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jeudi 22 mai 2014

La décision d'enquête européenne

La directive du 3 avril 2014, publiée le 1er mai, met à la disposition des Etats membres de l'Union européenne un nouvel instrument juridique : la "décision d'enquête européenne". Il  s'agit de permettre à un Etat d'exécuter des mesures d'enquête à la requête d'un autre, sur la base de la reconnaissance mutuelle.

Concrètement, il sera désormais possible de demander à un Etat membre d'obtenir des preuves, à charge ou à décharge, auditions de témoins, perquisitions, interceptions de télécommunications, accès aux informations bancaires etc.. La procédure pourra être utilisée pour n'importe quelle infraction, mais il est clair que l'enjeu est essentiel en matière de criminalité organisée et de blanchiment, dans la mesure où l'enquête européenne pourra intervenir avant que les intéressés aient fait disparaître les éléments compromettants. 

Un élément de l'espace judiciaire européen


Après le mandat d'arrêt, la décision d'enquête marque un nouveau pas vers la mise en oeuvre effective d'un espace judiciaire européen, conformément à l'article 82 du traité sur le fonctionnement de l'UE, principe repris dans le rapport du parlementaire européen Nuno Melo remis en janvier 2014. Après le droit de l'extradition, c'est donc celui de la preuve qui repose désormais sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, qui constitue le socle de la coopération judiciaire. 

L'initiative de ce texte incombe à six Etats : Belgique, Bulgarie, Estonie, Espagne, Autriche, Slovénie et Suède. Adoptée par le Conseil et le parlement européen, la directive doit aujourd'hui être transposée par l'ensemble des Etats de l'UE. Un certain délai va donc s'écouler avant sa mise en oeuvre effective, car les Etats ont jusqu'au 22 mai 2017 pour adopter les textes indispensables à cette transposition dans leur ordre interne.

Unifier le droit européen de la preuve


La directive présente l'intérêt d'unifier le droit européen de la recherche de la preuve, que l'on pourrait présenter comme une stratification de textes, ensemble disparate dont la lisibilité n'est pas la qualité principale. On peut citer la Convention du Conseil de l'Europe de 1959 sur l'entraide judiciaire en matière pénale complétée ensuite par trois protocoles, la Convention de mai 2000 sur l'entraide judiciaire pénale entre les Etats membres de l'UE également complétée d'un protocole de 2001, sans oublié la décision-cadre du 18 décembre 2008 qui crée un mandat européen d'obtention de preuves. Ce dernier texte pourrait être présenté comme une sorte d'anticipation de la décision d'enquête européenne. En réalité, il n'a été que très peu appliqué, car il ne couvrait pas l'ensemble des actes d'enquête et était par ailleurs entièrement facultatif. L'Etat sollicité pouvait donc parfaitement faire la sourde oreille à une demande, sans pour autant violer ses obligations.

La décision d'enquête européenne remplace l'ensemble de ces procédures et apparaît ainsi comme un élément d'une indispensable simplification des procédures. Cette simplification apparaît également si l'on considère les conditions de mise en oeuvre de la décision d'enquête européenne.

Georges Simenon. Maigret chez les Flamand. 1932. Edition Fayard. 1954


Conditions d'emploi de la procédure


La décision d'enquête européenne doit être émise ou validée par une autorité judiciaire d'un Etat membre afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d'enquêtes dans un autre Etat membre. La directive prend soin de préciser que cette procédure ne concerne pas seulement les procédures pénales, mais aussi celles engagées par des autorités administratives, lorsque les faits ont une dimension pénale. Tel est le cas par exemple de la fraude fiscale, dans laquelle l'enquête est effectuée par une autorité administrative mais peut conduire à une condamnation pénale. 

L'Etat d'exécution agit-il pour autant comme le simple mandataire de l'Etat d'émission ? Pas tout à fait, car la directive lui offre la possibilité d'écarter la demande d'enquête, lorsqu'elle risque de nuire à des intérêts nationaux essentiels en matière de sécurité où à une immunité.

Certes, la procédure est conçue comme devant s'appliquer largement, mais elle ne doit pourtant pas apparaître banale. La directive énonce en effet que l'émission de la décision d'enquête européenne doit être nécessaire et proportionnée aux finalités des procédures engagées. Cette double condition permettra aux juges d'apprécier les recours prévus contre cette décision, recours qui pourront être déposés tant dans l'Etat d'émission que dans celui d'exécution. Une jurisprudence devrait alors se développer, appréciant la nécessité de la procédure par rapport à celle de l'enquête, et intégrant l'intérêt des droits de la défense dans le contrôle de proportionnalité. 

Enfin, la directive se préoccupe de la rapidité de la procédure, dans le but sans doute d'éviter les demandes dilatoires de décision d'enquête européenne, dont il convient de rappeler qu'elles sont ouvertes à la défense. Il est donc prévu que les Etats membres accusent réception d'une décision dans un délai de trente jours et disposent ensuite de quatre-vingt-dix jours pour exécuter la mesure d'enquête. Un délai qui devrait faire rêver les autorités judiciaires françaises habituées à des durées beaucoup plus longues pour les enquêtes menées sur le territoire. Il n'en demeure pas moins vrai que ce délai risque d'être considérablement rallongé par les recours dont on ignore encore l'organisation exacte.

Pour le moment, la décision d'enquête existe sur le papier et quelques années seront nécessaires non seulement pour l'intégrer dans le droit interne des Etats mais aussi pour la mettre en pratique. Le précédent du mandat d'arrêt européen laisse augurer un véritable succès, dès lors que cette procédure répond à un besoin réel. Et il ne fait guère de doute que cette décision d'enquête européenne devrait constituer un instrument redoutable de lutte contre la criminalité organisée, et plus particulièrement la délinquance financière.


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