'est donc pas encore prise. Pour les magistrats du siège en revanche, le CSM prononce lui-même la sanction. Cette distinction s'explique évidemment par la subordination à l'Exécutif des magistrats du parquet, subordination très contestée mais toujours réelle, qui explique la compétence du ministre. En revanche, une sanction disciplinaire ne peut être prononcée à l'égard d'un magistrat du siège que par le CSM, en vertu du principe de séparation des pouvoirs.
La différence dans la gravité s'explique évidemment par des considérations liées au dossier. En effet, il n'a pas été clairement établi que les tweets de l'assesseur aient été envoyés pendant l'audience, alors que ceux de l'avocat général l'ont clairement été, ce dernier ayant rejeté clairement les mises en garde qui lui étaient adressées par certains de ses abonnés, manifestement plus conscients que lui du risque qu'il prenait.
Quoi qu'il en soit, ces deux procédures disciplinaires ont suscité une incroyable réaction sur les réseaux sociaux, surtout sur Twitter évidemment. Inutile de dire que le journaliste a été qualifié de vilain rapporteur. Quant aux deux magistrats, ils sont généralement présentés comme des martyrs de la liberté d'expression. Des mouvements de soutien se sont développés. Des avocats ont diffusé des plaidoiries médiatiques. Certains confrères courageux et n'ont pas hésité à menacer de twitter à leur tour leurs audiences, au risque d'aller croupir sur la paille humide des cachots. Que l'on se rassure, il s'agit évidemment de cachots virtuels.
Reste que l'affaire présente le double intérêt de montrer que la liberté d'expression n'est pas absolue et que Twitter est un média comme un autre, soumis aux mêmes règles et aux mêmes contraintes.
Certes, la liberté d'expression est consacrée comme "l'un des droits les plus précieux de l'homme" par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Sa valeur constitutionnelle est réaffirmée régulièrement par le Conseil constitutionnel qui y voit une "garantie essentielle du respect des autres droits et libertés" depuis sa décision du 11 octobre 1984. De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Handyside c. Royaume Uni du 7 décembre 1976 en fait "l'un des fondements essentiels de la société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun".
Cette importance de la liberté d'expression dans une société démocratique est donc incontestable et incontestée. Comme est incontestable l'affirmation, tout aussi nette, qu'elle peut faire l'objet de limitations et de restrictions. D'une manière générale, le droit positif consacre ainsi une liberté d'expression à géométrie variable. Selon les lieux tout d'abord, car on ne s'exprime avec la même liberté dans un prétoire et à la buvette. Selon les fonctions exercées, et certaines personnes sont soumises à certaines restrictions, dans les mesures où elles participent à une mission régalienne, armée, police ou justice.
Ces restrictions doivent être prévues par la loi. Dans sa décision du 27 juillet 1982, le Conseil constitutionnel précise ainsi que la liberté d'expression doit être conciliée avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont notamment "la sauvegarde de l'ordre public et le respect de la liberté d'autrui".
Au regard de la liberté d'expression, Twitter est un média ordinaire et les limitations s'y appliquent dans les conditions du droit commun. La loi du 21 juin 2004 sur l'économie numérique définit ainsi la "liberté de communication au public par voie électronique" et pose en principe que les règles de la liberté d'expression s'appliquent sur internet, comme sur n'importe quel autre support.
Défini par l'ordonnance du 22 décembre 1958, le statut de la magistrature énonce, dans son article 6, que tout magistrat entrant en fonctions prête serment "de bien et fidèlement remplir ses fonctions (...) et de se conduire en tout comme un digne et loyal magistrat". L'article 10 de cette même ordonnance interdit ensuite toute démonstration de nature politique, considérée comme incompatible avec "la réserve que leur impose leurs fonctions".
Le devoir de réserve impose aux magistrats de faire preuve de mesure dans l'expression écrite et orale de ses opinions à l'égard des usagers du service publics de la justice, mais aussi à l'égard des autres magistrats. Le recueil des obligations déontologiques des magistrats, diffusé en 2010 par le CSM, affirme ainsi que "dans son expression publique, le magistrat fait preuve de mesure, afin de ne pas compromettre l'image d'impartialité de la justice, indispensable à la confiance du public". La Cour européenne des droits de l'homme ne raisonne pas autrement, lorsqu'elle affirme, dans son arrêt Wille c. Liechtenstein du 28 octobre 1999, que l'"on est en droit d'attendre des fonctionnaires de l'ordre judiciaire qu'ils usent de leur liberté d'expression avec retenue chaque fois que l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire sont susceptibles d'être mis en cause".
Cette obligation ne concerne pas le contenu des opinions qui, bien entendu demeurent parfaitement libres, mais leur expression. Elle s'applique à la fois dans le service et hors service. En l'espèce, il ne fait aucun doute que menacer, même pour rire, d'étrangler la Présidente de la Cour d'Assises constitue un manquement à l'obligation de réserve. Il suffit que le tweet soit public, ce qui est le cas puisque les comptes twitter des intéressés n'étaient pas verrouillés. Le fait qu'il ait été envoyé pendant l'audience ou à son issue est sans influence sur le manquement au devoir de réserve.
Les soutiens des magistrats twitteurs ont fait observer, et ils ont raison sur ce point, que les réseaux sociaux sont utilisés pour faire connaître la réalité du monde administratif ou judiciaire, en quelque sorte pour dénoncer injustices ou dysfonctionnements. Dans ce cas, il serait peut-être possible d'estimer que ces tweets contribuent au "débat d'intérêt général" au sens où l'entend la Cour européenne lorsqu'elle admet la publications de conversations téléphoniques enregistrées à l'insu des personnes, dans le but de dénoncer des pratiques de corruption (CEDH, 19 décembre 2006, Radio Twiste c. Slovaquie).
Quoi qu'il en soit, ces deux procédures disciplinaires ont suscité une incroyable réaction sur les réseaux sociaux, surtout sur Twitter évidemment. Inutile de dire que le journaliste a été qualifié de vilain rapporteur. Quant aux deux magistrats, ils sont généralement présentés comme des martyrs de la liberté d'expression. Des mouvements de soutien se sont développés. Des avocats ont diffusé des plaidoiries médiatiques. Certains confrères courageux et n'ont pas hésité à menacer de twitter à leur tour leurs audiences, au risque d'aller croupir sur la paille humide des cachots. Que l'on se rassure, il s'agit évidemment de cachots virtuels.
Reste que l'affaire présente le double intérêt de montrer que la liberté d'expression n'est pas absolue et que Twitter est un média comme un autre, soumis aux mêmes règles et aux mêmes contraintes.
La liberté d'expression : une géométrie variable
Certes, la liberté d'expression est consacrée comme "l'un des droits les plus précieux de l'homme" par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Sa valeur constitutionnelle est réaffirmée régulièrement par le Conseil constitutionnel qui y voit une "garantie essentielle du respect des autres droits et libertés" depuis sa décision du 11 octobre 1984. De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Handyside c. Royaume Uni du 7 décembre 1976 en fait "l'un des fondements essentiels de la société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun".
Cette importance de la liberté d'expression dans une société démocratique est donc incontestable et incontestée. Comme est incontestable l'affirmation, tout aussi nette, qu'elle peut faire l'objet de limitations et de restrictions. D'une manière générale, le droit positif consacre ainsi une liberté d'expression à géométrie variable. Selon les lieux tout d'abord, car on ne s'exprime avec la même liberté dans un prétoire et à la buvette. Selon les fonctions exercées, et certaines personnes sont soumises à certaines restrictions, dans les mesures où elles participent à une mission régalienne, armée, police ou justice.
Ces restrictions doivent être prévues par la loi. Dans sa décision du 27 juillet 1982, le Conseil constitutionnel précise ainsi que la liberté d'expression doit être conciliée avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont notamment "la sauvegarde de l'ordre public et le respect de la liberté d'autrui".
Au regard de la liberté d'expression, Twitter est un média ordinaire et les limitations s'y appliquent dans les conditions du droit commun. La loi du 21 juin 2004 sur l'économie numérique définit ainsi la "liberté de communication au public par voie électronique" et pose en principe que les règles de la liberté d'expression s'appliquent sur internet, comme sur n'importe quel autre support.
Edgar Stoebel 1901-2001 L'oiseau bleu |
Le devoir de réserve
Défini par l'ordonnance du 22 décembre 1958, le statut de la magistrature énonce, dans son article 6, que tout magistrat entrant en fonctions prête serment "de bien et fidèlement remplir ses fonctions (...) et de se conduire en tout comme un digne et loyal magistrat". L'article 10 de cette même ordonnance interdit ensuite toute démonstration de nature politique, considérée comme incompatible avec "la réserve que leur impose leurs fonctions".
Le devoir de réserve impose aux magistrats de faire preuve de mesure dans l'expression écrite et orale de ses opinions à l'égard des usagers du service publics de la justice, mais aussi à l'égard des autres magistrats. Le recueil des obligations déontologiques des magistrats, diffusé en 2010 par le CSM, affirme ainsi que "dans son expression publique, le magistrat fait preuve de mesure, afin de ne pas compromettre l'image d'impartialité de la justice, indispensable à la confiance du public". La Cour européenne des droits de l'homme ne raisonne pas autrement, lorsqu'elle affirme, dans son arrêt Wille c. Liechtenstein du 28 octobre 1999, que l'"on est en droit d'attendre des fonctionnaires de l'ordre judiciaire qu'ils usent de leur liberté d'expression avec retenue chaque fois que l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire sont susceptibles d'être mis en cause".
Cette obligation ne concerne pas le contenu des opinions qui, bien entendu demeurent parfaitement libres, mais leur expression. Elle s'applique à la fois dans le service et hors service. En l'espèce, il ne fait aucun doute que menacer, même pour rire, d'étrangler la Présidente de la Cour d'Assises constitue un manquement à l'obligation de réserve. Il suffit que le tweet soit public, ce qui est le cas puisque les comptes twitter des intéressés n'étaient pas verrouillés. Le fait qu'il ait été envoyé pendant l'audience ou à son issue est sans influence sur le manquement au devoir de réserve.
Les magistrats sont-ils des "lanceurs d'alerte" ?
Les soutiens des magistrats twitteurs ont fait observer, et ils ont raison sur ce point, que les réseaux sociaux sont utilisés pour faire connaître la réalité du monde administratif ou judiciaire, en quelque sorte pour dénoncer injustices ou dysfonctionnements. Dans ce cas, il serait peut-être possible d'estimer que ces tweets contribuent au "débat d'intérêt général" au sens où l'entend la Cour européenne lorsqu'elle admet la publications de conversations téléphoniques enregistrées à l'insu des personnes, dans le but de dénoncer des pratiques de corruption (CEDH, 19 décembre 2006, Radio Twiste c. Slovaquie).
Hélas, les magistrats twitteurs ne sont pas des lanceurs d'alerte. Ils ne contribuent pas le moins du monde à un débat d'intérêt général, et leur démarche est plutôt celle de joyeux potaches.
La fausse protection du pseudonyme
Il est vrai que les magistrats sont sans doute victimes du sentiment d'impunité créé par l'usage d'un pseudonyme. De la part de professionnels de la justice, cette attitude peut surprendre, car le pseudonyme n'a pas pour effet de faire échapper celui qui l'utilise à sa responsabilité.
En matière pénale, on se souvient que la twittosphere a applaudi lorsque le TGI de Paris, dans une ordonnance du 24 janvier 2013, a ordonné à Twitter de donner les coordonnées d'auteurs de messages antisémites. Sur le fondement de l'article 6-I-8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, il exige en même temps que Twitter mette en place un dispositif de signalement des contenus illicites conforme au droit français. Le pseudonnyme n'est donc pas une protection absolue, et le juge peut facilement se faire communiquer le nom des intéressés, afin d'engager des poursuites à leur encontre.
Il en est de même en matière disciplinaire. Connue sous le pseudonyme de Zoé Shepard, une jeune fonctionnaire territoriale en a fait l'amère expérience. Auteur d'un livre à succès "Absolument dé-bor-dée, ou le paradoxe du fonctionnaire", elle a été sanctionnée de dix mois de suspension, sanction confirmée par le tribunal administratif de Bordeaux le 31 décembre 2012. Là encore, son pseudonyme ne l'a pas protégée.
La proportionnalité de la sanction
Reste évidemment la question de la proportionnalité de la sanction. Il est vrai que l'on peut penser que le CSM fait parfois preuve d'une sévérité à géométrie variable. Personne n'a oublié qu'en février 2014, il s'est prononcé sur le cas de l'ancien procureur de Nanterre, Philippe Courroye, dans l'affaire des fadettes. Son avis affirme clairement que ce dernier a violé la loi sur le secret des sources des journalistes, pour finalement refuser toute sanction.
Sans doute, mais nul n'ignore que la proportionnalité ne s'apprécie pas par comparaison avec d'autres affaires. La proportionnalité d'une sanction s'apprécie par contrôle de l'adéquation entre les faits commis et les intérêts en cause. En l'espèce, les sanctions prononcées, réprimande et déplacement d'office, sont les deux plus basses sur les sept prévues par le statut des magistrats. Au delà, on trouve en effet le retrait de certaines fonctions, l'abaissement d'échelon, l'exclusion temporaire, la rétrogradation, la mise à la retraite d'office et enfin la révocation.
Or, nos deux magistrats ont causé un préjudice non négligeable à l'administration de la Justice. A sa dignité et à sa sérénité sans doute, ne serait-ce que parce que les justiciables qui risquent une peine très lourde en Cour d'assises sont en droit d'attendre non seulement le respect mais aussi une attention de tous les instants de ceux là même qui ont pour mission de les juger. De manière plus pragmatique ensuite, le ministère public a dû faire appel de la décision
rendue, car elle était susceptible de cassation. Les tweets échangés ne
démontraient-ils pas l'existence d'un lien entre un magistrat du siège
et celui du parquet, lien de nature à susciter le doute sur
l'impartialité du jugement ? Est-il possible de considérer que ces sanctions sont disproportionnées ? Nous verrons bien si les deux magistrats contestent la sanction dont ils ont fait l'objet devant un juge... En espérant qu'il ne sera pas occupé à tweeter au moment du délibéré.
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